Les cas de démence devraient tripler dans le monde d’ici 2050. Et certains de nos modes de vie sont pour partie responsables<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Santé
Un homme souffrant de la maladie d'Alzheimer en Chine, 28 août 2021
Un homme souffrant de la maladie d'Alzheimer en Chine, 28 août 2021
©NOEL CELIS / AFP

Alzheimer et dégénérescences cognitives

Compte tenu des tendances prévues en matière de vieillissement de la population et de croissance démographique, le nombre de personnes atteintes de démence devrait augmenter fortement au cours des prochaines décennies et nos modes de vie n'y sont pas pour rien"

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

Voir la bio »

Atlantico : Une étude publiée dans The Lancet estime que d’ici 2050, le nombre de malades de démence pourrait être multiplié par trois. Dans quelle mesure ces perspectives sont-elles crédibles ?


Stéphane Gayet : Quand on se penche attentivement sur les différents facteurs de risque actuellement identifiés et bien connus, on se rend compte qu’en effet, les conditions sont aujourd’hui réunies pour que le nombre de personnes atteintes de démence (en général) augmente assez rapidement dans les années qui viennent. Les chiffres, et surtout quand ils concernent l’avenir, ne sont jamais vraiment exacts, mais ils présentent l’avantage de situer l’ampleur du phénomène. Ce qu’il faut retenir est que beaucoup de données vont dans ce sens ; cependant, quand on évoque l’horizon de 2050, cela signifie dans 28 ans et nous avons tellement de préoccupations actuellement que cette perspective n’est pas forcément de nature à inquiéter véritablement la population.

De quoi parle-t-on quand on parle de démence ?

La démence est une maladie chronique du cerveau qui se traduit par une régression progressive et en principe irréversible des fonctions cérébrales dites supérieures ou cognitives. Elle se manifeste par un appauvrissement de la vie de relation en rapport avec une diminution de la mémorisation, de la faculté de raisonner, d’émettre des idées et de les associer et un ralentissement de l’idéation. Cette régression mentale progressive rend la vie quotidienne de plus en plus difficile, au point que la vie seule devient plus ou moins impossible. La démence fait partie des maladies psychiatriques, mais elle a la particularité d’être presque uniquement déficitaire (perte de fonctions sans ajouts anormaux, comme dans les délires et les hallucinations).

À Lire Aussi

Alzheimer : après l’échec de dizaines de traitements médicamenteux, des neurologues britanniques expérimentent un traitement par courant électrique dans le cerveau

Dans l’esprit commun, la notion de démence est immédiatement associée à la maladie d’Alzheimer. En fait, elle n’est que la cause la plus fréquente de démence et de plus elle est assez protéiforme. Il y a également la démence vasculaire qui a aussi plusieurs formes (après accident ischémique cérébral sévère ; démence d’origine micro-artériopathique) et la démence dite à corps de Lewy, sans oublier les démences post-infectieuses, les démences toxiques et les démences génétiquement déterminées.

Étant donné que la maladie d’Alzheimer constitue la forme la plus fréquente de démence dans les pays développés et que sa fréquence augmente d’une façon phénoménale avec l’âge, la notion de démence est souvent associée à la vieillesse.

Toujours est-il que l’on constate en effet que l’incidence (nombre de nouveaux cas survenant dans une population donnée et pendant une période donnée) de la maladie d’Alzheimer croît régulièrement d’année en année.

L’étude impute notamment cette tendance aux modes de vie de nos sociétés actuelles qui pourraient avoir une responsabilité dans le phénomène. Qu’est-ce qui est concrètement en cause ? Quelle part cela joue-t-il ?

En dépit des progrès de l’hygiène de vie et de la médecine, le corps humain vieillit et ses performances déclinent au fil des ans. Certes, l’espérance de vie à la naissance a beaucoup augmenté depuis les années 1970 et continue à le faire, mais « l’espérance de vie en bonne santé » augmente nettement moins. Idéalement, une personne âgée en bonne santé serait capable de vivre seule ; or, les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) sont saturés avec une longue liste d’attente.

L’âge est donc toujours présenté comme le principal facteur de risque des maladies que l’on qualifie pour cette raison de maladies « liées à l’âge » (maladie d’Alzheimer, cataracte, dégénérescence maculaire, arthrose, athérome vasculaire, hypertrophie bénigne de la prostate, cancer de la prostate, etc.). Cette notion ne fait que traduire le fait que les performances du corps humain diminuent au fil des ans ; ce vieillissement concerne le système immunitaire et les capacités de réparation et de régénération (les cellules nouvelles sont tout de même déjà « âgées » chez une personne âgée).

