Les 8 piliers de la raison ou pourquoi la BCE n’aurait jamais dû paniquer devant « une inflation à 8% »<!-- --> | Atlantico.fr
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Christine Lagarde lors d'une conférence de presse de la Banque centrale européenne.
Christine Lagarde lors d'une conférence de presse de la Banque centrale européenne.
©Boris Roessler / POOL / AFP

Hausse des taux

La Banque centrale européenne a relevé ses principaux taux directeurs de 0,75 point au nom de la lutte contre l'inflation. La BCE a en réalité cédé à la panique.

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

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Don Diego De La Vega : La BCE vient d’augmenter ses taux comme jamais dans son histoire (+0,75%). Elle le fait au nom du juste et légitime combat contre l’inflation. Sauf que le mouvement constaté depuis 18 mois est tout sauf de l’inflation. C’est un mouvement hostile, pervers, mais pas de l’inflation. Cela y ressemble, mais cela ne provient pas d’un déséquilibre entre l’offre et la demande de monnaie. Pour cela, il ne relève pas de la responsabilité de la BCE. Cette dernière est en train d’utiliser une grenade offensive contre une nuée de moustiques. Elle risque de louper sa cible et fait quoi qu’il arrive des dommages collatéraux. Elle nous prépare à des lendemains qui déchantent, voire plus de lendemain du tout. La dernière action similaire, celle de Jean-Claude Trichet, a entraîné une décennie de croissance perdue. Tout cela mérite explication et il y a au moins huit raisons pour lesquelles il ne faut pas paniquer, contrairement à ce que fait la BCE.

1/ D’abord, parce qu’il ne s’agit pas d’inflation

Vérifiez sur votre dernière fiche : vous n’avez pas été augmenté de 8%, contrairement à ce qui ce serait passé dans les années 70. Et ne comptez pas trop là-dessus. Autres prix, les taux d’intérêt nominaux : ils passent de moins de 0% à près de 2%, mais ils ne sont pas à 8%. C’est pourquoi les gens ne sortent pas des fonds généraux d’assurance. De nombreux prix restent sages.

On n’appelle pas ça de l’inflation mais un mouvement de prix relatifs. Vous achetez plus cher votre essence à la pompe, ce qui vous amènera tôt ou tard à acheter moins de DVD à la FNAC, consciemment ou non. On parle donc d’une forme de taxation, pas d’un vrai mouvement de hausse générale des prix (la définition de l’inflation). C’est déjà un peu rassurant car la taxation, en France, on connait bien !

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Alors pourquoi la lamentable boussole de l’indice des prix à la consommation, le trop fameux CPI ou panier percé de la ménagère (cf Atlantico depuis 2011, en particulier les dizaines d’excellents articles de Mathieu Mucherie, RIP), indique-t-elle 8% (un peu moins en France soviétisée, un peu plus ailleurs) ?? Parce que les prix des matières premières décollent (ils expliquent 80% de la distance à la cible d’inflation des 2% en Europe, et environ 50% aux USA). Je ne dis pas que ce n’est pas gênant, c’est gênant : comme à chaque fois qu’il faut faire des chèques à des gens hostiles qui n’ont aucun mérite et qui en plus font n’importe quoi de cet argent (algériens, saoudiens, russes). Mais appelons un chat un chat : c’est pour l’essentiel un choc d’offre, non-monétaire, et aussi longtemps que les banquiers centraux ne disposerons pas de puits de pétrole, de mines de lithium et de centrales nucléaires, on ne pourra pas trop leur imputer cette dérive, qui remonte à loin, et dont certaines origines interrogent à la marge quelques pratiques hexagonales (l’abandon de facto du nucléaire dans les administrations Jospin, Hollande ou Macron pour draguer 3% d’écolos, l’incapacité de Peugeot et d’autres à comprendre et à suivre Tesla sur le chemin de la révolution des batteries, le principe de précaution, la gestion d’EDF, l’impunité chez Areva, la médiocrité chez Engie, j’en passe).

Concrètement, voilà comment ça se déroule. La composante énergie de l’indice des prix explose (et pas parce que l’activité mondiale est resplendissante). Elle est très petite, cette composante, mais elle fait x3 ou x4 en peu de temps, voir plus (multiplication par 12 des prix de gros de l’électricité en quelques mois) : statistiquement, et chez Marc Touati, il y a inflation, c’est évident. Jean-Claude Trichet pensait de même à l’été 2008 ; il vous faut expier, pauvres pêcheurs qui surconsommez à tort et à travers. Ce faisant, la base de la théorie (l’inflation est un phénomène MONETAIRE, et non le sous-produit de coûts : salaires, pétrole, etc.), confirmée par plusieurs siècles d’expériences multiples partout dans le monde, est violée. Violée et remplacée par un rétroviseur qui offre la même vision qu’un rétroviseur, pas une vision de l’avenir. Un indice officiel qui mélange le niveau général des prix et une foule de coûts en glissement sur 12 mois, sans intégrer les prix des actifs (qui baissent). Face à cette terrible inflation de surchauffe de l’activité, il devient alors urgent de monter les taux d’intérêt directeurs, car comme chacun sait la hausse locale du coût de notre crédit va surement inciter l’OPEP à pomper, la Chine à déconfiner et la Russie à se calmer. Toute ressemble avec la pensée magique ne serait pas fortuite.

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2/ D’ailleurs, des mesures plus fiables tournent entre 2 et 5%, pas autour de 8%

La mesure d’inflation que regardait la FED traditionnellement est le déflateur de la consommation privée (core PCE pour les intimes, qui mesure les dépenses nominales) : il est à 4,7% sur 12 mois aux USA, et commence sa décrue. C’est un chiffre important, mais pas plus important qu’au moment du départ de Reagan en janvier 1989, et à cette époque là il n’y avait ni hystérie sur l’inflation ni pressions pour une hausse ambitieuse des taux d’intérêt.

Et encore je suis gentil car les mesures usuelles surestiment beaucoup l’inflation depuis des années, en particulier dans des domaines comme l’auto ou la santé où la qualité n’est pas bien prise en compte (« pour votre tumeur, vous préférez être soigné comme en 1980 au prix des traitements anticancéreux de 1980, ou être soigné aujourd’hui au prix des traitements bien plus « chers » d’aujourd’hui ? »).

Pendant ce temps, dans les pays asiatiques pourtant importateurs de matières premières et soi-disant laxistes monétairement (taux d’intérêt à 0% au Japon, taux qui baissent en Chine, dépréciations des taux de changes…), l’inflation navigue autour de 2% : à croire qu’une gestion un peu moins catastrophique de l’ensemble de la crise Covid, couplée à une certaine modestie budgétaire, peut permettre d’éviter le gros de la dérive des coûts.

On est bien loin de la « stagflation » (qui n’a jamais existé : il y avait de la croissance dans les années 70) : taux de chômage en baisse partout, dollar en hausse contre toutes les monnaies,… ce n’est pas le bon diagnostic. Il y a plus prosaïquement eu une très forte croissance de rattrapage en 2021 (plus de 6% de hausse du PIB dans des pays où la croissance potentielle ne dépasse guère 1% !), dopée aux stéroïdes budgétaires à contretemps, et il faut bien payer cette conjonction inouïe par des tensions sur l’offre, donc par des coûts. Sinon, à quoi servirait la notion de croissance potentielle ?

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Mais les salaires nominaux aux USA, me direz-vous, qui passent pour une mesure assez juste de l’inflation véritable ? Ces salaires aujourd’hui dynamiques (presque 5%) ne peuvent pas être pensés en dehors des 13 années précédentes où ils ont été plus que sages, et en dehors des hausses récentes, insensées et antisociales, des salaires minimaux (locaux et fédéraux) ; si vous ajoutez à tout cela les tripatouillages désincitatifs sur les règles sur l’assurance chômage (qui ont autorisé un certain nombre de personnes à ne pas revenir sur le marché ou à monter leurs salaires de réservation), vous avez le gros de l’explication de la dérive des coûts sur ce marché. C’est ainsi que les pénuries d’emplois se sont multipliés, et qu’encore aujourd’hui les offres non pourvues sont historiquement hautes. Or ces choses ne viennent pas de la FED, et n’ont qu’un temps : les patrons américains ne sont pas aussi philanthropes que les Européens, quand ils voient un graphique comme celui-ci-dessous ils s’adaptent, vous le verrez d’ici peu sur l’emploi et/ou sur les salaires (le graph illustre le fait qu’au cours des deux premiers trimestres de l’année la productivité du travail aux USA dans le secteur privé non agricole a évolué négativement comme jamais elle ne l’avait fait depuis 1948 que ces chiffres sont compilés) :

Ce qui nous amène au point rassurant suivant :

3/ Ensuite, parce que ce chiffre de 8% est très temporaire

A moins d’un nouveau choc externe puissant, le pic a été atteint aux USA en juillet, et le sera en Europe vers la fin de l’année. Les délais de livraison convergent vers la normale depuis le printemps. Les prix du fret maritime, du cuivre, de plein de choses, rechutent.

Cela découle du caractère non-monétaire du mouvement. S’il y avait un déséquilibre dans l’offre et la demande de monnaie, avec à la clé un décrochage des anticipations d’inflation, nous en aurions pour un certain temps, le temps qu’un légitime resserrement monétaire puisse créer les millions de chômeurs nécessaires au refroidissement. Mais une conjonction de chocs d’offre qui impacte les mesures statistiques de l’inflation est un phénomène plus court : primo, parce que le manque de chance est rarement durable et parce que la discipline de l’OPEP tend à se relâcher à partir d’un certain niveau de prix ; deusio, parce que les 8% sont calculés en glissement annuel, donc pour se maintenir ils doivent être alimentés par un nouveau triplement du prix de l’énergie dans les mois à venir (une simple stabilisation des prix des hydrocarbures à des niveaux élevés entraînera un effondrement de l’inflation statistique), ce que l’on nomme un effet de base, et que l’on néglige trop (souvenez vous de 2009).

Comment savoir s’il n’y a pas eu excès de création monétaire ? Il faut regarder les agrégats monétaires, qui s’ajustent, et les taux de changes, qui consacrent le dollar depuis 18 mois alors que le prétendu laxisme monétaire est censé venir de la FED, comprenne qui pourra. Si une monnaie monte contre presque toutes les autres, il est délicat de conclure pour cette zone à un grand laxisme monétaire ; non seulement on n’a jamais vu ça, mais ce n’est PAS POSSIBLE. Quand certains depuis 2008 affirment que la Banque de Suisse est trop laxiste (au motif que la taille de son bilan a considérablement gonflé suite à de multiples Quantitative Easing), il suffit de leur montrer la courbe du Franc Suisse face à toutes les autres monnaies.

Les surchauffes contemporaines (fin des années 80 et milieu des années 2000, à la rigueur) ont été caractérisées par des actions en hausse, un dollar en baisse, plus de levier que de cash dans les entreprises, un surinvestissement au détriment de l’épargne, un fort engouement pour les pays émergents, un gonflement des inventaires et une pentification de la courbe des taux… On observe tout le contraire. Le Quantitative Easing de 2020 n’a été (comme ses prédécesseurs de 2009-2012 ou de 2019) qu’un swap, un simple échange entre des titres et des réserves à hauteur de 3 trillions pour éviter une baisse de la vitesse de circulation de la monnaie, pas de la planche à billets, pas de la création monétaire sans contrepartie, pas quelque chose susceptible de créer de l’inflation dans une économie de 25 trillions de dollars dotée de marchés de 150 trillions ou plus. Et le crédit commence à se resserrer un peu partout, avant même l’effet des hausses de taux (on le voit déjà bien sur l’immobilier).

Comment savoir qu’il n’y a pas de décrochage vers le haut des anticipations d’inflation, autrement dit comment surveiller que l’inflation véritable ne puisse pas surgir des prophéties parfois auto-réalisatrices des agents économiques ?

D’abord, les anticipations ne se désancrent pas comme ça, c’est une norme très implantée dans les cerveaux, les contrats et les comportements, depuis plus de 35 ans. La rupture de ce statu quo est une opération déstabilisante qui exigerait un changement du régime monétaire et non de simples chocs et contre-chocs énergétiques, car en la matière on en a vu d’autres. Ensuite, les marchés doivent anticiper et participer à cette spirale ; c’est en fait toute la société qui doit conspirer à l’inflation, comme elle le fait souvent en cas de guerre ou de révolution.

