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Le sondage qui montre comment la France est devenue un tout autre pays avec le tragique mois de juillet 2016
©Reuters

Radiographie nationale

Selon un sondage Ifop pour Atlantico réalisé après le double-attentat du mois de juillet (Nice et Saint-Etienne-du-Rouvray), 65% des Français considèrent que la menace terroriste est très élevée et 55% que la France est en guerre. Ces scores montrent que le paysage mental et psychologique du pays a complètement changé.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Philippe Bilger

Philippe Bilger

Philippe Bilger est président de l'Institut de la parole. Il a exercé pendant plus de vingt ans la fonction d'avocat général à la Cour d'assises de Paris, et est aujourd'hui magistrat honoraire. Il a été amené à requérir dans des grandes affaires qui ont défrayé la chronique judiciaire et politique (Le Pen, Duverger-Pétain, René Bousquet, Bob Denard, le gang des Barbares, Hélène Castel, etc.), mais aussi dans les grands scandales financiers des années 1990 (affaire Carrefour du développement, Pasqua). Il est l'auteur de La France en miettes (éditions Fayard), Ordre et Désordre (éditions Le Passeur, 2015). En 2017, il a publié La parole, rien qu'elle et Moi, Emmanuel Macron, je me dis que..., tous les deux aux Editions Le Cerf.

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Atlantico : Dans quelle mesure les résultats du sondage montrent-t-ils que le pays a profondément changé en l'espace d'un an et demi (depuis les attentats de janvier 2015), et davantage encore depuis le double-attentat du mois de juillet ? Comment ces changements se manifestent-ils ? Quelles sont les évolutions les plus criantes ?

Jérôme Fourquet : Tout d'abord, le contexte : ce sondage a été réalisé au lendemain de l'attaque de Saint-Etienne-du-Rouvray au cours de laquelle un prêtre a été assassiné, et douze jours après l'attentat de Nice.

On constate que, par rapport à une enquête Ifop réalisée pour Le Figaro au lendemain de l'attentat de Nice, l'opinion publique monte encore en pression sur la question du terrorisme. L'attentat de Nice avait déjà occasionné un choc. L'attaque de Saint-Etienne-du-Rouvray vient amplifier ce choc à tel point que l'on pourrait employer le concept de "sur-attentat". Un sur-attentat est une tactique de plus en plus utilisée en Irak, en Syrie ou en Afghanistan par les djihadistes et qui consiste à provoquer un premier attentat souvent à la voiture piégée ou à la bombe, et à en provoquer un deuxième au moment où les secours arrivent. Un sur-attentat a pour objectif de créer le chaos dans le chaos, de susciter encore plus de victimes, mais aussi encore plus de stupeur puisque les terroristes n'hésitent pas, au mépris de toutes les règles non écrites, à viser des victimes et des blessés, mais aussi à viser des équipes de secours. Un sur-attentat est donc un attentat qui se rajoute à un autre et qui amplifie l'effroi, l'horreur et le bilan en termes de victimes.

On peut avancer l'hypothèse que l'attaque de Saint-Etienne-du-Rouvray a fait office d'un sur-attentat par rapport à celle de Nice. Contrairement au sens originel du concept, les deux attentats n'ont pas eu lieu au même endroit, ni à quelques dizaines de minutes d'intervalle. Nous ne sommes évidemment pas en Syrie ou en Irak, mais pour un pays qui n'est pas en guerre comme la France, la répétition des attaques à quelques jours d'intervalles produit cet effet en raison,d'une part d'un effet de répétition, et d'autre part d'une gradation dans l'horreur (des familles entières fauchées par un camion fou, et quelques jours plus tard, un prêtre égorgé par des jeunes dans son église). Alors que l'on pensait avoir connu le comble de l'horreur et touché le fond avec Nice, on voit que quelques jours après, on peut franchir un palier supplémentaire.

La question de l'évaluation de la menace terroriste est particulièrement intéressante : 53% de Français estimaient qu'elle était très élevée au mois de juin juste après le meurtre du couple de policiers de Magnanville. Ce chiffre est monté à 61% au lendemain de l'attentat du 14 juillet (+ 8 points), soit le plus haut niveau observé depuis les attentats de novembre 2015. Après Saint-Etienne-du-Rouvray, on constate une nouvelle hausse de 4 points : 65% de Français considèrent que la menace terroriste est très élevée, soit quasiment le même score qu'après les attentats du Bataclan.

Par ailleurs, sur un certain nombre d'indicateurs, le niveau d'effroi, d'inquiétude et d'attente, est très proche de ce qui était observé après les attentats du Bataclan. La séquence Nice/Saint-Etienne-du-Rouvray a quelque part peu ou prou produit le même effet que celle du Bataclan. Cela montre que cet "été terroriste" nous fait franchir un nouveau cap. Les événements en Allemagne, qui ont été très médiatisés et se sont produits dans la même période, ont probablement eu une influence sur ces scores.

