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"Le plus grand bidonville de France" bientôt évacué pour la 3e fois ? Comment la libre circulation dans l’espace Schengen rend impossible la résolution de la question rom
©wikipédia

Sisyphe

Malgré deux évacuations, "le plus grand bidonville de France", un camp rom à Saint-Ouen au nord de Paris, est encore sous la menace d'une évacuation. Se pose ainsi la question de la stérilité des politiques mises en œuvre et de la nécessité de penser le problème sous un angle plus européen.

Atlantico : Le 11 mai dernier aurait dû être évacué "le plus grand bidonville de France", celui des docks de Saint-Ouen, aux portes de Paris. Mais un recours avait été déposé devant le juge d'exécution, qui rend finalement sa décision ce 14 juin. Abritant entre 300 et 500 personnes de la communauté rom, le lieu avait déjà été évacué en 2008 et 2013. Si les mêmes causes produisent les mêmes effets, une nouvelle expulsion ne serait-elle pas vaine puisque les populations expulsées reviennent malgré tout ?

Laurent Chalard : Effectivement, l’expérience prouve que lorsqu’un bidonville de peuplement rom est démantelé, il se reconstitue assez rapidement à un autre endroit, guère éloigné, voire même parfois au même endroit quelques années plus tard, si le terrain concerné n’a pas été loti entre temps, ce qui est le cas, jusqu’ici, de ce terrain à Saint-Ouen en Seine-Saint-Denis. 

Dans ce cadre, le département voisin du Val de Marne constitue un bon exemple des logiques géographiques du peuplement rom en région parisienne. Suite à l’évacuation du bidonville de roms de Sucy-en-Brie à l’été 2012, qui a abrité jusqu’à 800 personnes à son apogée, des campements de taille moindre perdurent à proximité, dont un sur la même commune à quelques encablures de l’ancien, et un grand campement abritant jusqu’à 300 personnes s’était reconstitué les années suivantes sur la commune voisine de Bonneuil-sur-Marne le long de la RN 19, évacué à son tour à l’été 2015. Le maintien de la présence rom dans le secteur s’explique tout simplement par l’existence de vastes friches urbaines dans un secteur à l’urbanisation déficiente entrecoupé de nombreuses infrastructures qui leur permet de s’installer facilement. En règle générale, les camps de roms finissent par disparaître définitivement d’un territoire, quand les friches disparaissent, les obligeant à s’installer ailleurs. 

Concernant Saint-Ouen, tant que les docks ne seront pas entièrement réaménagés (un éco-quartier est en cours de construction), il y a donc de fortes chances pour que des campements de roms perdurent dans le secteur ou dans la commune voisine de Saint-Denis qui dispose encore de vastes friches industrielles.

D'une certaine façon, les Roms constituent le seul peuple "européen" stricto sensu, du fait de leur mode de vie semi-nomade. Le problème n'est-il donc pas principalement européen ? Le principe de libre circulation au sein de l'espace Schengen n'est-il pas ce qui rend la résolution de ce problème impossible ?

Les roms qui viennent s’installer autour des grandes métropoles françaises sont tous originaires des pays d’Europe de l’Est, principalement de Roumanie et de Bulgarie, ce qui en fait un problème européen avant tout, dans le sens qu’il serait illusoire de le résoudre sans coopération efficace avec les pays d’origine de ces populations. Or, si les roms les quittent massivement, ce n’est pas uniquement pour des raisons économiques, mais aussi du fait d’un mauvais traitement de la part de leurs concitoyens non roms, le droit des minorités n’y étant pas toujours pleinement respecté.

Il est évident qu’étant donné la libre circulation des populations au sein de l’espace Schengen, il n’y a pas au premier abord de résolution possible au problème, dans le sens qu’aucun argument ne peut être avancé au refus de l’installation des roms en France. En effet, en tant que citoyens européens, la libre circulation les concerne tout autant que les autres populations de l’Union. Il est donc impossible dans l’état actuel de la législation européenne de les expulser. C’est surtout l’imprévoyance des politiques qui est à l’origine du problème.

Que faudrait-il faire si l'on souhaite éviter que ce bidonville ne se reconstitue indéfiniment, quand on sait les problèmes humanitaires et culturels conséquents que cela implique ?

Il existe potentiellement deux solutions, qui relèvent uniquement de la pérennisation ou non de la libre circulation des individus au sein de l’espace Schengen, grandement remise en cause par la crise des migrants syriens qui s’est enclenchée à l’été 2015. 

Si la libre circulation est maintenue, il faut que l’Etat français prenne acte de la situation et s’engage donc à construire des logements adaptés pour ces populations, qui auront vocation à rester sur le territoire français. Etant donné le nombre peu important de roms originaires d’Europe de l’Est à l’échelle nationale, de l’ordre de quelques dizaines de milliers de personnes (ce qui est peu par rapport aux 200 000 migrants légaux que notre pays accueille chaque année), la France a les moyens de les loger si elle y met la volonté. 

Par contre, si la libre circulation dans l’espace Schengen venait à disparaître, l’Etat français aurait alors pleine légitimité à expulser ces populations vers leur pays d’origine, en empêchant ensuite leur éventuelle tentative de revenir sur notre territoire, réglant définitivement le problème de l’existence de bidonvilles. 

La question n’est donc pas tant une question d’urbanisme, facile à résoudre, qu’une question géopolitique, beaucoup plus complexe et dépassant largement le cadre des migrations des roms au sein de l’espace européen.

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