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Le Soudan de Charybde en Sylla ? Cette menace islamiste qui plane sur Khartoum après la destitution d’Omar El-Béchir
©ASHRAF SHAZLY / AFP

Radicaux en embuscade

Après le départ du dictateur, le chemin vers un pouvoir civil est semé d'embûches.

Marc Lavergne

Marc Lavergne

Spécialiste de l'Afrique et de l'action humanitaire, membre du GREMMO, groupe de recherche sur la Méditerranée et le Moyen-Orient.

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Atlantico : Au Soudan, l'armée vient de déposer le président Omar el-Bechir et son gouvernement en se joignant à la volonté des manifestants d'en finir avec 30 ans de gouvernance ayant entraîné de graves difficultés économiques. Le terme de "révolution" a été employé pour qualifier ce renversement. L'armée est maintenant en charge du gouvernement et les manifestants sont toujours dans la rue, réclamant une transition civile. A quoi devrait ressembler cette transition selon les manifestants ? Et a quoi pourrait-elle ressembler si l'on suivait le plan de l'Etat-major ? 
Marc Lavergne : Les manifestants, à partir des formations politiques ou syndicales ont des orientations peut-être religieuses, peut-être différentes les uns des autres, mais je crois que ce qui les unit c'est qu'ils veulent un pouvoir civil. Ils ne veulent plus de militaires à la tête de l'Etat, arguant du fait que les militaires sont à la fois incompétents et corrompus, ce qui a été prouvé par trente ans de ce régime, qui est d'ailleurs composé d'un mix de militaires et de civils.C'est un militaire qui a pris les choses en main et ça implique que le gouvernement va être imposé à la population par l'intermédiaire de ces lois d'exception, cet état d'urgence et donc la restriction ds libertés alors que ce qu veulent les gens au-delà du pain, c'est des libertés. Ils veulent un pouvoir civil avec une armée qui rentre dans sa caserne et qui du coup perdrait beaucoup de ses privilèges parce que l'armée s'est appropriée une grande partie des ressources du pays, avec l'appareil de sécurité. C'est quelque chose qui permettra aussi de rétablir un peu les comptes de la nation. Il y a une volonté de la part de la population d'être écoutée et en même temps dep rendre son destin en main. 
Atlantico : L'opposition à Omar el-Bechir réclame notamment l'instauration d'un gouvernement de technocrates. Est-ce qu'il y a une possibilité que la destitution d'Omar el-Bechir et une pression plus grande pour le départ rapide de l'armée amènent à une situation où le pouvoir serait vacant et ce vide susceptible d'être arraché par des milices ou des factions, et notamment à tendance islamiste ? 
Marc Lavergne : J'ai vu des exemples dans l'histoire du Soudan. J'ai connu le soulèvement de 1985 qui avait vu le dictateur déposé, remplacé par le chef d'Etat major de l'armée qui avait nommé un gouvernement civil qui était composé de représentants de forces politiques et de technocrates. C'est un peu le modèle qui est dans la tête des Soudanais je pense; si on a un général qui soit civil, loyal envers le peuple, je pense qu'il n'y aurait pas d'objection. Mais là on est en présence d'une armée qui est très idéologue, beaucoup travaillée au corps par les islamistes qui ont imposé leur commissaire politique. Les généraux qui sont là ont un passé et un passif et les gens ne veulent plus les voir. C'est le socle commun de toute l'opposition dans toute sa diversité. L'armée n'a jamais servi à protéger le pays de menaces extérieures mais à mater des rébellions avec des succès mitigés d'ailleurs, parce que le fait que ce soit une armée islamiste l'a beaucoup affaiblie. On l'a vue au Darfour, l'armée n'est pas opérationnelle. L'armée du rang est composée de gens originaires de ces régions qui se révoltent, les régions les plus pauvres du pays. Une refonte de l'armée s'imposerait. C'est une questions sous-jacente. Je pense que deux choses jouent. Ce qui compte, c'est la région d'origine et l'affiliation confrérique. Ce sont des choses qui transcendent les clivages entre civils et militaires. Ils sont sensibles dans les rangs inférieurs et moyens aux doléances de la population. Ce n'est pas forcément le cas des officiers supérieurs qui font partie d'un complexe militaro-industriel. Les militaires sont à la tête de secteurs de l'économie qui sont non concurrentiels et ont beaucoup de privilèges.  
Atlantico : Doit-on s'attendre à une révolution de palais ? 
Marc Lavergne : Elle a eu lieu. Tout changer pour que rien ne change...On a vu changer le personnage qui était le symbole de ce pays mais les manifestants ont rendu service à l'establishement soudanais en écartant Omar el-Beshir. C'était sur la table depuis un moment. Cela n'était plus gérable pour le régime d'avoir cet élément là comme porte-drapeau. Pour le général et les gens qui sont autour de lui, on doit s'arrêter là. Pas question d'aller plus loin. Il faut garder les prébendes car le budget est rétréci car aucune ressource ne rentre. Il faut préserver le budget de la sécurité et de l'armée. Cette période de vache maigre provoque une déliquescence interne. Chacun essaye de piquer aux voisins. La sécurité essaye de contrôler l'armée. Ils sont soutenus par la CIA. Ils sont plus intelligents, au sens technique du terme. Ce qui va être en jeu dans le temps qui viennent, c'est ce combat des chefs à l'intérieur du système. Mais je n'exclus pas que la direction civile de la contestation puisse peser - par ces liens personnels avec les militaires. Les civils ont montré leur capacité de mobilisation, de résurrection. Ces mouvements avaient été affaiblis par la répression. A l'intérieur du pays, il y a des mouvements progressistes, il y a des mouvements de droite, des mouvements islamistes. Il y a eu une homogénéité au sein de tout ça car les clivages sont aussi ethniques, familiaux, et cela joue plus que les relations idéologiques.   
Atlantico : Sur quelles forces le Soudan peut-il s'appuyer pour recomposer un Etat, une administration, une économie et une politique qui satisfasse la majorité des Soudanais ? 
Marc Lavergne : Il se peut que l'armée recrute des gens. Le chef de l'opposition est conservateur, leader de la plus grande obédience islamique. Il aurait bien aimé être le leader d'une révolution islamiste au Soudan. C'est quelqu'un qui pourrait être mis en face du monde en disant "Regardez, c'est un civil, qui est légitime. Les Soudanais l'adorent." C'est loin d'être le cas je pense. Les jeunes qui n'ont connu que le régime actuel n'ont pas forcément ces références tribales. Ce qu'on a vu dans la rue c'est le Soudan des villes. Le Soudan qui a besoin de farine pour vivre alors que le pays produit du mil et du sorgho. Cette jeunesse est urbaine, scolarisée, on ne peut pas la mater de la même manière qu'une révolte paysanne.

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