À côté de l’âge, d’autres facteurs de risque sont liés au mode de vie, en effet. La maladie d’Alzheimer préfigure ce que sera la pathologie dans les années à venir : de plus en plus de maladies chroniques et de plus en plus de maladies multicausales. Car la notion de maladie monocausale est aujourd’hui plutôt dépourvue de sens. Même avec les maladies infectieuses qui sont liées à un agent pathogène (il existe également des maladies multimicrobiennes), cet agent pathogène identifié n’est pas « la cause unique » de la maladie : il y a toujours des facteurs causaux qui facilitent l’action du microorganisme (âge, obésité, dénutrition, déficience immunitaire, tabagisme, consommation d’alcool, autres substances toxiques, etc.).

Les démences liées à l’âge, avec au premier plan la maladie d’Alzheimer, n’échappent pas à cette règle de la multicausalité. Il est illusoire de s’obstiner à chercher « la cause » de telles maladies, car il s’agit en réalité d’une synergie de plusieurs facteurs causaux. Il est frappant de constater que les facteurs causaux sont souvent les mêmes pour beaucoup de maladies chroniques et ils sont liés au mode de vie au sens large.
Sur le plan alimentaire, on trouve toujours la consommation d’alcool, de sucres, de viande rouge et de substances toxiques liées à la transformation et la conservation alimentaires. La surcharge pondérale est liée, certes en partie à l’hérédité, mais beaucoup à la ration calorique et la consommation de sucres.

Sur le plan des habitudes de vie, l’accent est mis depuis quelques décennies sur l’exercice physique : il est considéré comme tellement déterminant que le fait d’être strictement sédentaire est classé comme facteur de risque majeur. Le corps humain s’use s’il est privé d’exercice physique : la marche rapide, la course modérée, la natation, le vélo, la musculation douce… font partie des pratiques habituellement recommandées. Il faut transpirer et s’essouffler un minimum pour que l’exercice physique soit bénéfique, mais sans trop forcer ; lorsque l’on commence à le pratiquer, la progressivité est un impératif.

Sur le plan des pathologies chroniques, le diabète sucré, l’hypertension artérielle, la ménopause précoce sont reconnus comme facteurs de risque. L’usage prolongé de psychotropes tels que les benzodiazépines également.

Le rôle des métaux lourds (mercure, plomb) et de certains microorganismes (virus, bactéries) est souvent avancé, mais il n’y a pas encore à ce jour de conclusion ferme.

Le cerveau a besoin de travailler pour ne pas s’user anormalement, comme tout organe du reste : la prévention de la démence liée à l’âge passe également par une stimulation cognitive quotidienne et soutenue (lecture, écriture, mots croisés, jeux de réflexion…).

On considère que le mode de vie avec tout ce qu’il comporte, représente un peu plus de 50 % des facteurs causaux de ces démences séniles. Pour la plupart des maladies, il y a également une prédisposition génétique héréditaire.

Face à cette tendance, quelles politiques de santé publique devraient ou pourraient être mises en place pour agir et aider ces personnes ?

On le sait, la médecine est de plus en plus influencée par la recherche du profit. Le poids des grands laboratoires pharmaceutiques qui sont devenus des trusts est tel qu’ils influent sur la majeure partie de la recherche, mais aussi de l’enseignement et la prévention.

C’est une évidence que de dire que la prévention liée au mode de vie ne rapporte rien en termes de profit financier. Certes, on peut toujours faire apparaître un gain financier à l’échelle de la nation pour les années à venir, mais il est théorique et n’intéresse pas beaucoup de personnes.

Toujours est-il qu’il faut insister sur l’exercice physique, la réduction importante de la consommation de sucres et d’alcool, la lutte contre la surcharge pondérale et la suppression des substances toxiques comme la fumée de tabac et les drogues dites dures. L’usage dit récréatif du cannabis est aujourd’hui considéré comme un facteur de risque de schizophrénie. Il est probable qu’il favorise également la maladie d’Alzheimer.

Tout ceci entre dans le cadre de ce que l’on appelle « l’hygiène de vie », concept qui ne fait pas tellement recette sur le plan de sa mise en application. Beaucoup de personnes sont convaincues de son intérêt et en parlent volontiers, mais les pratiquants réguliers et persévérants de l’hygiène de vie ne sont pas vraiment nombreux ; pourtant, elle est parfaitement compatible avec une bonne qualité de vie ; mais il faut aussi insister sur le fait qu’elle est très largement liée à l’éducation et à la culture : elle s’apprend dès le plus jeune âge. Nous voici à nouveau dans les inégalités.



En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !