Les excédents commerciaux allemands se sont évaporés. Et voilà ce que ça signifie pour l’Europe <!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron et Olaf Scholz lors d'une réunion du G7.
Emmanuel Macron et Olaf Scholz lors d'une réunion du G7.
©HANNIBAL HANSCHKE / POOL / AFP

Fin du modèle allemand ?

L’Allemagne était devenue le premier Etat de la zone euro à dégager d’importants excédents commerciaux dans les années 2000. La réorganisation du modèle de croissance allemand va avoir des conséquences pour les pays européens.

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Atlantico : Les excédents commerciaux allemands qui faisaient la singularité allemande semblent s’être évaporés. Quelle en est la cause ?

Rémi Bourgeot : Lorsque l’on voit fondre un excédent commercial, autrefois massif, on a tendance à penser à un déclin des débouchés. Dans le cas de l’Allemagne, en réalité, les exportations ne baissent pas encore pour l’heure, malgré une explosion des prix de production de plus de 30% sur un an. L’effondrement de l’excédent est davantage dû à l’explosion du prix des importations, énergétiques en particulier. Cela n’en est pas moins problématique pour cette économie dont le modèle repose tant sur la compression des coûts, au moyen de l’optimisation géographique des chaînes de production internationales et de l’abaissement de ses coûts salariaux et énergétiques.

Avec la crise énergétique et la multiplication des pénuries, ce modèle se montre vulnérable et affronte des défis de fond, après une dizaine d’années d’excédents démesurés (avec un excédent courant continuellement à plus de 7% du PIB). Ces défis dépassent la seule question de l’évolution du solde commercial. L’Allemagne, dont l’industrie représente encore environ 19% du PIB, reste certes plus industrialisée que certains de ses pairs d’Europe occidental comme la France (désormais à moins de 10% du PIB). Pour autant, il ne faut pas sous-estimer les conséquences de l’ultra-tertiarisation et de la relégation relative des milieux techniques et scientifiques en Allemagne, comme dans toute l’Europe de l’Ouest. Les débats énergétiques allemands depuis dix ans, menés par les partis politiques et les administrations, ont d’ailleurs illustré cette difficulté dans la confrontation concrète à la réalité statistique et technologique. L’Europe centrale et orientale est devenue pendant ce temps le cœur vibrant des compétences industrielles, mais aussi mathématiques européennes, comme on le voit aujourd’hui sur le front de l’intelligence artificielle notamment.

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La tendance majeure de l’industrie allemande ces deux dernières décennies a été l’éclatement des sites de production à l’échelle mondiale et le ciblage de marchés émergents avec une focalisation sur la Chine. Cette approche stratégique et managériale, reposant de façon démesurée sur le prestige de ses marques et l’image d’un « made in Germany » aux contenu géographique devenu flou, s’est accompagné d’un recul de l’innovation, avec en particulier la désertion de secteurs de pointe, comme l’électronique, et une surspécialisation sur des secteurs et des technologies trop peu innovantes, jusque dans l’automobile.

La disparition des excédents commerciaux allemands va réduire la marge de manœuvre de Berlin. Quelles conséquences cela peut-il avoir sur le reste de l’Europe ?

L’excédent hors norme de l’Allemagne s’était constitué suivant une stratégie de compression des coûts industriels, salariaux et énergétiques, en particulier dans les années 2000, pour résoudre le manque de croissance du pays et surtout son chômage alors élevé. Par la suite cependant, après la crise financière et à partir de la crise de l’euro, c’est la politique de désendettement du gouvernement qui a constitué le facteur de fond de l’explosion de l’excédent courant du pays, par compression de la demande publique.

Ces deux étapes ont toutes deux été problématiques pour l’équilibre européen. La première en particulier a empêché la croissance des coûts salariaux allemands et créé d’importantes divergences de compétitivité en Europe. En effet, dans le même temps, les partenaires de l’Allemagne, comme l’Italie ou la France, connaissaient une croissance de leurs coûts salariaux tout à fait normale, suivant une inflation modérée mais tout de même moins basse que celle de l’Allemagne (qui, sous Gerhard Schröder, comprimait en plus activement ses coûts réels par le bais de réforme du marché du travail). Cette divergence de compétitivité, ancrée dans l’incompréhension d’un phénomène normal d’écarts d’inflation entre partenaires économiques, a été le moteur silencieux de la crise de l’euro. Sa gestion, avec trop peu d’égard pour les réalités économiques et industrielles, a avant tout consisté à imposer au pays dans la tourmente un modèle de compression des coûts et de croissance par les exportations bon marché.

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L’Allemagne sera-t-elle le maillon faible qui ferait s’effondrer la zone euro ?

Avec une telle focalisation, trop éloignée des considérations scientifiques et industrielles, la question de la modernisation productive et de l’innovation a eu tendance à être laissée de côté en Europe. Ce retard est aujourd’hui visible jusque dans les secteurs qui ont pourtant constitué le cœur du modèle industriel allemand et européen. Dans l’automobile, le continent est mal positionné dans la révolution de l’électrique et creuse de nouvelles dépendances dans ce domaine, en particulier en ce qui concerne les batteries. On peut aujourd’hui craindre, avec l’ébranlement du modèle industriel allemand par la crise énergétique que de nouvelles politiques macroéconomiques déséquilibrées ne soient mises au point.

Les Etats européens ont-ils conscience de ce que ce changement en Allemagne risque d’avoir comme effet sur eux ?

Au-delà des discours politiques, le manque de coordination réelle dans une zone économique aussi intégrée est toujours marquant. Ce manque découle essentiellement de l’absence de constats communs. Partout se réveille une certaine conscience industrielle, face aux pénuries issues de la pandémie et face à la crise énergétique actuelle, avec des programmes technologiques plus ou moins ambitieux. Pour autant, ceux-ci manquent souvent d’expertise concrète et d’orientation scientifique, comme c’est malheureusement le cas de « France 2030 » par exemple. En Allemagne comme dans le reste de l’Europe, les milieux politico-administratifs éprouvent une certaine difficulté à retrouver la voie d’un équilibre avec les milieux scientifiques et technologiques dans l’élaboration des décisions stratégiques.

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