Autre aspect intéressant : une part croissante des Français estiment que la France a basculé dans une situation de guerre. 59% des Français estimaient que c'était le cas en novembre au lendemain des attentats du Bataclan. Puis, la pression est tombée et seuls 37% des Français partageaient le diagnostic en décembre. Avant même l'attentat de Nice, ce score était remonté à 50%. Aujourd'hui, il est quasiment identique à celui du Bataclan (55%). De nouveau, l'idée que le pays est en guerre est largement majoritaire.

Quels effets cette idée que le pays est en guerre produit-elle ? C'est toute la question des enjeux les plus importants qui est posée. A la veille des attentats de novembre, la lutte contre le chômage était en tête des préoccupations (35%) devant la sécurité et la lutte contre le terrorisme (18%) soit un rapport de 1 à 2. Un mois après, à la veille des élections régionales et après les attentats du Bataclan, s'opère une inversion de la hiérarchie : 39% des Français estimaient que la sécurité et le terrorisme était l'enjeu le plus important contre 25% pour le chômage. C'était une période très particulière : à rebours de ce qui était observé depuis 25-30 ans, le chômage n'était plus la priorité numéro 1 des Français. On aurait pu penser que ce phénomène aurait été produit par l'effroi suscité par le Bataclan et que, le temps passant, les préoccupations habituelles allaient reprendre leurs droits. Mais il n'en a rien été. En avril, après les attentats de Bruxelles, les scores sont quasiment figés par rapport à ceux de décembre. En juillet, après la double-attaque, la prééminence de l'enjeu sécuritaire et de la lutte contre le terrorisme a été encore décuplée puisque cela représente aujourd'hui la priorité numéro 1 pour 58% des Français. Non seulement, cela fait six mois que l'enjeu sécuritaire est prégnant, mais cette priorité se renforce au fil du temps et des événements à tel point que le ratio est aujourd'hui complètement déséquilibré.

La question de la lutte contre le terrorisme non seulement dépasse et surclasse le chômage, mais elle l'efface et la relaie au second plan. C'est le caractère d'urgence absolue qui renforce sa prééminence .

Le fait que 65% des Français considèrent que la menace est très élevée et 55% que le pays est en guerre montrent que le paysage mental et psychologique a complètement changé. La France est dans une situation totalement inédite.

En conséquence, les Français ont une très forte attente de réaction de la part des pouvoirs publics qui se cristallise aujourd'hui autour du statut d'un des tueurs de Saint-Etienne-du-Rouvray sur la question de l'internement des fichés S.

Les Français sont conscients que le risque zéro n'existe pas, mais compte tenu de la menace imminente et omniprésente qui plane, il est plus qu'urgent de mettre tout en œuvre pour la contenir autant que possible. Dans ce cadre-là, les Français soutiennent massivement (74%) l'internement des fichés S, soit le même niveau qu'en novembre 2015 (attestant à nouveau l'idée que cette série d'attaques de juillet produit le même effet que les attentats de novembre). Ce chiffre était de 62% au mois de mars (après les attentats de Bruxelles), a augmenté de six points après Nice, puis a augmenté à nouveau en une semaine. Cette augmentation traduit la très forte pression de l'opinion qui s'exerce sur les épaules du gouvernement. En effet, du côté de l'opinion, le débat de l'internement des fichés S est tranché depuis très longtemps. Comment cela se décline-il politiquement ? Les scores sont massifs à droite et au FN, mais le score est de 61% dans l'électorat PS et de 49% dans l'électorat Front de gauche. Cela est révélateur de l'ampleur de la pression : même dans l'électorat de gauche, une large majorité est pour l'enfermement des fichés S.

Dans le libellé de la question, il est bien expliqué que les gens n'ont pas forcément commis de délit à l'heure où ils pourraient être internés, mais dans le premier item, la phrase se termine par "car l'État ne doit prendre aucun risque dans la période actuelle". C'est donc l'idée de circonscrire autant que possible le risque et à n'importe quel prix qui l'emporte.

Eric Verhaeghe : Le mouvement de fond tient évidemment à l'irruption du terrorisme dans le débat public et dans les préoccupations collectives. Le phénomène est massif, et incontestable sur l'ensemble de l'échiquier politique. Il domine désormais les esprits et renvoie la lutte contre le chômage au second plan. Il y a ici une sorte de pyramide collective de Maslow. On ne se préoccupe du chômage que si et seulement si la question de la sécurité est évacuée. Tant que la sécurité n'est pas rétablie, tous les autres sujets passent au second plan. L'enseignement politique à en tirer est assez limpide: le débat pour les présidentielles ne pourra être uniquement axé sur la question de l'emploi comme l'espérait ou l'avait annoncé François Hollande. Il tournera autour de la question de la lutte contre le terrorisme. 

