Les études qui montrent que les réglementations foncières trop restrictives aggravent les inégalités sociales<!-- --> | Atlantico.fr
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L'écart entre riches et pauvres se creuse depuis maintenant plusieurs dizaines d'années aux Etats-Unis.
L'écart entre riches et pauvres se creuse depuis maintenant plusieurs dizaines d'années aux Etats-Unis.
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Une étude américaine révèle que les baisses d'attributions de permis de construire dans certaines régions des Etats-Unis empêchent les migrations liées au travail, et créent des poches de richesse et d'autres de pauvreté.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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L'écart entre riches et pauvres se creuse inexorablement depuis maintenant plusieurs dizaines d'années aux Etats-Unis. Un tour de la pauvreté réalisé par un professeur de Princeton et un présentateur de radio et de télévision a ainsi montré que le pays est dans un sale état. Près de 43,6 millions d'Américains vivent en effet sous le seuil de pauvreté. Les raisons ne manquent pas pour expliquer les inégalités sociales au pays de l'Oncle Sam. Mais ces derniers jours, une nouvelle explication fait petit à petit son bout de chemin.

Daniel Shoag, professeur assistant au Kennedy School’s Taubman Center for State and Local Government, met ainsi en avant les réglementations foncières trop restrictives pour expliquer l'aggravation des inégalités sociales aux Etats-Unis. L'universitaire assure ainsi que les interdictions croissantes de construire dans les localités riches empêchent les travailleurs moins qualifiés de s'y installer, ce qui exacerbe assez logiquement les inégalités mais menace également la mobilité du travail, un élément pourtant crucial pour avoir une économie en bonne santé.

Pour arriver à cette conclusion, l'Américain, associé à l'économiste Peter Ganong, s'est rendu compte que la migration liée au travail, caractérisée par un emménagement de salariés dans des villes plus productives afin d'être mieux payés, permettait d'expliquer entre 40 et 75% de la baisse des inégalités économiques entre les Etats. En effet, tandis que de plus en plus de travailleurs se rendent dans des zones où les loyers sont élevés, les salaires diminuent et le capital humain s'équilibre. Pendant ce temps, les régions qui perdent des travailleurs voient les salaires s'accroître ce qui attire donc de nouveaux salariés, et les revenus moyens d'augmenter. Mais dans les années 1980, cette migration s'est arrêtée et la convergence des revenus de suivre la même tendance.

Les deux Américains se sont alors rendu compte que le prix du foncier dans des villes comme New York City, Boston ou encore San Francisco augmentait plus vite que les salaires dès les années 1980. Les travailleurs moins qualifiés n'avaient donc plus vraiment d'intérêts à déménager dans ces zones où les salaires sont plus élevés qu'ailleurs. Et au lieu de voir des travailleurs moins qualifiés emménager dans ces régions plus riches et baisses les revenus moyens permettant de diminuer les inégalités sociales, ils se retrouvent à devoir déménager. "Ce qui se passe maintenant est un tri des qualifications. Les personnes qualifiées continuent d'emménager, tandis que les pauvres doivent déménager", résume ainsi Daniel Shoag.

Pour expliquer cette hausse du coût de la vie qui l'emporte désormais sur une hausse des revenus, les deux chercheurs se sont intéressés au terme "utilisation du foncier" et se sont alors rendu compte que les restrictions de constructions, les réglementations foncières sont devenues de plus en plus courantes aux Etats-Unis dès les années 1970. Ainsi, de plus en plus de régions ont limité les délivrances de permis de construire ce qui a assez logiquement augmenté les prix du foncier dans ces zones, et donc limité la migration ralentissant par la même occasion la convergence salariale. Et les inégalités sociales d'augmenter. Le tout à cause de réglementations financières trop restrictives.

Atlantico a posé 3 questions à Mathieu Mucherie, économiste de marché sur Paris (il s'exprime ici à titre personnel).

