Les crèches de Noël face au zèle laïc de la justice administrative française : sévérité pour les uns, tempérance pour les autres…<!-- --> | Atlantico.fr
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Un crèche de Noël, symbole religieux
Un crèche de Noël, symbole religieux
©Reuters

Deux poids, deux mesures

Une décision du 14 novembre du Tribunal administratif de Nantes a ordonné le retrait d'une crèche de Noël placée dans le hall du Conseil général de Vendée. Un rigorisme qui, curieusement, s'applique beaucoup moins vis-à-vis des associations musulmanes.

Nestor Lacourry

Nestor Lacourry

Nestor Lacourry est est Professeur des Universités en droit.

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Dura lex sed lex. Le Tribunal administratif de Nantes a suivi l’adage avec un zèle particulier dans sa décision du 14 novembre 2014 qui ordonne le retrait d’une crèche de la Nativité placée dans le hall du conseil général de la Vendée. Cette application tatillonne du principe de laïcité dans le cadre d’une affaire visant le culte catholique est conforme à la jurisprudence récente du Conseil d’État confirmée par l’arrêt du 15 février 2013 qui a dénoncé la modeste subvention – quelques milliers d’euros – accordée par la région Limousin à deux communes dans le cadre des ostensions septennales exposant les reliques de saint Martial ! Discipliné, le préfet de l’Hérault a ainsi récemment sommé Robert Ménard, maire de Béziers, de retirer la crèche installée à l’entrée de l’hôtel de ville du fait que sa présence « est contraire au principe de laïcité imposé dans les lieux publics ».

Un tel rigorisme pourrait éventuellement se concevoir si les juges du Palais Royal n’avaient pas consacré par trois arrêts du 19 juillet 2011 le contournement par les collectivités territoriales, en faveur d’associations musulmanes, de l’interdiction qui leur est faite par la loi du 9 décembre 1905 de subventionner l’édification de lieux de cultes. Ainsi, une collectivité territoriale peut procéder à l’aménagement d’un de ses locaux en un abattoir employé à l’occasion de l’Aïd el-Kébir ; mais aussi permettre l’utilisation d’une salle qui lui appartient pour l’exercice d’un culte à condition que l’usage ne soit pas « exclusif et pérenne » ; et surtout, céder à une association cultuelle pour 99 ans et un euro symbolique un terrain en vue de la construction d’une mosquée. Les collectivités territoriales n’ont donc plus réellement besoin de se cacher pour concéder aux associations cultuelles musulmanes l’avantageux système des baux emphytéotiques administratifs pour subventionner l’érection d’édifices religieux. Afin d’entretenir l’illusion, le Conseil d’État a rendu, le même jour, deux autres arrêts en faveur d’associations catholiques. Le premier permet à une municipalité d’acquérir un orgue pour l’église communale, alors que le second accepte que la ville de Lyon subventionne l’installation d’un ascenseur dans la basilique de Fourvière qui accueille chaque année deux millions de visiteurs ! Ce double alibi forgé par la haute juridiction cherche à camoufler derrière un rideau de fumée œcuménique l’affaiblissement sans précédent d’un des fondements de la loi de 1905 en faveur de l’islam.

Cette application à géométrie variable du principe de laïcité par le juge administratif laisse entrevoir une double stratégie : d’une part, faire table rase du passé catholique de la France, d’autre part, instaurer une forme de discrimination positive en faveur des religions minoritaires, principalement l’islam. Cette jurisprudence répond d’ailleurs aux vœux de certains auteurs qui dénoncent le développement de la « catho-laïcité », favorisée, selon eux, par l’instrumentalisation de la laïcité au profit de la religion historique – et encore majoritaire – de la France ! Le véritable objectif ici est de donner naissance à une « nouvelle France », une société désormais régie par le communautarisme. Ironie de l’histoire, notre pays a déjà connu le mythe totalitaire de l’« Homme nouveau » durant la période révolutionnaire. Quant au communautarisme, il a été pratiqué par de nombreux États occidentaux ces dernières décennies. Force est de constater que toutes ces expériences se sont soldées par des échecs aussi douloureux que cuisants.     

Afin d’engendrer l’« Homme nouveau », le citoyen parfait, la Terreur jacobine a voulu régénérer la France en menant une violente politique de déchristianisation. Pour les Montagnards, la religion constituait non seulement une entrave au développement des Lumières, mais, pire encore, à l’émergence de la République. Carrier, le bourreau de Nantes ( !) parlait clairement : « Nous ferons un cimetière de la France plutôt que de ne pas la régénérer à notre manière ». Promesse tenue, la révolution culturelle de l’an II – qui annonçait les pires totalitarismes du XXe siècle – fit plusieurs dizaines de milliers voire plus de cent mille morts. La chute de Robespierre puis l’avènement de Napoléon Bonaparte mirent progressivement fin à cette dérive infernale.

