Les agressions dans les transports en commun, ce fléau que le ministre de la Justice refuse de voir<!-- --> | Atlantico.fr
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Judikael Hirel publie « Concorde rouge Dans la peau d'une victime d'agression » aux éditions Le Cherche Midi
Judikael Hirel publie « Concorde rouge Dans la peau d'une victime d'agression » aux éditions Le Cherche Midi
©Thomas COEX / AFP

Bonnes feuilles

Judikael Hirel publie « Concorde rouge Dans la peau d'une victime d'agression » aux éditions Le Cherche Midi. Un soir de novembre, à la station de métro Concorde. Un homme agresse une femme. Judikael Hirel intervient pour la défendre. Quelques minutes plus tard, il affronte un déluge de coups, portés avec une violence et un acharnement inouïs. Aujourd'hui, son visage ne tient que grâce à une cinquantaine de plaques de titane fixées sous sa peau. Le journaliste Judikael Hirel livre un témoignage saisissant sur sa nouvelle vie : celle de victime. Extrait 1/2.

Judikael Hirel

Judikael Hirel

Judikael Hirel est journaliste. Spécialisé dans l’horlogerie, il a écrit pour Le Point et travaille aujourd’hui au sein de la rédaction du Figaro. Il a publié « Concorde rouge » aux éditions du Cherche Midi en 2023.

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Non, maître Dupond-Moretti, ce n’est définitivement pas un « sentiment » qui m’a envoyé aux urgences. Un « sentiment » ne cogne pas à coups de poing et de chaussures renforcées. Ce n’est pas un « sentiment » qui a fait de moi une gueule cassée. C’est un jeune homme d’origine étrangère, à la fois très à l’ouest et très à l’est, vu son fort accent russe. Le profil type du voyou urbain, symbole ambulant d’un ensauvagement du quotidien qu’il faudrait être de mauvaise foi pour ne pas constater ou reconnaître. Était-il légalement présent dans le pays, ou sous le coup d’une tristement célèbre OQTF, Obligation de quitter le territoire français? Je n’en sais rien, et au fond, peu importe. Nul ne le saura jamais, seuls ses actes comptent. Bien sûr, et c’est le jeu politique qui veut cela, cela n’empêchera pas un brillant avocat devenu garde des Sceaux dans son rôle de ministre militant de dénoncer une « vision mensongère » de l’insécurité dans notre pays. Pourtant, année après année, c’est un fait et non une vue de l’esprit : l’insécurité explose littéralement, en France plus que chez nos voisins. Combien de milliers de dossiers classés chaque année, sans que jamais les coupables ne soient arrêtés, juste pour désengorger tribunaux surchargés et commissariats submergés? Combien de délinquants, mineurs ou non, arrêtés puis relâchés? Mon agresseur, lui, n’aura même pas été recherché, et encore moins arrêté. S’il fallait une preuve que l’impunité existe, il en est l’incarnation, étant donné la vitesse à laquelle ma plainte aura été classée. Comme celle de la jeune femme dont j’ai pris la défense. En deux mois chrono, voilà un dossier refermé de plus parmi tant d’autres ouverts. Mais comment en vouloir à des policiers submergés par les affaires, alors que les prisons sont tellement pleines qu’on laisse dehors la majeure partie des délinquants condamnés à « seulement » une année de prison? Le sursis a clairement de beaux jours devant lui, quoi qu’en pensent les victimes de ces délinquants en liberté qu’elles n’auraient jamais dû avoir la malchance de croiser. Tel cet individu en état d’ébriété qui avait abordé deux jeunes femmes dans le métro de Villeurbanne, en banlieue de Lyon, pour leur demander leur téléphone. Face à leur refus, il avait sorti un couteau, en menaçant de les « planter ». Arrêté par les forces de l’ordre alertées par les deux femmes, il aura finalement été relâché sous contrôle judiciaire en attendant son audience. Est-ce ainsi que l’on protège vraiment les femmes d’une agression au XXIe siècle ? Qu’est-ce qui l’empêche de recommencer lors de son prochain « verre de trop » ? Absolument rien. Encore deux victimes qui ne feront plus confiance à la justice de leur pays pour les protéger… Selon un sondage CSA pour CNews d’octobre 2022, 81% des Français pensent que la justice est « trop laxiste ». Un chiffre en hausse de 13 points en un an. Faut-il s’en étonner? Faute de volonté, de fermeté, de places derrière les barreaux ou de reconduites à la frontière, les agresseurs sont libres de recommencer, de récidiver. C’est d’ailleurs mon seul vrai regret dans mon histoire : après ses exploits de ce soir-là, conforté par un acte impuni de plus, mon agresseur, celui de cette jeune femme, est-il passé directement au viol, au meurtre ? J’en viens parfois à espérer qu’il ait trouvé dans la rue la réponse qu’il aurait méritée pénalement. Mais, au moins une fois, quelqu’un l’aurait empêché d’agir à sa guise. Et au fond, ça serait déjà ça.

On peut toujours promettre, quand on est ministre de l’Intérieur, d’être gentil avec les gentils et méchant avec les méchants. Mais les faits sont têtus  : les méchants, eux, sont de plus en plus méchants, et restent bien souvent en liberté. Et comme les prisons sont trop pleines pour les accueillir (si tant est que l’on veuille vraiment les remplir), ils peuvent récidiver, jusqu’à ce que mort s’ensuive, parfois. Tant pis pour les victimes, le sentiment d’impunité qui les rassure et les anime augmente à chaque nouvelle transgression, à chaque nouvelle agression restée impunie, classée sans suite au bout d’à peine quelques mois. Tous ces agresseurs sont comme le portrait de Dorian Gray d’une société, d’une justice, qui semblent avoir baissé les bras. Entre ceux qui ne veulent pas voir, ceux qui ne veulent pas intervenir, ceux qui ne veulent pas rechercher les coupables, qui estiment que les enfermer n’est pas la solution et ceux qui de toute façon les feront relâcher. De quoi décourager chaque jour un peu plus ceux, policiers ou gendarmes, dont le travail est justement de garantir la sécurité des Français. Car c’est un fait, un chiffre dramatique, sur lequel personne ne s’attarde jamais, et on comprend facilement pourquoi  : on compte en moyenne une agression toutes les quarante-quatre secondes, nuit et jour dans ce pays. Et encore, ce chiffre remonte à l’enquête dite de « victimation » « Cadre de vie et sécurité » (CVS) de l’Insee publiée en 2018… Avec 710000 victimes de violences physiques hors ménage – et hors situation de vol – en 2018, libre à vous de refaire le calcul. 1945 cas de violence par jour, trenteet-un par heure. Sur le premier semestre 2021, nous en étions à 2000 agressions par jour, soit une toute les quarante-trois secondes. Mais qui s’en soucie ? Et encore, ce calcul ne prend en compte que les faits déclarés, ce qui laisse entrevoir à quoi ressemble en réalité le quotidien des Français. Vous portez une montre ? Faites l’exercice  : regardez l’aiguille des secondes et laissez-lui faire les trois quarts d’un tour de cadran. Voilà, la fabrique du crime a fait sortir un nouveau nom du chapeau, une nouvelle victime de ses lignes de production. Quelle cadence ! Jamais elle ne chôme ni n’est en grève, elle. Sept jours sur sept, nuit et jour, à toute heure, le célèbre sentiment d’insécurité frappe à l’aveugle. Presque n’importe où et n’importe quand, tant le phénomène a fini par se répandre en dehors des grandes villes.

La peur dans les transports va crescendo, c’est un fait. Et nous sommes nombreux à en être conscients, au-delà des discours officiels rassurants. Selon un sondage CSA pour CNews publié le 13 janvier 2023, près d’un Français sur deux éprouve un sentiment d’insécurité en montant dans un train ou un métro. On se demande bien pourquoi… Il serait peut-être temps de cesser de se retrancher derrière des postures pour écouter les craintes des Français. À  l’échelle nationale, 46% de nos concitoyens ne se sentent pas en sécurité dans les transports, et ce chiffre monte à 50% à Paris. D’ailleurs, les femmes sont encore plus inquiètes que les hommes, et je les comprends : 49% des femmes ne s’y sentent pas en sécurité, contre 42% des hommes. De même, 54% des 18-24 ans se disent stressés à l’idée de prendre bus, métros, trams ou trains. Du coup que doivent penser les jeunes femmes dans les rames et les couloirs, en première ligne des agressions? La dernière étude en date dite « Victimation et sentiment d’insécurité en Île-de-France » menée tous les deux ans par l’Institut Paris Région le souligne bien : après avoir logiquement stagné pendant la crise sanitaire en Île-de-France, où l’on nous déconseillait même de prendre les transports en commun, à Paris, 54,1% des habitants déclarent désormais ressentir un sentiment d’insécurité dans les transports début 2021, contre 52,2% en 2019. Une peur croissante déjà mise en évidence lors de la précédente enquête. Selon ce rapport publié en janvier  2023, en 2021, 31,4% de la population parisienne avait peur de l’agression ou du vol dans les transports en commun. Soit 8,9 points de plus que quatre ans plus tôt. D’ailleurs, selon les chiffres du Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI), en 2021, les agressions avaient augmenté de 11% dans le réseau de surface, la hausse était de 21% sur le réseau ferroviaire… et de 42% sur le réseau métropolitain. Avec 122170 victimes de vols et de violences dans les transports en commun en 2021, la peur fait partie de notre quotidien, mais devons-nous seulement nous résoudre à vivre avec, en espérant que la foudre tombe sur quelqu’un d’autre? Et ce alors que 87% des victimes de violences sexuelles ont moins de 30 ans, et 43% sont mineures!

À  quoi bon s’inquiéter, étant donné que la situation ne cesse de s’aggraver? Les statistiques du ministère de l’Intérieur sont, hélas, là pour le mettre en lumière, et il n’y a aucune raison de douter de leur exactitude. J’ai beau être littéraire et non matheux, entre 2017 et 2021, si on cumule les statistiques, 1,337 million de Français ont rejoint l’interminable liste des victimes d’agression. Vous avez bien lu, la virgule est au bon endroit. Faisons un rapide calcul : cela fait 732 victimes par jour, 30 par heure. Soit en moyenne une nouvelle victime toutes les deux minutes en France, de nos jours. L’imaginiez-vous seulement une seconde avant de le lire ? Bien sûr, la violence ne se limite pas à la vie publique. La sphère privée est tout aussi touchée par cette montée permanente de la violence. Elle est aussi familiale, intrafamiliale, sexuelle, et là aussi, il faut la combattre, par l’éducation et par la sanction. Quoi qu’il en soit, 62% des victimes de vols violents en Île-de-France sont des femmes. Une surreprésentation qui devrait poser question. 

Extrait du livre de Judikael Hirel, « Concorde rouge Dans la peau d'une victime d'agression », aux éditions Le Cherche Midi

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