L’indice que je préfère ici pour réfuter cette peur est la dépentification de la courbe des taux, qui s’affirme depuis quelques mois : les taux courts (fixés par la FED) passent au dessus des taux longs (fixés par le marché), ce qui n’est pas logique (il y a plus de risque de ne pas rembourser un prêt à 20 ans qu’un prêt à un an) et ce qui est le plus souvent le symptôme d’un mauvais pilotage de la politique monétaire (par exemple, une FED trop parano sur l’inflation, face à un marché qui lui voit bien que la récession se profile et que la FED ne pourra pas montrer les muscles très longtemps sur la partie courte de la courbe). Les taux longs US ont du mal à dépasser 3%, en dépit d’une propagande intense, d’un programme de durcissement rarement vu de la FED, et d’une conjonction rare de facteurs temporaires (sans compter les finances publiques, gérées depuis 20ans par des dingos). Cela montre assez bien que le marché ne gobe pas du tout cette histoire des 8%, de surcroit « non temporaires ». En fait, dès que du gros argent est en jeu, les envolées lyriques sur le-monde-qui-change redescendent sur terre, on le voit sur les marchés physiques comme sur les marchés financiers, actions, taux de changes, etc.

A noter au passage le détournement par la FED et par quelques banquiers du concept de « taux neutre » : ils disent qu’en dessous d’un taux directeur de 2,25% la politique monétaire est accommodante, et qu’elle aurait donc participé aux tensions sur les prix jusqu’à cet été ; mais outre que c’est une abomination (la politique monétaire ne se résume pas aux taux courts ! que d’erreurs ont été produites sur cette base !), il s’agit aussi d’une confusion temporelle : ce taux neutre est un concept de long terme (délicat à calculer, et systématiquement revu vers le bas depuis longtemps), il ne devrait rentrer à ce point dans des débats conjoncturels. La vérité est que les effets de base sur les prix de l’énergie sont si puissants à l’heure actuelle que des taux de la FED à -3% ou à +10% ne feraient pas une grosse différence à court terme dans la séquence haussière puis baissière du CPI (alors que par contre ils feront une grosse différence sur le profil de la croissance et de l’emploi fin 2023).

A noter enfin que la FED et la BCE ont changé de narratif ces dernières semaines, tous s’alignent sur la Bank of England : il ne s’agit plus de faire croire à la croissance en 2023, désormais le message est « aucune surchauffe en vue, mais on monte les taux quand même », ce qui aurait constitué jadis un scandale, et ce qui constituait en 2008 et en 2011 encore un sujet de moquerie à la FED (vis-à-vis de nous, qui fabriquions une décennie de croissance perdue).

4/ Au passage, les explications autour d’une « inflation persistante » sont tarabiscotées

Nicola Bouzou affirme que l’inflation ne reviendra JAMAIS en dessous de 2%, il faudra penser à lui rappeler dans neuf ou douze mois…

Le narratif à la mode consiste en effet à sous-entendre que, si les 8% vont certes faire pschiiiitt, une partie va tout de même rester et une autre partie reviendra tôt ou tard, with a vengeance. C’est l’idée que l’« inflation tend à être inflationniste », ou l’imagerie paternaliste de la Bundesbank sur la pate à dentifrice sortie du tube, et dans une version plus académique ce sont les thèses de Ricardo Reis, en particulier depuis le dernier symposium de la BCE à Sintra.

Sur le fond il y a là beaucoup de fragilités, et de la parano. On ne sait pas bien comment se forment les anticipations (sont-elles adaptatives ? rationnelles ?). On sait que la plupart des enquêtes auprès des ménages et des firmes ne valent rien, et que les données issues du marché ne sont pas exemptent de tout reproche (parce qu’on achète des obligations indexées pour d’autres raisons que la protection anti-inflation, parce que le marché ne voit pas à 10 ou 15 ans, etc.). Alors leur idée est : dans le doute, frappons.

Mais il y a là un biais, car le raisonnement vaut toujours chez ces gens là dans le sens du décrochage vers le haut : quand les anticipations menaçaient de se désancrer vers le bas (2008-2020), et là les signaux étaient beaucoup plus nombreux, on ne les entendait guère. Les tenants de cette thèse ont non seulement un très mauvais « track record », mais en plus ils n’y croient pas vraiment (un seul exemple, Borio de la BRI, plus-faucon-tu-bosses-au-Puy-du-Fou : « as long as there are no strong inflationary pressures in China, which I still consider the marginal producer in the world, a de-anchoring of inflation is unlikely”).

La re-verticalisation de la courbe de Phillips est une blague depuis des décennies ; elle repose de toute façon sur un contre-sens : ce ne sont pas les salaires qui font l’inflation, c’est l’inflation qui fait la dynamique salariale. Où est la boucle prix-salaires en zone euro ? Croit-on que les facteurs qui ont partout limité le pricing power des salariés depuis des décennies (robotisation, désaffiliation…) vont disparaitre subitement ?

Pour revenir à des choses sérieuses c’est à dire monétaires, où est le changement de cap de nos banquiers centraux qui justifierait une plus grande vigilance au delà des phases de hausse des hydrocarbures ? ont-ils définis une nouvelle cible, à 3 ou 4%/an ? Non. Organisent-ils des symposiums sur la monnaie hélicoptère, sur l’oeuvre de Gesell ou sur la remise des dettes dans leurs bilans ? Pas du tout. Ils durcissent la politique monétaire alors que la croissance a déjà disparu, et menacent d’en rajouter. Il est vrai qu’ils se politisent, mais dans une zone où l’électeur médian a 52 ans (avec un fort accent allemand) ce n’est pas pour se lancer dans une politique monétaire Rock&Roll.

Alors si “inflation persistante” il y a, ce sera par de nouvelles contraintes massives sur l’offre, géopolitiques ou sanitaires, par nature imprévisibles, qui impacteront plus le CPI que l’inflation véritable.

5/ De plus, ce n’est pas être perfide que de reconnaître que ces 8% ont été « désirés »

Cette dérive des coûts travestie en « inflation » correspond au souhait de nombreux décideurs ; cela nous fait une belle jambe, certes, mais cela aide à comprendre un peu, et à démasquer certaines larmes de crocodiles chez les pompiers pyromanes qui nous servent de décideurs.

A tout seigneur tout honneur, l’Etat. Partout la caisse a été cramée. En particulier aux USA, en France, en Angleterre (et encore le week-end dernier en Allemagne, avec un nouveau plan de 65 milliards, bien entendu « financé par une taxe sur les surprofits du secteur énergétique », alors que ce secteur est renfloué par Berlin tellement il croule sous les pertes !). Souvent, en passant par du hors-bilan. Et en rajoutant des contraintes réglementaires, partout. A l’heure du « zéro artificialisation nette », des restrictions sanitaires et du télé-travail généralisé trop hâtivement (avez-vous remarqué que les étudiants des classes prépas travaillent plus que les étudiants des facultés ?), il fallait un bel optimisme pour ne pas miser sur une dérive des coûts un peu partout. Mais le mieux avec les gens de l’Etat c’est qu’ils ne peuvent pas s’empêcher d’en rajouter dans l’hypocrisie après avoir apporté les jerricanes et les briquets. C’est ainsi que le dernier plan Biden de stimulation (en pleine hausse des taux d’intérêt destinée à freiner la demande !!) s’intitule, sans rire, « inflation reduction act », parce qu’il était sans doute urgent de refiler 7500 dollars de crédit d’impôt aux pauvres clients de Tesla. Il était surtout très important de se disculper à l’avance. Et quand par dessus le marché Paul Krugman dit que ce plan clientéliste « sauve la civilisation », on se dit que la vieillesse est un naufrage.

C’est ici qu’il faut évoquer les sanctions contre la Russie, ou plutôt contre nous mêmes. Encore une logique sacrificielle, encore une vision romantique, encore un discours déjoué par les taux de changes (si Moscou est au bord de la faillite et de l’hyperinflation, pourquoi le Rouble est-il à un plus haut historique ?). On a rajouté des tensions sur l’offre, au pire moment. Et on n’a encore presque rien vu du côté des représailles car le Kremlin n’a pas que le gaz pour nous embêter.