Atlantico : Deux chercheurs américains assurent que les réglementations foncières trop restrictives ont aggravé les inégalités sociales aux Etats-Unis. Quelle est la part de responsabilité de la réglementation foncière dans la bulle immobilière en 2007-2008 ?

Mathieu Mucherie : Le technique des restrictions foncières aux Etats-Unis a été utilisée par les économistes pour expliquer la bulle. Les travaux d'Edward Glaeser et Joseph Gyourko montrent très clairement la responsabilité des restrictions foncières dans l'émergence sur la bulle ayant frappé la Californie et ailleurs. C'est toute la différence que faisait Paul Krugman entre les flat land (terme qui renvoie à toutes les terres du middle west comme le Texas, Atlanta... où les restrictions foncières étaient très faibles et, par conséquent, les prix limitées même dans les zones à fortes croissances comme Dallas) qui n'ont pas connu de crise et l'autre Amérique (comme la Californie ou New-York ayant une réglementation très forte, y compris au niveau local, caractérisée par une quasi-impossibilité de construire où l'on veut, des dispositifs juridiques biaisés et un avantage considérable pour les citoyens déjà présents depuis longtemps) qui ont connu une bulle immobilière. L'offre étant très contrainte, la moindre croissance dégénère en bulle. Certains quartiers de villes se comportaient comme l'OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole, ndlr) des années 1970 : il exerce un réel pouvoir sur l'offre immobilière.

Pour expliquer la bulle immobilière qui s'est transformée en crise, tout le monde a soit mis l'accent sur les produits subprimes ce qui a permis de pointer les banques, soit la politique monétaire de la Fed (la banque centrale des Etats-Unis, ndlr). Si les distributeurs de liquidités étaient responsables, la crise aurait été homogène sur l'ensemble du territoire américain. Or, elle a éclaté dans les zones où il y avait peu de croissance (New-York, Californie...) et n'a pas eu lieu là où il y avait de fortes croissances (flat land). La bulle ne peut donc s'expliquer que par des réglementations foncières différenciées et donc à des différences... politiques.

Selon ces deux chercheurs, les baisses d'attributions de permis de construire dans certaines régions des Etats-Unis empêchent les migrations liées au travail et créent en conséquence des poches de richesse et d'autres de pauvreté. Qu'en pensez-vous ?

La différence de réglementation foncière a inéluctablement creusé les inégalités puisqu'à partir du moment où les dispositifs mis en place sont contraignants, les migrations sont bloquées ainsi que les incitations à l'égalisation, c'est à dire la convergence.

Les inégalités se sont également accrues du fait de la violence de la crise et de la modification de la structure familiale depuis 30 ans : les Américains se regroupent de plus en plus entre similarités professionnelles et niveaux de vie. Autre facteur, l'explosion de la famille a conduit certaines femmes à devenir des mères célibataires. Un ensemble de facteurs expliquent l'accroissement des inégalités dont les différences de réglementations foncières, même s'il n'est pas le plus important.

Comment expliquer ces limitations de baisses d'attributions de permis de construire dans des zones plus riches sachant que les auteurs précisent bien qu'elles ont précédé la concentration de richesse ? Peut-on remédier à cette situation ?

Les Etats-Unis ne prennent pas actuellement le chemin conduisant à une réduction des inégalités. La politique de Barack Obama ne va clairement pas dans cette direction d'autant plus que la réglementation foncière ne relève pas de l'Etat fédéral mais plutôt du niveau des Etats, voire des comtés.

On touche à des intérêts privés : le propriétaire d'une maison en face du Pacifique et proche de San Francisco n'est pas prêt de lâcher de lest sur la réglementation qui interdit de construire à côté chez lui. Des associations se forment même pour essayer de cloisonner les propriétaires, bien souvent en se déguisant sous des angles tels que la protection de l'environnement par exemple. Ils ne risquent pas de se laisser faire. Pour y remédier, il faudra donc se heurter frontalement à un tas de gens.

Il s'agit donc plus d'une question d'économie politique, de compromis qui se réglera au cas pas cas puisqu'il s'agit de questions locales.

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