Les masques sont-ils efficaces ? Un article du New York Times vient de soutenir qu’il est prouvé que cela n’est pas le cas… l’analyse de ses sources scientifiques laisse songeur<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Santé
Un article du New York Times s'est penché sur la question de l'efficacité des masques face aux contaminations et aux maladies.
Un article du New York Times s'est penché sur la question de l'efficacité des masques face aux contaminations et aux maladies.
©LIONEL BONAVENTURE / AFP

Barrière contre le virus

Cet édito a été publié la semaine dernière dans le prestigieux journal.

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze est chirurgien à Perpignan.

Passionné par les avancées extraordinaires de sa spécialité depuis un demi siècle, il est resté très attentif aux conditions d'exercice et à l'évolution du système qui conditionnent la qualité des soins.

Voir la bio »

Atlantico : Dans un édito pour le New York Times, le journaliste Bret Stephens s’appuie sur une étude pour Cochrane, un organisme britannique à but non lucratif, pour affirmer que les masques n’ont été d’aucune utilité. Que nous dit réellement cette méta analyse sur l’efficacité du port du masque et de l’obligation du port du masque si l’on regarde les données issues des analyses citées ?

Guy-André Pelouze : Nous allons être transparents avec nos lecteurs. L’étude Cochrane fait 326 pages et quand elle est sortie le 30/01/2023 je me suis intéressé aux données rassemblées dans les 15 Figures. Me réservant la lecture pour plus tard au cas où ce serait productif. D’autre part, comme je l’ai écrit dans Atlantico depuis plusieurs mois la Covid-19 est maintenant une épidémie qui évolue pour son propre compte dans les différents continents et même les différents pays. Or l’Omicron et ses propres variants sont les mêmes partout. D'où vient cette endémisation et la baisse de la morbi-mortalité? De l’immunité de chacun de nous, celle conférée par la maladie et celle conférée par le vaccin. Du coup cette étude est un peu prise à contre pied par le pourcentage de Français qui sont protégés soit des formes graves soit de l’infection. Le masque n’est plus recommandé même si dans un lieu clos si j’étais à risque j’en porterais un, un N95 ou mieux et bien ajusté.

Vous l’avez compris je n'ai pas lu par la suite les 326 pages. La raison est intéressante. Les équipes Cochrane sont formées depuis des décennies à la méthodologie rigoureuse des méta-analyses. Cette étude ne fait pas exception. Les Canadiens comme John M. Conly poursuivent l’objectif de standards de très haut niveau dans les revues générales que publie l'Association Cochrane depuis le début. T. Jefferson suit cette question depuis au moins 2008… Il est plus utile des’intéresser aux résultats.Le sujet le plus important est bien l’interprétation et non la méthodologie.

Revenons à l’étude. Il ne s’agit pas d’un essai expérimental sur le port du masque dans les viroses respiratoires. C’est une méta-analyse de ce qui a déjà été publié. Raison de plus pour faire confiance aux auteurs quant à la méthodologie mais il est bon de se rappeler qu’une méta-analyse veut en faire dire plus à des études similaires mais non semblables en rassemblant leurs données.

C’est pourquoi dans la partie de l’étude qui est consacrée aux masques dans les viroses respiratoires il n’y a pas une conclusion mais plusieurs:

-Il n’y a pas de différence significative entre les groupes avec et sans masque si on réunit tous les types de masques.

-Une réduction marquée des autres viroses que la Covid-19 est constatée (Risque Relatif 0,58; 0,25-1,31) bien que non significative. Ceci corrobore les constatations épidémiologiques, grippe, RSV et autres ont été peu prévalents pendant la pandémie. Si les masques ont servi au moins à cela, c'est très important compte tenu du niveau d’occupation des lits de soins critiques par la Covid-19.

-Si on ne prend en compte que les masques un minimum efficaces sur les virus (N95 ou FFP2) il y a une réduction des infections cliniques (Risque Relatif 0,70; 0,45-1,10) mais pas des infections grippales prouvées par un test en laboratoire. Encore une fois ce n’est pas statistiquement significatif mais ces données sont en accord avec ce que l’on observe empiriquement et qui peut être interprété comme une diminution de la charge virale.

-Chez les soignants on constate les mêmes réductions de risque toujours non significatives sur le plan statistique. À noter qu’aucune étude n’a été réalisée pendant la pandémie et que toutes sauf une démontrent une réduction du risque.