Enfin, parlons un peu des banquiers commerciaux. Ils savent de quoi il retourne, mais ils n’ont pas la moindre intention de faire de la pédagogie sur le sujet. Comme un pétrolier espère la hausse du prix du baril, un banquier espère toujours la hausse des taux. Mettez vous à sa place, il attend cela depuis tellement longtemps ! Il a eu tellement peur de se retrouver coincé ad vitam avec les taux négatifs ! Il va même jusqu’à publier des notes sur la trop grande négativité des taux réels (utiliser comme ils le font en déflateur des taux nominaux un CPI courant n’est pas sérieux : il faut prendre l’inflation anticipée, soit entre 2 et 3% max, ce qui aboutit à des taux réels à peine négatifs…), ce qui revient à sous-entendre que toute cette pseudo inflation aiderait les firmes et les ménages (ou l’Etat Italien) à mieux porter le fardeau des dettes : on parle pourtant d’une pure taxation (aggravée par les tentatives de hausse des taux), qui n’améliore en rien les finances publiques et privées en Occident. A 200 dollars le baril ou à 3000 euros le kilowattheure, nos dettes seront oubliées ? Non, nous ne les payerons pas en monnaie de singe, cependant que nous montons les coûts de financement et que la base productive qui nous sert à les couvrir sera entamée.

6/ Et paniquer ne sert à rien, car il n’y a aucune solution

Message à ceux qui aiment structuraliser ces sujets. Regardez un pays qui ne manque pas de bras, et où la qualification est assez adaptée au marché. Un pays qui reçoit subitement des millions de travailleurs (et pas des syriens arrivant en 2015 en Allemagne sans parler un mot de la langue du pays). Regarder la Pologne. Où le Zloty tiens relativement bon, et où pourtant « l’inflation » est statistiquement à 15% en ce moment. Ce que je veux dire, c’est que même un choc d’offre positif fabuleux, l’arrivée de millions de réfugiés ukrainiens, équivalent à 3 ou 4 fois ce que nous avons reçu en 1962 avec les pieds noirs, ne nous sauverai pas de la dérive des coûts actuelle impulsée par les matières premières. Détail amusant, je suis le SEUL à parler de cette expérience naturelle, peut-être parce que le discours officiel sur les « pénuries d’emplois qui alimentent l’inflation » convient bien à tout le monde.

De façon plus générale, il ne faut pas se faire trop d’illusions sur les « réformes structurelles » destinées à libérer l’offre productive : tous les gouvernements affirment depuis des décennies qu’ils en font, et pourtant on voit bien que la croissance potentielle ne cesse de baisser, partout. Et, depuis l’enchainement des crises de peurs hystériques depuis trois ans, on voit bien que ce discours officiel relève du pipeau, tandis qu’il est toujours aussi peu relié à la lutte contre l’inflation (phénomène mo-né-taire). Bien entendu tout le monde est pour une économie plus fluide, moi le premier, mais dès qu’on rentre dans les détails… dès qu’il faut expliquer les implications concrètes à un pharmacien, à un agriculteur, à un assureur… dès qu’il faut briser une association de 20 riverains qui pour la défense d’un couple d’hirondelles (et jamais pour ses propres intérêts) va entraver la construction de milliers de logements… j’attends donc pour y croire une franche diminution du nombre de pages des codes du travail, de l’urbanisme et des impôts. En attendant, même les marchés américains du travail et de l’immobilier se sont européanisés depuis quelques années, et ce n’est pas un compliment. Quant à la Mecque de ces pseudo-réformes, l’Allemagne (qui en réalité n’a rien fait au cours des 15 années de nounoucratie de Merkel), son « inflation » s’oriente vers 10%, au niveau de son « meilleur élève », l’Espagne.

Les réformes élargissent le surplus et le choix du consommateur, cependant qu’elles remettent l’Etat à sa place : c’est un sujet de liberté, pas un sujet de canalisation de l’inflation (on peut avoir une inflation faible dans un environnement peu concurrentiel : l’inflation est mo-né-taire). On ne va pas tuer la pseudo-inflation actuelle avec des réformes qui durent des années mais en attendant quelques mois que les statistiques fassent pschiiitt ; il faut juste, comme au tennis, éviter les fautes directes non provoquées qui alimentent les coûts : les méga-plans budgétaires, les mesures protectionnistes, et les tirs de balles dans le pied comme les hausses de taux.

A plus long terme, on pourra certes chercher à mieux maîtriser les coûts, mais cela ne passera pas par nos politiques traditionnelles visant à étendre les réglementations, à nous placer sous la dépendance énergétique de pays peu sympathiques, à cartelliser le marché du travail et à dissuader tous les permis de construire. Et ce ne sera pas un combat contre l’inflation, qui se décide pour l’essentiel à Francfort chez des gens dont toute la légitimité et toute l’indépendance repose sur le fait que l’inflation véritable ne peut être que monétaire et qui pourtant sont les premiers à multiplier les diversions autour d’une inflation par les coûts…

7/ Sans compter que, chose très rassurante pour un Français, cette dérive des coûts n’est pas particulièrement inégalitaire, contrairement à ce que nous raconte la presse

On veut nous faire croire que l’envolée du prix des hydrocarbures, des semi-conducteurs et des abonnements de streaming est surtout payée par les plus démunis, et dans le même temps on nous dit que les 1% les plus riches polluent et émettent du Co2 à hauteur de 40% du total : il y a un des deux calculs qui doit être faux…

Dans les faits, tout le monde paye les 8% : s’il s’agissait d’une vraie inflation, ce serait (en relatif) (j’insiste : en relatif) plutôt favorable aux pauvres : moins de dettes réelles, plus de salaires, moins de revenus fixes pour le rentier. C’est bien pourquoi les riches n’ont pas du tout apprécié les années 70, et pourquoi ils pensent qu’un banquier central n’est jamais assez indépendant. Mais comme il ne s’agit pas en ce moment d’une vraie inflation, c’est plus difficile à dire. Les plus démunis payent la dérive des coûts, mais pas complètement (loyers rigides, gaz subventionné, etc.) ; les plus riches voient leurs obligations baisser et leur immobilier être menacé (puisque les taux d’intérêt montent), et surtout leurs actions fondent depuis 8 mois : les présenter comme les grands gagnants de cette affaire relève de la plaisanterie. La dérive des coûts est une menace à l’encontre des marges des entreprises, le genre de sujet qui effraie plus les riches que les pauvres. Si ces derniers ne sont pas à la fête, ils ne le sont jamais en fait, dans aucun scénario, et souffriraient bien plus de la déflation (comme l’histoire nous le montre amplement et comme mon 8e point va le souligner).

8/ Enfin, rassurez-vous : ces 8% de façade poussent nos banquiers centraux à des décisions stupides qui entraineront une longue déflation

Bientôt les 8% seront le cadet de nos soucis. D’abord parce qu’ils vont faire pschiiiitt, ensuite parce qu’on va revenir au cycle de japonisation précédent, mais en pire. Pas de panique donc, chers futurs chômeurs, le prix à la pompe va se calmer, c’est juste que vous n’aurez plus un salaire ou un crédit pour acheter une automobile. Mais vous contribuerez ainsi à la saine limitation des émissions de Co2, ce qui est l’essentiel.

En matière de déflation, l’existence précède l’essence. Un processus monétaire, donc pernicieux, non détecté. On l’a vu fin 2007 quand Jean-Philippe Vincent était très seul à parler de l’euro trop cher et de l’hubris de la BCE à la veille de la crise ; c’est être beaucoup moins prophétique aujourd’hui que de vous dire qu’on va se prendre une sacrée claque (c’est le message de tous les marchés, physiques et financiers, depuis des mois, pour ceux qui ont des yeux pour voir), avec une nouvelle fois l’inflation statistique comme voile d’ignorance et comme rétroviseur trompeur.

