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Le risque de Hollande est de ne pas satisfaire la droite tout en mécontentant la gauche et de faire face à une levée de boucliers des notables
©Reuters

Le beurre et l'argent du beurre

A l'occasion d'une troisième conférence de presse millimétrée, François Hollande a réalisé un véritable exercice de contorsions entre les entrepreneurs à flatter d'un côté et sa base électorale de l'autre.

Christian Delporte

Christian Delporte

Christian Delporte est professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Versailles Saint-Quentin et directeur du Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines. Il dirige également la revue Le Temps des médias.

Son dernier livre est intitulé Les grands débats politiques : ces émissions qui on fait l'opinion (Flammarion, 2012).

Il est par ailleurs Président de la Société pour l’histoire des médias et directeur de la revue Le Temps des médias. A son actif plusieurs ouvrages, dont Une histoire de la langue de bois (Flammarion, 2009), Dictionnaire d’histoire culturelle de la France contemporaine (avec Jean-François Sirinelli et Jean-Yves Mollier, PUF, 2010), et Les grands débats politiques : ces émissions qui ont fait l'opinion (Flammarion, 2012).

 

Son dernier livre est intitulé "Come back, ou l'art de revenir en politique" (Flammarion, 2014).

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Atlantico : Au vu de son intention de départ, qui était d'évacuer l'affaire Gayet le plus vite possible sur la base du respect de la vie privée, François Hollande a-t-il réussi à ne pas se faire piéger par les questions des journalistes ? Quelle posture a-t-il adoptée, et celle-ci était-elle judicieuse ?

Christian DelporteTout avait été très bien préparé, comme en atteste l’identité de l’auteur sur "LA" question attendue : Alain Berluet, président de l’Association de la presse présidentielle. Dès le milieu de la matinée, du reste, on savait qu’il avait été désigné. La réponse elle-même avait été ciselée : un visage grave, une touche d’émotion ("chacun, dans la vie peut traverser des épreuves, des moments douloureux") et le principe énoncé selon lequel cette affaire touche l’homme ("les affaires privées se traitent en privé") et non la fonction de président de la République ("ce n’est ni le lieu, ni le moment", donc l’Elysée et la conférence de presse d’un chef de l’Etat). Du reste, à propos d’une autre question, sur Closer celle-là, François Hollande a insisté sur la « responsabilité qu’il exerce pleinement ». Autrement dit : sa vie privée ne parasite pas sa vie publique. On a entendu une réponse lapidaire qui pouvait trouver écho dans l’opinion publique (voir le sondage du JDD) et dissuader les journalistes d’aller plus loin dans leurs questions. Il répondra d’ici le 1er février sur l’avenir de son couple, a-t-il dit. N’imaginons pas une interview, mais plutôt un communiqué dit de "clarification", selon le mot employé la veille par Valérie Trierweiler. Pour le reste, il s’est gardé d’en dire davantage, pour ne pas alimenter le feuilleton, restant, sur Closer ou sur le statut de la Première Dame à des généralités. Bref, une réponse peu surprenante.

Sur le pacte de responsabilité, a-t-il tenu un discours rassurant pour les entrepreneurs ? Le social-libéral qui sommeille en François Hollande s'est-il un peu plus révélé ?

Il a été plutôt concret sur le pacte de responsabilité et ses annonces, notamment la fin des cotisations familiales à la charge des entreprises (30 milliards d’euros), devraient les contenter. Elles répondent aux souhaits qu’ils exprimaient. On notera également des engagements sur l’harmonisation des règles fiscales entre la France et l’Allemagne. Hollande a répété à plusieurs reprises qu’il était un "social-démocrate". Au fond, toutes les mesures qu’il a mises en avant (en matière d’entreprise, de dépenses publiques, de fiscalité) révèlent surtout ce qu’il a toujours été, c’est-à-dire un deloriste. Appelons cela un social-libéral, si l’on veut. En fait, il en revient à ses convictions profondes, celles qu’il avait effacées de son discours de campagne présidentielle.