Devant ces résultats détaillés il faut faire preuve de prudence et s’accorder sur deux points:

-Les essais cliniques randomisés sur l'efficacité des masques pendant la pandémie sont très peu nombreux

-Ces essais sont faiblement dimensionnés. Or la puissance d'un essai clinique randomisé (RCT) dépend de deux facteurs : la taille de l'échantillon et la taille de l'effet. Manifestement c’est le problème rencontré dans cette méta-analyse et le pooling des données ne suffit pas à y remédier entre autres parce que l’effet est dilué par l’hétérogénéité des comportements.

Atlantico : Quels sont les biais qui ont conduit à la conclusion drastique de l’étude ?

Tout d’abord de quoi parlons nous?

Il s’agit dévaluer l’efficacité des mesures physiques visant à empêcher la propagation des virus respiratoires entre les personnes: se laver les mains souvent ; ne pas se toucher les yeux, le nez ou la bouche ; éternuer ou tousser dans le coude ; essuyer les surfaces avec un désinfectant ; porter des masques, des lunettes de protection, des gants et des blouses de protection ; éviter tout contact avec d'autres personnes (isolement ou quarantaine) ; se tenir à une certaine distance des autres personnes (éloignement) ; et examiner les personnes entrant dans un pays pour détecter des signes d'infection (dépistage). C’est un ensemble de comportements qui permettent de freiner la transmission, ces comportements demandent de l’observance et pour certains dont le port du masque un entraînement. C’est pourquoi isoler une mesure quelqu’emblématique soit elle est risqué en terme de biais. L’effet de ces mesures est synergique. En isolant chaque mesure on risque de ne rien pouvoir démontrer en termes d’efficacité sauf à recourir à des protocoles très stricts et des échantillons beaucoup plus grands. Ce n’est pas le cas des études répertoriées.

Hétérogénéité et puissance des essais répertoriés

Les essais retenus dans la méta-analyse sont parfois anciens, c'est-à -dire qu’ils datent d’avant la pandémie. C’est un point faible car l’efficacité des mesures dépend aussi du virus et de son coefficient R0 (chiffre exprimant le nombre moyen de cas d'une maladie infectieuse survenant par transmission à partir d'un seul individu infecté, dans une population qui n'a pas rencontré la maladie auparavant).

La définition de la puissance statistique est plus que la "capacité" d'un essai à détecter une différence statistiquement significative. Il s'agit de la probabilité réelle que l'essai rejette l'hypothèse nulle qui est l’état des connaissances au départ. Pour vérifier cela, il faut soigneusement étudier la conception de l’essai. C’est un aspect non étudié par les auteurs à ma connaissance. 

Protection physique individuelle et de groupe

Le masque a potentiellement deux effets positifs: celui de protéger son porteur respirant de l’air contaminé et celui de diminuer la transmission du virus par un malade y compris asymptomatique. Ces deux effets sont assez mal différenciés dans les études présentées. 

Atlantico : L’un des auteurs de l’étude évoquée par le New York Times affirme que les décideurs politiques « ont été convaincus par des études non randomisées, des études d'observation imparfaites ». Qu’en est-il réellement ?

Il faut le leur demander!

Je trouve qu’on pose peu de questions précises aux politiques et ce n’est pas une démarche éclairante. Malgré tout, que peut-on dire? Tout d’abord les investissements de recherche et d’innovation/développement dans les interventions physiques (filtration, hygiène) contre les viroses respiratoires ont été assez faibles depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Notamment en Occident. Nous faisons comme si il n’y avait que les vaccins. Or c’est très insuffisant notamment pour les nouveaux virus pathogènes. Il nous faut à côté de la plateforme ARN messager qui a révolutionné les vaccins, inventer de nouveaux antiviraux. Et il nous faut des systèmes de prévention physique donc de filtration de l’air à la fois sur un plan individuel mais aussi collectif. On peut constater que les pays développés ont calé sur cette question de la filtration de l’air.

Revenons à nos politiques au moment où la question des masques s’est posée

Je ne reviens pas sur l’affaire de la pénurie car elle n’est pas à verser au débat scientifique. Il y a eu deux phases: avant et après le vaccin. Avant le vaccin il était tout à fait logique devant un virus aussi dangereux de prendre des précautions. Et prendre des précautions c’est simplement bayésien, il y a des évènements passés et une expérience passée avec les masques, qui même imparfaite doit être intégrée dans la stratégie. Le port du masque est sans danger (j’ai une pensée cependant pour les illuminés qui se disaient étouffés derrière leur ordinateur pour les besoins de leur mauvaise cause) et il est logique de penser qu’il diminue la charge virale inhalée par un individu respirant un air contaminé tout en diminuant la contamination aérienne des endroits clos par un malade. Après le vaccin, c'est-à -dire plus d’un an après le début de la pandémie, les résultats d’essais cliniques de qualité élevée auraient dû être disponibles. Ce ne fut pas le cas, les pays avancés ayant à raison mis toutes leurs forces dans le vaccin. D’autres pays distancés dans la course au vaccin n’ont tout simplement pas fait l’effort de réaliser ces essais préférant la polémique notamment en Europe et aux USA. Si bien que les politiques ont continué avec raison à mon avis à prendre des décisions bayésiennes améliorées par un nombre d’essais limité comme la méta-analyse l’a mis en évidence en les dénombrant.

Un exemple de décision précautionneuse dans l'intérêt des patients: le masque chirurgical

La même association Cochrane s’est penchée en 2016 sur le bien fondé de porter un masque en salle d’opération. Ils n’ont retrouvé que 3 essais cliniques rassemblant environ 2000 patients. La conclusion est la suivante:

“Les résultats limités ne permettent pas de savoir si le port de masques chirurgicaux par les membres de l'équipe chirurgicale a un impact sur les taux d'infection des plaies chirurgicales chez les patients subissant une chirurgie propre.”

Croyez-vous que cela a entraîné la disparition des masques en salle d’opération? Non évidemment et ce pour deux raisons:

-Ne pas réfuter l’hypothèse nulle n’est pas une preuve d’inefficacité d’un traitement. Des circonstances, des insuffisances méthodologiques des essais cliniques peuvent avoir réduit les différences entre les deux groupes au point de rendre improbable une différence significative.

-Nous sommes en chirurgie responsables de toutes les précautions à prendre pour diminuer les complications du geste chirurgical. Tant que le port du masque est économiquement soutenable et non délétère il est préférable de le porter en salle d’opération.

Donc il n’est pas fondé de critiquer les politiciens pour la décision de rendre le masque obligatoire dans une pandémie et dans les endroits clos. Il n’est pas non plus fondé de les critiquer pour la qualité des études publiées à ce jour, c’est plutôt une responsabilité académique. Un point qui a été très peu abordé dans cette pandémie.

Atlantico : Cette étude est-elle crédible à l’aune des nombreuses études qui ont prouvé le contraire ?

Un essai clinique diminue l’incertitude de nos décisions, c’est bien différent de la crédibilité. Une méta-analyse tente de tester la probabilité de l'hypothèse nulle grâce au pooling de plusieurs études c’est quand même artificiel même si c’est utile. Cette méta-analyse n’a pas réussi à mettre en évidence une différence significative donc cela signifie qu’il faut non pas faire de nouvelles méta-analyses mais des essais cliniques mieux conduits dans des conditions beaucoup plus strictes. Or je le répète, tester un comportement (porter efficacement un masque) est plus difficile que tester la prise d’un médicament. 


Pourquoi le concept d’hypothèse nulle est central?

L’hypothèse nulle c’est l’hypothèse de départ alors que l’on ne sait rien de ce que va montrer l’essai clinique. A priori le traitement testé ne va rien changer, le masque ne va pas modifier la maladie ou la survenue de la maladie. Un essai randomisé permet de tester l’hypothèse nulle. Si les deux goupes sélectionnés par des critères d’inclusion et d’exclusion puis répartis au hasard ne montrent pas une différence significative sur les critères de résultat définis au départ l’essai conclut à l’impossibilité de conclure… Ce qui est différent de l’affirmation selon laquelle le traitement n’est pas efficace.

Si une différence significative est observée entre les deux groupes (par exemple le nombre de maladies Covid-19 prouvées, l’hypothèse nulle est rejetée. Le traitement, l’intervention physique ont un effet qui peut être positif ou négatif pour le patient selon la réduction ou l’augmentation du risque relatif observé. 


Atlantico : En France, les études ont-elles prouvé que le port du masque diminuait les infections ?

Il y a très peu d’études réalisées en France sur la question d e l’efficacité clinique des masques pour prévenir les viroses respiratoires. J’avais noté en 2022 la publication de Henrietta Essie Whyte dans Scientific Reports mais il s’agissait de filtrer des bactéries et non des virus. Comme il se doit j’ai fait appel par une simple question à l’Intelligence Artificielle de ChatGPT qui m’a répondu en quelques secondes:

“Oui, plusieurs études menées en France et dans d'autres pays démontrent l'efficacité du port du masque pour réduire la propagation des infections, dont le COVID-19.
Une étude menée à Lyon, en France, pendant les premiers stades de la pandémie de COVID-19, a montré que l'utilisation de masques par le grand public était associée à une réduction significative de la transmission du virus. L'étude a révélé que l'utilisation de masques réduisait le risque d'infection d'environ 70 %.