La FED ? ils allument des contre-feux, diffractent le blâme, frappent juste avant un pic d’inflation pour aller au secours de la victoire, en un mot ils sont justes bons à éviter un statut de bouc émissaire, un procès en greenspanisation. C’est un agenda de disculpation, pas d’action. Et vu le casting des dernières années, cela ne va pas s’améliorer. Sympas et diversitaires, les nouveaux membres du comité de politique monétaire de la FED militent contre les discriminations et contre le réchauffement climatique ; ils pensent bien et surtout ils votent bien. Un seul petit problème : ils n’ont plus la moindre compétence (pratique ou académique) dans le domaine de la politique monétaire, où leur niveau de compréhension converge vers celui d’un Rotary de province :

ØRafael Bostic : nomenklaturiste démocrate, habitué des comités immobiliers louches (Freddie Mac & cie), ouvertement homosexuel (ce qui cochait une case de plus) ; sans liens connus avec l’analyse économique

ØNaureen Hassan : pur produit de Charles Schwab, aime animer des séminaires sur la transformation digitale des entreprises. Est-elle à sa place dans un comité de politique monétaire ? Peut-être. Au Népal, au Paraguay

ØMeredith Black : chef en intérim à la FED de Dallas, elle s’y est longtemps occupé des services IT puis de supervision bancaire. Adaptée à un comité de 3e zone ; mais au moins jusqu’ici elle ne parle pas

ØMichelle Bowman : nommée pour 14 ans par Trump afin de remplacer Stanley Fischer (on s’étrangle). Très introduite chez les Républicains depuis les années 90, pas introduite du tout dans les affaires monétaires

ØLiza Cook : ratifiée de justesse, cette historienne des questions raciales du Sud des Etats-Unis est une militante contre toutes les discriminations « depuis l’âge de 8 ans ». Sa famille entretenait des liens avec Martin Luther King, mais quel est au juste son lien à elle avec la politique monétaire ?

ØEsther George : dirigeait les services RH et comptabilité de la FED de Kansas City. Elle se comporte au FOMC comme un super-faucon depuis 2016. Faut-il lui pardonner au prétexte qu’elle ne sait pas ce qu’elle fait ?

ØPhillip Jefferson : proposé par Biden en pleine mode woke, confirmé par le Sénat. Professeur spécialisé dans les questions de pauvreté, bien comme il faut, aucune expérience concrète en politique monétaire

Conclusion 

Pour empêcher l’esprit critique depuis un an sur ce sujet, toutes les techniques ont été utilisées : faire peur, provoquer un sentiment d’urgence, diffracter le blâme, prendre pour experts des commentateurs dépourvus de culture monétaire, et tout noyer sous la moraline (« comment peux-tu minimiser la souffrance des pauvres gens frappés par l’hyperinflation ? »). Mais résultat : ils se trompent de diagnostic et ils alimentent le mal, et ensuite ils organisent des saignées sans rapport avec sujet, en toute bonne conscience.

Que faire désormais ? Rien. C’est bien ce qu’il y a du plus dur. Ne surtout pas partir dans des considérations grandiloquentes sur la « fin de la mondialisation libérale » et autres fadaises de petits bourgeois. Serrer les dents, et ne surtout pas mobiliser la banque centrale (qui est armée pour calmer un choc de demande, pas un choc d’offre). Je le redis ici : même si elle craque désormais sous la pression germanique, merci Christine, pour avoir résisté pendant des mois.

Pour l’avenir, bien entendu il faudrait faire des « réformes », mais pas de la communication comme Macron : je n’ai rien contre la libéralisation des bus entre Albi et Charleville-Mézières, mais ce n’est pas exactement le bon ordre de grandeur. Et je suis assez sceptique sur cet avenir, avec les épées sanitaires et géopolitiques que nous avons placé sur nos têtes. Le message diffusé par nos élites est en effet horrible : tout virus à la létalité limitée occasionnera la perte de 10 points de PIB ? tout triplement sur un an du prix des hydrocarbures se traduira par un durcissement monétaire ? C’est ça, la haute stratégie menée par des « experts » indépendants, en plein XXIe siècle ? Se mettre à la merci du moindre mollah-dur-du-détroit-d’Ormuz, d’un pangolin, ou du moindre ex-du-KGB-des-steppes, c’est ça l’idée ?

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