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Les Français continuent de consommer trop d’antibiotiques : à qui la faute ?
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C'est pas automatique

L’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament) vient de rendre un rapport sur la consommation des médicaments des Français. Leur consommation d’antibiotiques a augmenté de 3% ces 5 dernières années sans aucune hausse du nombre des pathologies.

Patrice Courvalin -Yvon Michel-Briand

Patrice Courvalin -Yvon Michel-Briand

Patrice Courvalin est professeur de médecine, directeur de l'Unité des Agents Antibactériens de l'Institut Pasteur de Paris.

Yvon Michel-Briand est chercheur au CNRS et professeur à l'université de médecine de Franche-Comté. Il a publié Histoire de la résistance aux antibiotiques aux éditions de l'Harmattan. 

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Atlantico : L’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament) vient de rendre un rapport sur la consommation des médicaments des Français. Leur consommation d’antibiotiques a augmenté de 3% ces 5 dernières années alors qu'aucune hausse du nombre des pathologies n'a été constatée. Parallèlement, 90 % des consultations en France se soldent par une prescription. Sachant qu'un antibiotique est forcément prescrit, peut-on dire que la responsabilité de cette hausse est à imputer aux médecins ? Dans quelle mesure ? 

Patrice Courvalin : Les médecins sont soumis à une pression sociale qui engendre quelquefois des prescriptions inutiles. Un exemple parlant est celui des parents qui ont un enfant malade : très souvent, les parents pensent que leur enfant ne sera bien soigné que si le médecin lui a prescrit des antibiotiques. De plus, très souvent les crèches n'acceptent de reprendre les enfants malades que lorsqu'ils sont sous prescription médicale. C'est finalement un problème beaucoup plus sociétal que médical, même si la prescription émane du médecin.

Dans l'imaginaire collectif, les antibiotiques soignent tous les maux. La réalité du raisonnement de la prescription est en fait beaucoup plus complexe : même si les antibiotiques sont inefficaces sur les virus, dans certains cas il faut les prescrire pour éviter les surinfections -en cas de patient déjà affaibli notamment. On ne peut donc pas avoir une vision simpliste de la prescription. 

La politique organisée autour des génériques est également à mettre en cause : quand on veut restreindre l'utilisation d'un produit, il n'est pas forcément très judicieux d'en baisser le prix. Certes, les génériques ont des avantages pour la Sécurité sociale et l'accès au soin pour les plus démunis, mais en ce qui concerne l'évolution des bactéries vers la résistance, c'est contestable.

Comment peut-on l' expliquer?  Le médecin se sent-il obligé de prescrire car l'attente du patient réside surtout dans la délivrance d'une ordonnance ?

Yvon Michel-Briand  : La prescription d’antibiotique non justifiée survient principalement pour les infections respiratoires qui sont dans la majorité des cas dues à des virus. Alors pourquoi des antibiotiques sont-ils prescrits ? Les facteurs de la prescription sont nombreux, parmi eux :

  • La nature de la maladie : le médecin doit déterminer au cours de la consultation que l’affection est virale. Le seul test qui peut être fait « au lit du malade » pour distinguer une angine virale d’une angine bactérienne est le TDR. En 2005, seulement 23,7% des médecins ont pratiqué ce test en Rhônes-Alpes. Ce test serait trop peu utilisé actuellement.

  • Le malade doit être informé actuellement par les campagnes de l’assurance maladie que les maladies virales ne sont pas à traiter avec les antibiotiques, mais d’autres (sont-ils plus nombreux actuellement ?) pensent encore que l’on guérit plus vite avec les antibiotiques.

  • Le médecin. Certains malades sont exigeants, le médecin subit une certaine pression. Suivant l’état du malade, le médecin prescrit pour un effet protecteur, contre d’éventuelles complications bactériennes. Les sujets sont de plus en plus âgés, leurs défenses sont amoindries et l’on sait que l’infection virale peut « faire le lit » de l’infection bactérienne.

  • Une prescription antibiotique de trop n’est, en règle générale, pas préjudiciable pour le malade (mais pas pour l’augmentation des résistances bactériennes), il n’en serait pas de même pour d’autres traitements mal adaptés (affection cardiaque…)

Notons que dans les hôpitaux, les infections nosocomiales, contractées lors d’une hospitalisation, exigent un traitement antibiotique (justifié, mais de trop !) souvent lourd, du fait de la résistance des bactéries impliquées .

Quels sont les paramètres qui justifient une bonne prescription ? 

Yvon Michel-Briand : Une bonne prescription antibiotique est faite pour une infection bactérienne authentifiée, elle doit être à doses suffisantes (données par le laboratoire fabriquant), pendant un temps suffisant (huit jours dans les cas les plus fréquents). Le traitement ne doit jamais être arrêté par le patient dès qu’il se sent mieux. Le choix de l’antibiotique dépend de la nature de la bactérie (suivant un test de sensibilité aux antibiotiques ou antibiogramme, si l’infection est sérieuse) et de l’état du malade (sujet allergique ou ayant une atteinte rénale…)

Quelles conséquences cette sur-consommation pourrait avoir à long terme ? 

Patrice Courvalin : Le problème majeur d'une sur-consommation d'antibiotiques est la dissémination des bactéries résistantes. Il n'y a pas de nouveaux antibiotiques, et dans le même temps les bactéries sont de plus en plus résistantes, ce qui rend les traitements de plus en plus délicats. Les prescriptions concernent de façon croissante des molécules de dernier recours, qu'il faudrait réserver aux cas sévères. On va donc sélectionner des mécanismes de résistance qui vont rendre les antibiotiques de derniers recours inactifs. 

Pour conclure, du fait de cette corrélation entre l'utilisation abusive des antibiotiques et l'augmentation de la résistance, on ne peut que se désoler de l'augmentation de cette consommation.

La résistance aux antibiotiques est en réalité un problème de société : la mauvaise utilisation d'un antibiotique par un malade peut avoir des répercussions sur son entourage : on peut très bien ne jamais prendre d'antibiotique et pourtant faire une infection avec une bactérie résistante à toutes les molécules. Lors d'un vol en avion par exemple, si un tuberculeux mal traité tousse deux sièges devant vous, il y a de très grandes chances que vous développiez une tuberculose multi-résistante aux antibiotiques. Le mésusage que certains font des antibiotiques va avoir des répercussions sur l'utilisation que peuvent en faire les autres.

Avec la sur-utilisation des antibiotiques, on va retourner à l'ère "pré-antibiotique", avec des bactéries sur lesquelles plus aucune molécule n'aura d'efficacité.  Il faut redonner un vrai statut aux antibiotiques pour éviter leur banalisation. 

Yvon Michel-Briand : La consommation répétée d’antibiotiques habitue les bactéries pathogènes, responsables de maladie, à ces produits. Ces bactéries deviennent résistantes, ce qui incite à utiliser des antibiotiques plus puissants, que l’on cherchait à réserver pour des pathologies sévères et ces antibiotiques deviennent eux-mêmes résistants. On risque de plus avoir d’antibiotique efficace pour traiter des infections sévères. Une autre conséquence plus insidieuse, est que les bactéries non pathogènes, voire bénéfiques (celles de l’intestin par exemple) deviennent résistantes et constituent un réservoir de gènes de résistance, gènes qui pourront se disséminer à de nouvelles bactéries pathogènes.

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