En plus de cette étude, de nombreuses autres études ont été menées dans le monde entier qui confirment que l'utilisation de masques est un outil efficace pour réduire la propagation du COVID-19. Les Centres de contrôle et de prévention des maladies (CDC) des États-Unis, par exemple, ont recommandé l'utilisation de masques comme une mesure essentielle pour ralentir la propagation du virus.

Il est important de noter que le port du masque ne suffit pas à lui seul à empêcher la propagation du COVID-19 et qu'il doit être associé à d'autres mesures préventives telles que la distanciation sociale, le lavage fréquent des mains et l'évitement des grands rassemblements.”

C’est plutôt pas mal! Petite erreur, l'article Lyonnais concerne l’intérêt du masque pour filtrer les bactéries, je pense que c’est celui que j’avais trouvé. En revanche c’est intéressant car ChatGPT a soigneusement cherché et aucun autre article n’est cité. C’est ce que je soulignais plus haut, concernant la Covid-19 il faut demander aux institutions académiques de faire un effort. Il n’est jamais trop tard et la prochaine pandémie sera plus facile à maîtriser.

Atlantico : Pourquoi ce débat fait-il encore rage ?

Il y a dans ces débats sur la Covid-19 au moins deux types d’intentions bien différentes.

Tout d’abord approfondir les connaissances et surtout améliorer nos décisions en diminuant l’incertitude

L'expertise médicale existe, elle est difficile et exigeante mais il ne faut pas oublier que les moyens de maîtriser une pandémie ne sont pas égaux. Certains traitements sont meilleurs que d’autres et certains traitements sont inefficaces voire délétères. La méthode scientifique est capable de l’affirmer avec un risque d'erreur très faible de moins de 5 ou de 1% . J’ai déjà rappelé la complexité de tester le port du masque dans un essai clinique par rapport à un médicament (Figure N°1). Les masques sont inégaux et les patients très malhabiles à le porter correctement. Le médicament est chimiquement pur avec la même molécule à l'intérieur de tous les comprimés et le patient ne peut modifier l’effet de ce dernier par une mauvaise prise en main. Ce n’est pas partout pareil car certaines populations sont très habituées au port du masque. Le masque s’il est porté par le plus grand nombre et de façon efficace (cas des Asiatiques notamment au Japon ou en Corée avant le vaccin) diminue la transmission et la charge virale si la contamination se produit néanmoins. Pour autant, ce sont des mesures coordonnées de comportement humain qui diminuent la transmission. Les courbes de mortalité du début de la pandémie dans les pays d’Asie comme le Japon, la Corée du sud sont très basses car cet ensemble de mesures (y compris le testing, l’isolement et le contrôle des frontières) ont été massivement suivies par la population.

Figure N°1: Impact du port public du masque dans toute la gamme des scénarios d'adhérence et d'efficacité du masque. La couleur indique le nombre de reproduction résultant 𝑅𝑒 à partir d'un 𝑅0 initial de 2,4. La zone bleue est ce qui est nécessaire pour ralentir la propagation de la COVID-19. Chaque ligne noire représente un niveau de transmission de maladie spécifique avec le nombre de reproduction effectif 𝑅𝑒 indiqué.

La deuxième intention est politique et aux États unis c’est déjà la prochaine présidentielle qui est dans la tête des politiciens et des médias

Or la Covid-19 a polarisé les Américains, leurs médias et leurs représentants. Les Démocrates ont assez bien capitalisé sur leur soutien aux autorités scientifiques fédérales et sur la vaccination. Au contraire, les Républicains et le précédent Président ont multiplié les polémiques sur la pandémie, la chloroquine et l’ivermectine, les mesures de santé publiques et la vaccination. Ils se sont trompés sur les sujets scientifiques et en ont payé le prix y compris en mortalité dans leur rangs. D’autre part, ils ont très mal capitalisé sur le seul sujet politique: la responsabilité de la Chine dans l’origine du virus, le délai de la mise en place de mesures initiales et le risque immense de laisser faire la transmission brutalement dans une population faiblement immunisée. C’est assez paradoxal pour ne pas dire incompréhensible car l’Operation Warp Speed décidée par Donald Trump et réussie par la coalition entre les organismes de santé publique fédéraux, le Ministère de la Défense et les laboratoires privés était un fantastique tremplin. Un tremplin à la fois authentique et symbolique de l’Amérique qui a été ternie par la malheureuse affaire du Capitole. De ce point de vue politique, la bataille continue et il me semble que Bret Stephens a relancé ce volet en caricaturant cette méta-analyse. Il me semble aussi qu’il n’a pas saisi ou voulu saisir les subtilités de cette méta-analyse en termes d’heuristique et de limites.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !