"Le roman du terrorisme" : les attentats de masse profitent aux dirigeants qui n’ont pas su les éviter<!-- --> | Atlantico.fr
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Terrorisme
attentats Charlie Hebdo janvier 2015 classe politique François Hollande Angela Merkel
attentats Charlie Hebdo janvier 2015 classe politique François Hollande Angela Merkel
©ERIC FEFERBERG / AFP

Bonnes feuilles

Marc Trévidic publie "Le roman du terrorisme, Discours de la méthode terroriste" aux éditions Flammarion. Un acte terroriste ne se réduit pas au chaos qu’il provoque. Marc Trévidic décortique cette méthode d’action et de pensée en s’appuyant sur son expérience de juge d’instruction au pôle antiterroriste. Le terrorisme personnifié s’exprime dans ce texte. Extrait 1/2.

Marc Trévidic

Marc Trévidic

Marc Trévidic, spécialiste des filières islamistes, a été procureur antiterroriste pendant trois ans puis juge d'instruction au pôle antiterroriste pendant dix ans. Depuis 2018, il est président de chambre à la cour d'appel de Versailles. Il est également l'auteur de plusieurs essais et romans (notamment Ahlam, prix 2016 Maison de la Presse).

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Le constat est déprimant, mais il vous faut regarder la vérité en face : quelle que soit l'inefficacité ou même l'absurdité des mesures prises, les attentats de masse ne nuisent pas aux dirigeants qui n'ont pas su les éviter. Ils leur profitent, même, alors qu'en toute logique leur peuple aurait dû leur demander des comptes pour leur incurie. Or c'est l'inverse qui se produit, car l'effet « chef suprême, guerrier providentiel » vient du fond des âges. Je vous plains sincèrement.

Il y eut, ont néanmoins souligné quelques porte-parole d'al-Qaida puis de l'État islamique pour vanter l'efficacité de la stratégie des attentats de masse, le retrait de l'Espagne de la coalition en 2004, à la suite des attentats de Madrid qui firent 200 morts. Mais, en premier lieu, avant même ces attentats, la population espagnole était très majoritairement opposée à la participation de l'Espagne à la guerre en Irak et, en second lieu, ceux-ci n'auraient pas été la cause de la défaite de Mariano Rajoy, le poulain du Premier ministre Aznar, si ce dernier n'avait pas tenté de faire croire aux Espagnols que l'ETA était responsable du massacre.

Non, un attentat aveugle contre la population ne fait pas fléchir les dirigeants. Il leur est impossible de céder car le peuple lui-même ne l'accepterait pas.

Sauf quand le peuple ne le sait pas. Vos dirigeants ont de longue date cédé en secret devant ma toute-puissance. À l'époque de mon concepteur, ils le faisaient ouvertement. Depuis, ils le font sous le manteau.

Je me nourris de mon ennemi

Dans les années 1970, les chefs d'État du Golfe payaient Wadie Haddad, le chef du Front populaire de libération de la Palestine-opérations spéciales (FPLPOS), afin qu'il détourne d'autres avions que les leurs. Et qui n'a pas négocié avec Abou Nidal pour ne pas être sa cible ? Un attentat était alors une invitation à la table des négociations, comme un mouvement social qui débute par une grève. Abou Nidal ne revendiquait pas certaines de ses actions publiquement mais passait le message aux dirigeants concernés. Le peuple était évidemment tenu dans l'ignorance puisque la politique officielle était qu'on ne négociait pas avec les terroristes. Mais on faisait exactement le contraire, et avec célérité. La justice, évidemment, était également tenue dans l'ignorance. Souvent on la dirigeait même sur une fausse piste. Le dossier de la rue des Rosiers en est un exemple criant. Alors même que l'État accusait ouvertement l'extrême droite, comme pour l'attentat de la rue Copernic deux années plus tôt, la Direction de la surveillance du territoire (DST) prenait rendez-vous avec le groupe Abou Nidal.

Et que dire des simagrées des États occidentaux dans les affaires de prise d'otages ? Ils ne négociaient jamais avec mes obligés, prétendaient-ils, alors qu'ils le faisaient toujours. Ils ne payaient jamais de rançon, puisqu'ils le faisaient faire par d'autres, avec des fonds secrets qui transitaient par la Suisse ou en demandant à un pays ami de payer l'addition. Parfois même, ils retardaient la libération des pauvres otages pour attendre le moment le plus favorable à leur réélection.

Qui a joué, plus récemment, les Frankenstein en ressuscitant le monstre quand le Groupe salafiste pour la prédication et le combat, le GSPC, ne comptait plus que 300 membres déprimés qui se terraient à la frontière du Mali et de l'Algérie ?

Qui a fait renaître de ses cendres, à partir de 2003, la succursale d'al-Qaida dans le Sahel ? Qui a payé des rançons exorbitantes pour libérer des touristes amoureux du désert ?

Ou plutôt, qui n'a pas payé, des Allemands, des Italiens, des Japonais ou des Français ? Qui a financé le terrorisme ?

L'argent a coulé à flots. Les mensonges de vos dirigeants également que vous n'avez pourtant jamais sanctionnés pour cela. Et le GSPC est redevenu puissant, si puissant qu'il s'est transformé en AQMI. Avec votre argent, le nerf de la guerre sainte, l'AQMI a acheté des Toyota quatre roues motrices toutes neuves, des kalachnikovs par paquet de douze et même des tribus touareg. Et l'AQMI a pu recruter sans aucune difficulté. Aucun adolescent de Tombouctou, de Gao ou de Kidal ne peut résister à la tentation quand un membre de l'AQMI, avec un large sourire, depuis l'arrière d'un pick-up en parfait état, lui propose le gîte, les vêtements, le couvert, la kalach étincelante, l'aventure, le pouvoir sur autrui, le permis de tuer, la toute-puissance qu'il n'aurait jamais pu atteindre, et par-dessus le marché le paradis, les houris et l'intercession auprès d'Allah pour presque tous les membres de sa famille miséreuse. Ce jeune Malien n'était pas un jihadiste. Il n'était pas un extrémiste religieux. Il rêvait de devenir footballeur ou musicien, un autre Boubacar Traoré.

Quel délice d'avoir des ennemis qui vous ouvrent le porte-monnaie ! Avec des ennemis de cet acabit, je n'ai nul besoin d'amis. Oui, le deuxième précepte de mon concepteur doit être respecté. Il me faut un ennemi. Mais nous voici déjà à l'orée du troisième précepte, si complémentaire du deuxième.

Extrait du livre de Marc Trévidic, "Le roman du terrorisme, Discours de la méthode terroriste" aux éditions Flammarion.

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