Quid des partenaire sociaux et de son aile gauche ? A-t-il réussi à les ménager également, malgré ses objectifs affichés de réductions des dépenses publiques ?

La première réaction de Mélenchon a été : "Hollande et Gattaz, c’est du sérieux" ! S’il ne veut pas que ses électeurs les plus ancrés à gauche et que les syndicats le lâchent, il va lui falloir beaucoup d’explications. Aujourd’hui, il parle de "grand compromis social" et fixe un calendrier de mise en œuvre du pacte de responsabilité. Mais, autant les objectifs du côté des entreprises sont clairement fixés (30 milliards d’euros et CICE), autant les "contreparties" sur l’emploi, du côté des salariés, restent floues. Le devoir de pédagogie touche aussi aux dépenses et aux services publics, les pistes dessinées pouvant laisser supposer un retour en force de la RGPP et qu’aucun secteur public (pas même la sécurité ou l’éducation) ne sera épargné. Hollande devra aussi convaincre les élus locaux, car la prochaine loi de Décentralisation dégage un parfum de disparition des départements. Le risque de Hollande est de ne pas satisfaire la droite tout en mécontentant la gauche, et de faire face à une levée de boucliers des notables.

Affaire Leonarda, mauvais chiffres du chômage, bonnets rouges… comment a-t-il choisi de commenter les différentes crises sociales et sociétales qui ont agité ces derniers mois ?

Il a été plutôt discret sur tous ces sujets qui fâchent, et on ne peut pas dire que les questions des journalistes l’aient poussé dans ses derniers retranchements !

Son discours a-t-il laissé transparaître une volonté de reprendre la main face aux velléités de certains membres du gouvernement ?

On remarquera que François Hollande a cité Jean-Marc Ayrault à plusieurs reprises, notamment dans son exposé liminaire. Ceux qui l’imaginaient sur le départ en seront pour leurs frais. On notera aussi un satisfecit à Manuel Valls. L’année 2014 est une année nouvelle, a-t-il martelé. Alors, on laisse dans l’ombre les différends, les couacs et les ambitions personnelles de 2013. "Je serai jugé à la fin de mon mandat sur le chômage, sur la réduction des inégalités", a dit Hollande. Plus que jamais, la logique du quinquennat fonctionne : un Président qui décide, se montre, et une équipe qui exécute. La "présidence normale" est définitivement oubliée. Ce n’est pas au moment où on lance un grand plan économique qu’on remanie. Sauf surprise, les ministres sont tranquilles au moins jusqu’à juin.

Finalement, François Hollande ressort-il vainqueur ou perdant de cet exercice de communication ? Quelle impression laisse-t-il ?

Il a au moins gagné sur un plan - pour de bonnes ou surtout, sans doute, de mauvaises raisons - : l’audience ! Même des chaînes étrangères, comme la BBC, retransmettaient la conférence de presse en direct ! En matière de communication, vous n’avez pas le choix : pour neutraliser  l’effet d’un son, vous devez émettre un son plus fort. Autrement dit : pour réduire la place de l’affaire Closer dans les médias, il lui fallait donner du grain à moudre, annoncer des mesures fortes propres à capter l’attention. Rester dans le flou aurait été catastrophique. Ce qu’il a avancé dans le domaine de la réduction des charges des entreprises ou de la réduction des dépenses publiques, notamment, était plutôt concret.

Cette conférence de presse, Hollande n’avait pas d’autre choix que de la contrôler. Alors qu’on annonçait un exposé de 20 minutes, celui-ci a duré 45 minutes. Tout de suite, il est entré "dans le dur" avec le pacte de responsabilité et la réduction des dépenses publiques. Il a, en quelque sorte, assommé la conférence (comme savaient très bien le faire, en leur temps, De Gaulle ou Mitterrand). La question téléphonée sur sa vie privée a semblé paralyser les journalistes. Pour le reste, il a déroulé. On l’a senti néanmoins tendu, n’hésitant pas à renvoyer dans les cordes des journalistes impertinents, ce qui n’est guère dans ses habitudes. L’avenir nous dira si ce fut la conférence de Closer ou celle du "tournant" économique.

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