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Les hôpitaux malades de leur déficit : comment l'exigence de rentabilité met à mal le secret médical
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Bonnes feuilles

Depuis 2008, les hôpitaux publics sont soumis à une exigence de rentabilité. Payés par l’Assurance Maladie à chaque prestation réalisée, ils font appel à des sociétés privées qui vérifient dans les dossiers médicaux si aucun acte n’a été oublié. Pour ce faire, elles accèdent en toute impunité à l’ensemble de nos données confidentielles, mettant à mal le secret médical. Ce livre est le récit détaillé d’une incroyable tourmente professionnelle où s’opposent intérêts financiers et droits des malades. Extrait de "Le serment d’hypocrite", du Dr jean-Jacques Tanquerel, aux éditions Max Milo (1/2).

Jean-Jacques Tanquerel

Jean-Jacques Tanquerel

Jean-Jacques Tanquerel est médecin en hôpital depuis une trentaine d’années et formateur dans le domaine de l’information médicale à l’École des hautes études de santé publique (EHESP) de Rennes.

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Depuis des années, l’établissement hospitalier où je pratique présente une mauvaise santé financière chronique et accumule les déficits 13. La direction a été sommée à plusieurs reprises par l’Agence régionale de santé de Bretagne de mettre en oeuvre un plan de retour à l’équilibre financier. Comme à chaque fois dans une telle situation, les deux leviers utilisés pour tenter de redresser la situation sont la maîtrise des dépenses et l’augmentation des recettes. La maîtrise des dépenses est souvent un sujet douloureux. En effet, les charges de personnel représentent près de 70 % des dépenses des établissements de santé. Des actions à ce niveau entraînent inévitablement des relations tendues avec les partenaires sociaux. Côté recettes, la direction peut engager des actions pour augmenter l’activité de l’hôpital : améliorer son image auprès de la population locale afin de gagner des parts de marché au détriment de l’établissement voisin, développer une nouvelle activité de préférence lucrative, recruter de nouveaux médecins ou chirurgiens, augmenter la rentabilité des lits existants en incitant les médecins à diminuer les durées de séjour à l’hôpital… Ces actions, même si elles sont importantes à mettre en oeuvre pour la situation financière de l’hôpital, ne portent le plus souvent leur fruit qu’à moyen ou long terme. De plus, le résultat n’est pas garanti. En fait, la meilleure variable d’ajustement, rapide à mettre en oeuvre et source de gros profits rapidement et presque à coup sûr, reste l’optimisation du codage de l’information médicale. Nous l’avons vu, avec le système de la tarification à l’activité, une information non ou mal codée génère un manque à gagner important. Au regard des volumes à traiter chaque année, ce sont des centaines de milliers voire des millions d’euros qui peuvent partir en fumée si le processus manque d’efficience. Dans un contexte financier difficile, le DIM devient alors logiquement la cible de pressions croissantes sans que les moyens nécessaires lui soient forcément accordés pour remplir correctement ses missions. Il faut faire plus, mais les moyens pour y arriver ne sont pas toujours là.

À Saint-Malo, ce problème ne date pas d’hier. Déjà, en avril 2005, le collège de l’information médicale, qui réunit la direction et des médecins, décide qu’en regard des enjeux financiers et de la charge de travail générée par la T2A, il devient nécessaire de créer un deuxième poste de médecin au DIM. Pourtant, je ne verrai arriver ce renfort indispensable que cinq ans plus tard ! Difficile de comprendre une telle inertie lorsque l’on compare le coût annuel d’un médecin et les bénéfices attendus.

Un travail de Sisyphe

Au début de l’année 2008, la situation de l’hôpital est précaire. Inquiète, la direction demande alors un audit de l’organisation du DIM souvent désigné, en raison de son rôle clé dans le financement de l’établissement, responsable des baisses de recettes. Le rapport est rendu. Il signale explicitement un « personnel en sous-effectif face à la croissance d’activité et à l’extension des champs du PMSI ». Pourtant, cette même année, l’équipe du DIM doit fonctionner avec un personnel encore réduit par de nombreux arrêts maladie correspondant à plus d’un temps plein sur l’année. La direction ne semble pas s’en émouvoir. Les techniciens et moi-même devons compenser, multipliant les heures supplémentaires. Nous devons toujours parer au plus pressé et la qualité du travail s’en ressent. Fin 2008, un deuxième audit est réalisé. Il conclut à une sous-valorisation de l’activité de court séjour. Nous perdons encore de l’argent… Comment pourrait-il en être autrement dans un tel contexte ?

L’année 2009 ne dérogera pas à la règle : beaucoup de travail et peu de moyens. Nous devons mettre en place le dossier patient informatisé et le PMSI en psychiatrie. Un mi-temps TIM est dégagé pour ce travail, mais toujours pas de renfort médical. Cette même année débute également un gros chantier qui va s’étaler sur près d’un an et demi. Il s’agit, avec l’aide d’une société privée, d’améliorer les performances de l’établissement. Les gains potentiels annoncés sont alors pharaoniques, plus de 5 millions d’euros d’économie ! Cependant, ce travail ne peut pas se faire sans l’aide du médecin du DIM, le seul à pouvoir accéder légalement à l’information médicale. Le directeur me demande donc de coopérer et de considérer ce travail comme prioritaire. Sans entrer dans les détails, une dizaine d’actions sont engagées. Le DIM est alors fortement mis à contribution. Il faut mesurer, évaluer, simuler. Les réunions se multiplient, des dizaines de réunions. L’impact sur le fonctionnement du DIM est important : environ 1 600 heures de travail supplémentaires qu’il faut absorber à moyens constants. Je suis toujours seul à la barre du DIM. Malgré le coût élevé de ce travail, financé par l’ARS de Bretagne, et le temps passé par l’équipe du DIM et les soignants, les résultats ne sont pas à la hauteur. Les finances de l’établissement restent désespérément dans le rouge. Parallèlement, je tente de sensibiliser les médecins sur l’importance de bien signaler au DIM l’exhaustivité des prises en charge pour une meilleure valorisation de l’activité. C’est l’oubli de codage de certaines pathologies qui est responsable en grande partie de ce manque à gagner. L’hôpital n’est donc pas remboursé par l’Assurance Maladie à la juste hauteur des dépenses engagées pour les soins des patients. Ma charge de travail trop importante ne me permet pas de rencontrer mes collègues personnellement pour en discuter. Pour optimiser mon temps, j’organise, en mai et juin 2010, six réunions d’information, sans succès. Seuls 17 médecins (sur 122) acceptent de se déplacer. L’impact est négligeable. Pourtant, comme le laisse supposer l’analyse de la base de données médicales de l’hôpital de Saint-Malo, l’essentiel du problème est lié à un défaut de remontée d’informations vers le DIM. Mais il faut un bouc émissaire et la direction s’acharne à désigner le DIM comme responsable de la mauvaise situation financière de l’hôpital. Ainsi, fin 2010, quand, dans le cadre de son programme de travail, la Chambre régionale des comptes (CRC) de Bretagne procède au contrôle des comptes et à l’examen de la gestion du centre hospitalier de Saint-Malo à compter de l’exercice 2004, le directeur de l’hôpital, pour justifier les difficultés financières de l’établissement, met en avant le défaut d’activité et la mauvaise qualité du codage par l’équipe du DIM. Cela est imputable au médecin responsable du DIM. Le magistrat de la CRC demande alors à me rencontrer. Je n’ai aucune difficulté à lui expliquer, chiffres à l’appui, que l’équipe du DIM effectue un travail de bonne qualité. Dans son rapport 14, il conclura donc : « L’activité de codage au sein du CH de Saint-Malo ne semble pas poser de difficultés notables en comparaison avec les autres établissements de santé publics de Bretagne. » Ouf !

Devant les difficultés à obtenir une information de qualité, je propose alors à la direction de changer de méthode. Si l’information ne vient pas au DIM, il faut aller la chercher au sein des dossiers des patients. L’idée est de cibler des hospitalisations dont la valorisation paraît insuffisante au regard de leur durée de séjour. Charge à l’équipe du DIM de consulter les dossiers correspondants à la recherche d’une information valorisante non prise en compte. Une sorte de chasse au trésor peut commencer.

Cependant, nous sommes confrontés à un autre problème lié à la tenue des dossiers qui n’est pas toujours optimale. Le DIM ne peut coder que les pathologies nommées dans les dossiers des patients. C’est la règle. Malheureusement, trop souvent, même si les prises en charge sont bien décrites au sein des dossiers, les diagnostics correspondants ne sont pas toujours explicites. Ainsi, on peut par exemple lire que le malade présente des brûlures urinaires, qu’un germe a été identifié dans ses urines et qu’il a été traité par antibiotiques. Ce patient présente manifestement une infection urinaire, mais cela n’est pas expressément dit. En théorie, malgré la réelle consommation de ressources pour diagnostiquer et traiter cette infection, nous n’avons pas le droit de la coder, d’où un manque à gagner. On ne tardera pourtant pas à me donner l’autorisation de le faire.

Extrait de "Le serment d’hypocrite", du Dr jean-Jacques Tanquerel, aux éditions Max Milo, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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