Il est impossible de prétendre effacer en un jour l’œuvre de plus d’un millénaire. Du baptême de Clovis à la Révolution, le catholicisme a été la religion officielle de la France. Il a ainsi modelé de façon indélébile l’identité de la nation française. L’absurdité et la nocivité du programme de la Terreur, visibles dans de nombreux domaines semblent faire écho à certaines postures contemporaines. Poussée à son terme, la logique de la tabula rasa développée par la jurisprudence administrative rejoindrait les aspirations des adversaires de la « catho-laïcité », s’agissant, par exemple, de notre calendrier qui, au grand dam de ces derniers, reste d’essence chrétienne. Pour les satisfaire, il conviendrait d’inclure dans ce calendrier des fêtes juives, musulmanes ou d’autres religions minoritaires, étape intermédiaire devant mener in fine à l’instauration d’un nouveau calendrier expurgé de toute référence chrétienne.

La Convention sous la Terreur n’avait pas œuvré autrement en instituant le calendrier républicain (octobre 1793) afin que l’ère de la Liberté remplace l’ère chrétienne. On changea les noms des mois et des jours – pour supprimer les saints et leur culte superstitieux – qu’on plaça fréquemment sous le patronage d’un végétal, n’hésitant pas à faire du vingt-troisième jour de vendémiaire la fête du navet ! Il fallut aussi supprimer les milliers de « Saint- » et « Sainte- » insérés dans les noms de lieux, tandis que Grenoble (« noble » !) devint évidemment Grelibre. Napoléon Bonaparte mit fin à cette farce grotesque en rétablissant les appellations traditionnelles. Si demain chaque religion bénéficiait de jours fériés spécifiques, le calendrier à la carte qui en résulterait finirait par perdre toute forme d’unité, fragilisant ainsi un peu plus la cohésion de notre société déjà largement ébréchée.

Mais qu’importe ! L’« Homme nouveau » doit surgir des ruines de l’ancien monde, le communautarisme religieux est appelé à régner sur la France. Pour cela, l’arme létale de la discrimination positive réclamée par les contempteurs de la « catho-laïcité » est donc actionnée par le juge administratif, notamment au sujet de la question sensible du financement des lieux de cultes. Il conviendrait en priorité d’aider l’islam – religion minoritaire en progression dont la présence est récente en France métropolitaine – à « rattraper son retard » dans ce domaine. Il existerait, en effet, un manque de mosquées eu égard au nombre de fidèles musulmans pratiquants en France… Bon prince, le Conseil d’État a fait le nécessaire notamment avec sa jurisprudence du 19 juillet 2011, et les progrès sont éclatants : on trouve en 2014 près de 2400 lieux de culte musulmans en France métropolitaine, tandis que plusieurs centaines de projets de construction sont en cours. Il existait à peine une demi-douzaine de mosquées en 1965 et moins de trois cents en 1980 ! Or, l’érection d’une mosquée représente d’abord un acte politique, car le lieu où celle-ci s’élève devient de façon définitive et inaliénable une « terre d’islam ».                        

Angela Merkel en 2010 et David Cameron l’année suivante déploraient de façon crue l’échec du multiculturalisme – version plus « politiquement correct » du communautarisme – que leurs pays respectifs avaient mis en œuvre durant plusieurs décennies. Le même constat est valable pour les divers États d’Europe du Nord ou encore le Canada qui avaient également opté pour ce système. Mais, tandis que la plupart de ces pays abandonnent le communautarisme, la France qui, forte de sa tradition historique unitaire et de sa laïcité énergique, s’en était jusqu’ici largement écartée semble malheureusement emprunter cette pente glissante.

Le reniement des racines chrétiennes de la France et la promotion d’une société communautariste qui constituent actuellement les deux piliers de la jurisprudence administrative en matière de laïcité ne peuvent que fragiliser l’unité nationale et favoriser à terme l’implosion de notre pays. « Le respect de la laïcité n’est pas (...) l’abandon de toutes nos traditions et la coupure avec nos racines culturelles. Faudrait-il interdire les étoiles dans les guirlandes de Noël qui décorent nos rues en ce moment, sous prétexte qu’il s’agit d’un symbole religieux indigne d’un espace public ? » La réaction du conseil général de Vendée à la décision du tribunal nantais est frappée au coin du bon sens. Il est indispensable que le principe de laïcité s’applique avec une stricte égalité juridique à l’ensemble des cultes présents en France. Mais ce même principe doit aussi impérativement tenir compte et s’adapter à la dimension religieuse de l’héritage historique national dont il est lui-même issu.

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