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Les cryptomonnaies pourraient-elles permettre à la Russie de contourner les sanctions ?
Les cryptomonnaies pourraient-elles permettre à la Russie de contourner les sanctions ?
©OZAN KOSE / AFP

Contournement de sanctions

Face aux sanctions économiques, la Russie envisagerait de légaliser les cryptomonnaies pour le commerce international et la finance, selon des informations de médias allemands.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Selon la télévision allemande, la Russie envisagerait de légaliser les cryptomonnaies pour le commerce international et la finance. Dans quel but ? Comment interpréter cette légalisation ?

Michel Ruimy : Au premier semestre 2022, les flux en cryptos et bitcoin captés par la Russie ont été de l’ordre de 120 milliards USD, en repli de 10% par rapport à la même période de l’an passé. En outre, la chute des cours des cryptos depuis 1 an ne favorise pas leur adoption comme actif refuge et la guerre en Ukraine n’a pas, pour l’instant, marqué la « crypto-monétisation » massive de la Russie. Selon les estimations, entre 10 et 12 % de la population russe, soit entre 14 et 17 millions de personnes, détiendraient des bitcoins et cryptos.

Dans ce contexte, si les députés ont déjà rejeté, par le passé, un projet de loi similaire, rédigé par un petit groupe de députés de l’opposition, la nouvelle législation semble être différente et avoir la bénédiction de la plupart des grands ministères et de la banque centrale, pourtant farouchement crypto-sceptique en temps normal. Aujourd’hui, il semble qu’elle ait été convaincue par le fait que si les mineurs sont autorisés à opérer dans le pays, les cryptomonnaies comme moyen de paiement sont interdites et les ventes de ces supports exclusivement réservées aux non-résidents russes.

L’institut d’émission russe a toujours montré son intérêt pour la technologie de la blockchain. Elle cherche le meilleur moyen de l’exploiter à son avantage en multipliant les explorations. Elle a récemment rendu public un rapport de consultation (« Actifs numériques en Fédération de Russie ») dans lequel elle envisage la manière de réguler l’ouverture de son marché intérieur à des émetteurs d’actifs numériques étrangers, issus de « pays amis », ce qui limite, tout de même, les possibilités. S’il n’y a pas d’obstacles de dernière minute, la loi pourrait entrer en vigueur le 1er janvier 2023 et permettra à l’extraction de cryptoactifs d’être reconnue comme étant légale dans le pays.

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Ainsi, autoriser les cryptos pour commercer avec les pays qui ne lui tournent pas le dos, mais les interdire à ses propres ressortissants… tout en laissant se multiplier les distributeurs de cryptoactifs ? Voilà où on en est en Russie, cet hiver.

Cette proposition interpelle néanmoins. En effet, suite aux sanctions internationales liées à la guerre en Ukraine, de nombreuses plateformes étrangères ont interdit aux mineurs russes de vendre leurs actifs via leurs services. Dès lors, on peut penser que ces transactions s’effectueront via une « structure autorisée ».

Les cryptomonnaies pourraient-elles permettre de contourner les sanctions ? De devenir une nouvelle arme dans la guerre face à l’Occident ?

Le point le plus important dans ce dossier est la souveraineté monétaire et la capacité à commercer avec le reste du monde. En effet, depuis le début de l’« opération spéciale » russe, le pays s’est retrouvé au ban des nations et doit trouver un « plan B » pour continuer à faire des affaires.

L’objectif de cette nouvelle législation serait, à la suite des sanctions financières occidentales, d’utiliser les cryptomonnaies dans le cadre du commerce international et de la finance afin de financer les « importations parallèles » c’est-à-dire les importations sur le « marché gris » de biens essentiels à l’usage des entreprises manufacturières russes (semi-conducteurs, installations, machines…). Ces actifs deviendront ainsi des monnaies de transaction officielles avec les pays étrangers.

A cette fin, la Fédération de Russie pourrait utiliser une monnaie digitale de banque centrale - le rouble numérique - pour contourner l’isolement du pays, notamment pour régler des contrats avec ses voisins turques et chinois, bien contents, lui aussi, de jeter une pierre dans le « jardin de l’Oncle Sam ». Il s’agit, en particulier, pour ces grandes nations, de s’affranchir des monnaies de facturation internationale comme le dollar américain et, dans une moindre mesure, l’euro, afin de reprendre le contrôle des prix et des taux de change.

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Rappelons qu’aujourd’hui, si les transactions sont libellées en dollars, les États-Unis ont le contrôle ultime puisque la compensation des soldes en dollars a lieu sous juridiction américaine. Et la situation ne change pas beaucoup avec les cryptoactifs 1.0 rattachés au dollar (stablecoins).

Les cryptomonnaies peuvent-elles actuellement devenir des monnaies de transaction officielles avec des pays étrangers ? Quels seraient les avantages pour la Russie ?

Aujourd’hui, si les cryptoactifs ne peuvent pas remplacer le dollar comme première monnaie internationale, elles peuvent réduire la capacité de l’Administration américaine à contrôler les flux financiers internationaux et être, dans la situation actuelle, une solution pour la Russie. Exportateur net de matières premières, le pays pourrait s’engager, avec un pays tiers, dans un accord de type troc « pétrole contre machines », la cryptomonnaie servant de monnaie de transaction. Tant que les deux partenaires commerciaux sont convaincus que la valeur de la cryptomonnaie est maintenue - pas nécessairement en dollars mais avec la possibilité de l’utiliser dans de futures transactions entre eux - un découplage effectif du dollar a lieu.

Un autre domaine d’application pourrait être, par exemple, les industries d’armement. Si les sanctions occidentales n’ont pas eu, à ce jour, tout l’impact souhaité, les livraisons d’armes occidentales à l’Ukraine ont été un succès. Or, même si elle dispose encore d’un bon nombre de missiles, de drones…, les stocks russes ne sont pas infinis. La question est de savoir si ces importations parallèles permettront alors à la Russie de produire les armes dont elle a besoin en quantité suffisante pour continuer à mener la guerre.

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Pour autant, quels sont les risques ? Les pays occidentaux peuvent-ils exploiter ces failles ? Cette décision peut-elle, au contraire, affaiblir davantage l’économie russe ?

La guerre en Ukraine peut-elle faire émerger un nouvel ordre monétaire bipolaire, décentralisé, ou, dans une certaine mesure, moins centré sur l’hégémonie du dollar ? La Russie - et d’autres pays - s’y emploie mais la crise économique qu’elle traverse limite ses moyens et ses ambitions. Elle ne peut pas être sur tous les fronts et pour l’instant, les marchés des cryptos ne sont pas assez liquides pour lui permettre de contourner les sanctions de manière massive et systématique.

De plus, autoriser les monnaies décentralisées revient, pour de nombreux gouvernements, à ouvrir la boîte de Pandore et à perdre une partie du « contrôle » sur sa population. D’où les velléités de régulation. Les Russes n’échappent pas à cette règle. Consciente de tout cela, la banque centrale russe pose, d’ores et déjà, des garde-fous en listant l’ensemble des règlementations nécessaires afin de ne pas créer, en autres, de « risque financier » ou de « cybersécurité ».

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