Les emplois pénibles ne sont pas uniquement ceux qu’on veut bien voir et on peut douter que le "compte individuel pénibilité" nous rende la vue<!-- --> | Atlantico.fr
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Le traitement de la pénibilité dans le cadre de la retraite fait l'objet de discussion depuis dix ans.
Le traitement de la pénibilité dans le cadre de la retraite fait l'objet de discussion depuis dix ans.
©Reuters

On compte les points

Le compte pénibilité est un système de points cumulés selon la pénibilité de travail du salarié. Ces points permettraient de racheter des trimestres pour partir à la retraite plus tôt. Mais ces propositions cachent plusieurs effets pervers...

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Atlantico : Le gouvernement réfléchit à mettre en place un "compte pénibilité". Les entreprises devraient s'acquitter d'une cotisation, afin de réunir 2 milliards d'euros par an. Quant aux employés, ils disposeraient d'un compte à points qui leur permettrait de racheter des trimestres pour partir plus tôt à la retraite, jusqu'à deux ans maximum. Ce système a pour but de récompenser la pénibilité d'un travail. Aujourd'hui la pénibilité souffre-t-elle réellement d'un défaut de compensation et de reconnaissance ? Dans tous les secteurs ?

Philippe Crevel : Le traitement de la pénibilité dans le cadre de la retraite fait l'objet de discussion depuis dix ans. La loi Fillon de 2003 prévoyait une négociation entre partenaires sociaux afin de régler ce problème. Du fait de la complexité du sujet et de l'absence de consensus, la négociation échoua après trois ans de discussion. Le Gouvernement de François Fillon a, en 2010, dans le cadre de la réforme Sarkozy, pris acte de cet échec et décidé d'intégrer dans la loi dite "Sarkozy" qui reporte l'âge légal de 60 à 62 ans un dispositif permettant la prise en compte de la pénibilité.

Le texte prévoit un départ à la retraite maintenu à 60 ans pour les actifs ayant un taux d’invalidité d’au moins 20 %. Entre 10 et 20 % d’invalidité, les dossiers sont examinés par une commission technique. Il faut alors remplir certaines conditions pour partir avant 62 ans. Les actifs concernés doivent entre autre prouver qu’ils ont été exposés à des travaux pénibles durant pendant au moins 17 ans. Si 30  000 personnes sont susceptibles de bénéficier de cette mesure, seules 5 695 en ont pour le moment profité. Ce faible engouement s'explique par la complexité des démarches et par la méconnaissance de ce dispositif.

Les salariés victimes de l'amiante bénéficient d'un régime spécifique leur ouvrant droit à une retraite anticipée. De même, les salariés des secteurs des transports, de l'énergie, des charbonnages peuvent partir plus tôt à la retraite dans le cadre des régimes spéciaux. Ces départs précoces étaient initialement la contrepartie de la pénibilité des missions remplies par les salariés concernés. 

Le problème clef de la pénibilité est sa définition. La pénibilité est un phénomène relatif qu'il faut apprécier dans le temps. Une activité aujourd'hui jugée inoffensive pour la santé peut se révéler très dangereuse dans 5 ou 10 ans. De même, ce qui est supportable en 2013 pourrait être apprécié de manière différente en 2033. Nul ne parlait il y a trente ou quarante ans de la pression morale, du burn out.

Comment la pénibilité est-elle jugée ? Le système prend-il en compte toutes les formes de pénibilités : physiques et morales ?

Depuis le 1er juillet 2011, les personnes concernées par le dispositif de retraite anticipée pour pénibilité ont la possibilité de partir en retraite à taux plein dès 60 ans, quel que soit le nombre de mois de cotisations. Ce dispositif ne concerne pas les assurés du régime des indépendants qui ne sont pas concernés par ce départ anticipé. 

Pour entrer dans le dispositif, les assurés doivent justifier d'un taux d'incapacité permanente reconnu au titre d'une maladie professionnelle ou d'un accident du travail dont les lésions, déterminées par arrêté de 2010, sont identiques à celles indemnisées au titre d'une maladie professionnelle. 

Les conditions d'obtention d'une retraite anticipée sont établies en fonction du degré d'incapacité. Pour un taux d'incapacité permanente d'au moins 20%, le droit à la retraite est ouvert automatiquement. 

Pour un taux d'incapacité permanente situé entre 10 et 20%, d'autres conditions doivent être satisfaites. Le salarié doit prouver qu'il a été exposé pendant au moins 17 ans à un ou plusieurs facteurs de risques professionnels. Par ailleurs, une commission pluridisciplinaire examine son dossier en vue de formuler un avis à la demande adressée à la caisse de retraite. Si le taux d'incapacité est inférieur à 10%, le départ anticipé ne peut pas jouer. Ce dispositif prend en compte les pénibilités essentiellement physiques et par définition reconnues. Il a été jugé par les syndicats comme insuffisant pour régler le problème. 

Il faut souligner que les employeurs doivent désormais mettre en œuvre des plans d'action de lutte contre la pénibilité. Les entreprises tenues de mettre en place un accord ou "plan d'action" de prévention de la pénibilité sont celles dont au moins 50% des salariés sont exposés à des facteurs de risques professionnels et employant au moins 50 salariés. Les accords ou les plans d'action doivent avoir comme objectif la réduction de l'exposition aux facteurs de risques professionnels et doivent viser à améliorer les conditions de travail à travers notamment le développement des compétences et des qualifications et l'aménagement des fins de carrière. La souffrance morale est de plus en plus prise en compte par les partenaires sociaux, en particulier au sein des grandes entreprises. L'affaire Orange a eu pour conséquence l'ouverture de discussions sociales sur le sujet. 

Si aujourd'hui on reconnait qu'il n'y a pas que la pénibilité physique, comment prendre en compte les nouvelles formes de pénibilité type burn out ? Sont-elles prises en compte actuellement ?

Les nouvelles formes de pėnibilitė ne sont que très imparfaitement prises en compte. Les souffrances morales sont par dėfinition difficilement mesurables et quantifiables. Les facteurs sont tout à la fois internes à l entreprise et externe. Un salariė ayant un problème personnel sera plus sujet à des souffrances morales au sein de l entreprise. Les entreprises doivent surveiller l'évolution des nouvelles formes de pénibilité morales mais cela reste assez théorique.  Le harcèlement moral est reconnu aujourd’hui mais il est très difficile à prouver.

Quelles sont les secteurs qui ne sont pas jugés comme pénibles ? A raison ou à tort ?

Tout secteur d'activité peut être jugé comme pénible. Il peut y avoir dans toute entreprise des activités pénibles et d'autres pas. Un magasinier travaillant dans une entreprise informatique ou dans une entreprise de transport peut être confronté à la même pénibilité. Un avocat sous la pression de ses clients et travaillant douze ou quatorze heures peut s'exposer à des problèmes de santé tout aussi handicapant qu'un salarié exerçant son activité dans un secteur dit pénible. Avec la robotisation, avec l'automatisation, les tâches physiques ont tendance à se réduire. En revanche, le travail répétitif, la caissière de supermarché, le salarié en charge de la saisies de données sur ordinateur, le travailleur supervisant un automate... est aujourd'hui monnaie courante. 

Finalement, hormis quelques secteurs bien particuliers, la pénibilité est-elle si mal répartie parmi les salariés ? Du coup, ne faudrait-il pas plutôt se pencher sur le cas des avantages accordés à ces secteurs particuliers ?

Tout emploi est pénible... L'instauration d'une classification par la loi ou par décret aboutit à geler des situations. Il s'agit d'une photographie à une date t. Le traitement de la pénibilité passe par une réflexion sur les conditions de travail, sur les modalités de son exercice. Avec le vieillissement de la population active, il convient de travailler sur une meilleure identification des sources de fatigue physique et morale du travail.

Peut-on réellement baser un système de points sur des critères aussi subjectifs que la pénibilité au travail ? Quels sont les risques de cette mesure ?

L'instauration d'un "compte individuel pénibilité" donnera la possibilité pour les actifs d'accumuler des points en fonction de leur exposition à des tâches dites pénibles, points ouvrant droit à des trimestres de cotisation pour la retraite ou pour la formation. Sur le principe, cette idée est séduisante. Néanmoins, elle aboutit à un renchérissement du coût du travail évalué à 2 milliards d'euros et surtout à dissuader les entreprises à réaliser des efforts pour réduire la pénibilité.

Il aurait mieux valu opter pour un système d'assurance. Les entreprises qui exposeraient leurs salariés à des tâches contraignantes seraient amenées à verser des primes plus importantes que celles qui auraient un comportement vertueux. Du fait que la pénibilité s'apprécie dans le temps, il faudrait imaginer un système de provisions. L'idée actuelle serait la centralisation des comptes sur la Caisse des Dépôts. Il en résultera une tentation pour tous les Gouvernements de ponctionner un jour ou l'autre cette cagnotte. L'octroi des points sera également une source de marchandage social et politique. Il y a un risque de détournement du dispositif pour améliorer la retraite de certaines catégories au détriment d'autres.

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