Sur ce point, François Hollande a manqué le coche en semblant ne pas saisir la dimension nationale que prenait ce sujet. Une fois de plus, dirait-on, il a produit un discours politique à contre-temps par rapport aux préoccupations quotidiennes des Français. Il a fait, le 14 juillet, des annonces économiques optimistes que les statistiques officielles se sont empressées de démentir. Le chômage est remonté, malgré un plan de formation massive des chômeurs, la croissance a stagné alors que François Hollande disait "ça va mieux", et sur la question du terrorisme, au-delà d'une annonce sur la mobilisation de la réserve, on attend une véritable mise en chantier d'une "démarche qualité" dans les services de renseignement et de police, qui tirerait des leçons des échecs et des erreurs. On menant un tir de barrage sur ce dernier sujet, en accusant de complotisme tous ceux qui préconisent un management public intelligent, y compris dans le domaine policier, François Hollande s'est évidemment marginalisé encore un peu plus par rapport aux attentes de l'opinion. 

Le rapport à l'islam et aux musulmans a-t-il connu des évolutions similaires au cours de cette période allant du mois de janvier 2015 à la fin du mois de juillet 2016 ?

Jérôme Fourquet : Alors que sur tous les autres indicateurs, l'opinion a réagi et a bougé très fortement, l'indicateur "pas d'amalgames VS l'islam est une menace", reste très stable depuis janviers 2015. Entre janvier 2015 et aujourd'hui, pour l'item "l'islam est une menace", le score est passé de 28 à 33%. Il y a tout de même un tiers des Français qui estiment aujourd'hui que l'islam est une menace (très majoritairement au sein de l'électorat FN, mais une grande partie aussi au sein de l'électorat LR) : ces Français peuvent constituer un vivier pour d'éventuels débordements et représailles aveugles. Mais on peut aussi analyser cette quasi absence d'évolution en lien avec les remontées du terrain qui montrent qu'il n'y a pas de multiplication des actes islamophobes ces derniers jours et semaines. Certes, il y en a eu mais nous n'avons pas assisté à une explosion des actes antimusulmans. De la même façon, les chiffres de la LICRA (l'organisme qui lutte contre le racisme et l'antisémitisme) ont montré que beaucoup moins d'actes islamophobes ont eu lieu au lendemain des attentats de novembre qu'au lendemain des attentats de janvier. On pouvait penser que les actes islamophobes iraient crescendo mais ce n'est pas ce qui se produit. Tous les responsables politiques, associatifs, religieux, martèlent en permanence qu'il n'y a pas d'amalgames à faire et ce discours-là continue de convaincre une très large majorité de Français (même si une minorité importante n'est pas sur cette ligne). Cela explique que le pays se tienne et qu'il n'y ait pas de dérapages à répétition alors même que le double-attentat Nice/Saint-Etienne-du- Rouvray a produit des effets très profonds dans l'opinion en termes d'inquiétude, d'attentes sécuritaires.

S'il n'y a pas d'amalgames, les Français souhaitent à peu près dans les mêmes proportions que les musulmans s'expriment davantage. Les Français sont prêts à faire un effort collectif en encaissant les événements sans broncher, mais ils demandent au gouvernement qu'il prenne des mesures qu'il n'a jamais prises (quitte à contrevenir à certains de nos principes); et d'autre part, il est demandé à la communauté musulmane de se désolidariser de manière plus spectaculaire ou visible encore des auteurs de ces attaques.  

Eric VerhaegheC'est un peu la surprise de ce sondage. La représentation de l'Islam reste stable dans l'opinion et les Français font majoritairement la différence entre les Musulmans et les terroristes. Là encore, il faut savoir en tirer les bons enseignements. Il me semble que la stabilité de la perception plutôt positive de l'Islam en France prouve la maturité de l'opinion publique. Ceux qui pensent que l'Islam en l'état est porteuse d'un projet politique dangereux pour la démocratie continuent à le penser mais n'augmentent guère massivement en nombre. Et, comme d'habitude, on les trouve beaucoup plus à droite qu'à gauche. Autrement dit, il n'y a pas de raison de dramatiser une imaginaire montée d'un racisme ou d'une quelconque islamophobie en France. Les attentats ne produisent pas de rejet des immigrés, ni de stigmatisation particulière d'une communauté. Les campagnes obsessives sur le "pas d'amalgame" et le "restons unis" reposent donc sur du sable. Les Français ne réagissent pas avec haine. En revanche, il serait intéressant de mener une enquête approfondie sur l'évolution des mentalités au sein de la communauté musulmane. Cette étude permettrait de vérifier si le sentiment d'une montée de la radicalisation et de la haine contre la culture française dominante est exact. 

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