Les gouvernements minoritaires ne sont pas un danger pour les finances publiques (et pourraient même leur être favorables…)<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Pourrait-il y avoir une vertu spécifique des gouvernements minoritaires en matière de déficit ?
Pourrait-il y avoir une vertu spécifique des gouvernements minoritaires en matière de déficit ?
©Christophe Petit Tesson / EPA POOL / AFP

Majorité relative

C’est ce que montre une étude menée par un économiste de l'Ifo Institute en croisant les données de l’OCDE sur 55 ans.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

Voir la bio »

Atlantico : La France a depuis quelques jours un gouvernement sans majorité absolue à la chambre. On s’attend souvent à ce que les gouvernements minoritaires aient des déficits budgétaires et des dépenses publiques plus élevés que les gouvernements majoritaires car ils doivent faire de nombreux compromis. Une étude publiée en 2019, Fiscal performance of minority governments: New empirical evidence for OECD countries, comme d’autres auparavant, suggère que les gouvernements minoritaires ne sont pas synonymes d’augmentation des déficits budgétaires et de dépenses accrues. Comment les données de l’OCDE illustrent-elles ce constat ?

Michel Ruimy : Cette étude examine les impacts, sur les soldes budgétaires et les dépenses publiques, des politiques fiscales des gouvernements minoritaires de pays industrialisés, bénéficiant d’un soutien des partis d’opposition pour diriger la nation.

Comparée à d’autres études antérieures, son originalité réside dans l’utilisation de nouvelles données sur les administrations centrales de 23 pays de l’OCDE sur la période 1960-2015. Dans cet échantillon et sur la période, des gouvernements minoritaires ont été formés dans 12 pays (117 observations de gouvernements minoritaires sur un échantillon de 594 observations d’années-pays).

Il ressort de cet examen que les gouvernements minoritaires et majoritaires - c’est-à-dire ne bénéficiant pas de soutien de partis d’opposition - des pays de l’OCDE ont eu des performances fiscales relativement similaires.

Une faiblesse de cette étude, due vraisemblablement à une insuffisance de données, est de ne pas analyser l’influence de l’idéologie politique (Droite, Gauche, centre) des gouvernements minoritaires et celle des partis d’opposition qui les soutiennent, sur l’orientation de la politique générale.

À Lire Aussi

Mais pourquoi la France est-elle incapable de clarté (et d’efficacité) dans la gestion de ses finances publiques ?

Comment expliquer cette conclusion qui peut paraître contre intuitive ?

On pourrait croire intuitivement que le fait, pour les partis gouvernementaux, de détenir une majorité relative au Parlement confère aux autres partis, un pouvoir de négociation. Dans cette situation, lorsque le gouvernement souhaite faire adopter une loi, les partis gouvernementaux seraient alors dans l’obligation de composer avec des partis de l’opposition en faisant des compromis pour obtenir la majorité. C’est pourquoi, les détracteurs craignent souvent que ce type de gouvernement soit politiquement instable et coûte cher au contribuable en termes de déficits budgétaires et de dépenses publiques.

Par exemple, au Royaume-Uni, Theresa May était minoritaire à la suite des élections générales de 2017. Elle avait dû alors conclure un accord avec le Parti unioniste démocratique (DUP) pour obtenir le vote de leurs 10 élus pour pouvoir rester au pouvoir comme première ministre du gouvernement conservateur. Les médias avaient rapporté qu’en contrepartie, le DUP avait obtenu un financement supplémentaire d’environ de 1,5 milliard de livres pour stimuler l’économie de l’Irlande du Nord (investissements en infrastructures, en santé et en éducation). Cette entente - et le versement financier qu’il impliquait - avait soulevé des réprobations alors que, dans le même temps, la classe politique réclamait des moyens financiers pour soutenir les services de police et les forces de sécurité, dans la foulée d’une série d’attaques survenues sur le territoire britannique, et pour résoudre une crise du logement, déclenchée par l’incendie de la tour Grenfell, qui avait fait près de 80 morts.

Cet exemple n’est pas une généralité. Contrairement aux idées reçues, différentes études empiriques portant sur diverses périodes ont montré qu’au cours de leur mandature, les déficits budgétaires se sont davantage creusés avec des gouvernements minoritaires à parti unique que ceux, composés de 3 partis ou plus, qui n’obtiennent pas de résultats particulièrement médiocres (creusement des déficits budgétaires et hausse des dépenses publiques).

À Lire Aussi

Derrière les camouflages budgétaires, la dette française en route vers les 3000 milliards d’euros

Il semble que certains gouvernements minoritaires parviennent à trouver les bons partenaires c’est-à-dire ceux n’ayant pas trop d’exigences.

L’étude montre aussi que les déficits budgétaires étaient un peu plus élevés sous les gouvernements minoritaires à parti unique avec le soutien organisé des partis d’opposition que sous les gouvernements majoritaires seuls.

Pourrait-il y avoir une vertu spécifique des gouvernements minoritaires en matière de déficit ? Quelle pourrait, là encore, être l’explication ?

En fait, l’adoption de lois ne réclame pas nécessairement de rechercher une majorité politique au Parlement. Souvent, les gouvernements minoritaires passent des accords avec les autres partis non gouvernants qui les soutiennent.

Dans des pays comme la Nouvelle-Zélande et la Suède, il est courant que les gouvernements minoritaires signent un accord formel de coalition avec les partis d’opposition qui les supportent (« parlementarisme contractuel »). Dans cette coalition, les relations entre les parties prenantes sont si institutionnalisées que cette configuration se rapproche d’une situation de gouvernement majoritaire et la dérive des finances publiques est relativement bien contenue.

Cela veut-il dire que la mandature qui s’annonce, malgré l’absence de majorité absolue d’Ensemble, n’a pas forcément à être synonyme de dérive budgétaire ?

En effet. D’autant qu’en Europe, depuis la crise des dettes souveraines et celle migration depuis les années 2010, les politiques des gouvernements minoritaires font l’objet d’une attention accrue en raison de l’évolution des systèmes de partis.

Si les programmes et les politiques des « partis établis » ont convergé dans de nombreux pays européens, de nouveaux courants (populistes) sont entrés dans l’arène politique et ont poussé à la fragmentation les systèmes de partis traditionnels. Ainsi, les partis établis ne sont plus en mesure de former des gouvernements majoritaires à 1 ou 2 partis et sont devenus des options politiques dans des pays qui n’avaient pas auparavant de gouvernements minoritaires.

À Lire Aussi

Hausse des taux et récession : cette méga tempête économique et politique qui menace la France

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !