Le paradoxe français : professionnalisation de la vie politique ou amateurisme ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Les députés lors d'une séance à l'Assemblée nationale.
Les députés lors d'une séance à l'Assemblée nationale.
©BERTRAND GUAY / AFP

Bonnes feuilles

Wally Bordas et Nejma Brahim ont publié « Tout ça pour ça, Couacs, déceptions, démissions : enquête au cœur de l'Assemblée nationale » aux éditions Plon. En seulement trois ans de législature, les parlementaires de la majorité comme de l’opposition ont dû faire face aux crises majeures de l’affaire Benalla, des Gilets jaunes, de la réforme des retraites ou du Covid-19. Ce livre relate, à travers une année d’enquête, les ambitions ratées d’un « nouveau monde » qui ressemble beaucoup à l’ancien, l’expérience en moins. Extrait 1/2.

Wally Bordas

Wally Bordas

Wally Bordas est journaliste pour Le Figaro. Il est spécialisé dans le domaine de l'éducation et suit de près tous les sujets qui touchent à la politique.

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Nejma Brahim

Nejma Brahim

Nejma Brahim est journaliste à Mediapart. Elle travaille sur les migrations et s'intéresse, depuis plusieurs années, à la politique et aux sujets de société.

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« On ne peut pas d’un côté dire qu’on veut de jeunes députés qui démarrent et, de l’autre, nous demander de tout savoir en quelques mois », tacle Sonia Krimi. Comme elle, beaucoup de nouveaux élus de 2017 ne comprennent pas comment les Français peuvent encore leur faire un procès en amateurisme alors que la professionnalisation de la vie politique est, elle, dénoncée depuis de nombreuses années. Pour le spécialiste en sociologie politique Étienne Ollion, l’amateurisme vilipendé se résume au constat de la méconnaissance du processus de décision chez les novices. « Oui, on peut dire qu’il y en a un peu plus sous cette mandature», confirme-t-il. Par un travail quantitatif, le chercheur au CNRS livre le constat dans son ouvrage paru juste avant l’élection d’Emmanuel Macron. «Depuis 2014, tout le monde ne parlait que de professionnalisation de la vie politique. Je voulais définir cela de manière quantitative.» En cause notamment, l’élection des députés qui constituent en partie la majorité du Président. «Tous ces profils changent la donne », souligne-t-il.

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Parmi ces novices, il y a une petite catégorie d’élus que Sonia Krimi voit déjà comme des professionnels. Elle les qualifie de faux nouveaux et refuse de les nommer, tout en laissant volontairement des détails échapper. «Ce sont tous les députés qui connaissaient très bien l’Assemblée, l’Élysée et les rouages politiques. Ceux qui savent comment faire passer une loi, comment avoir de l’influence. Les Macron boys et les Macron girls, toute la première vague de porte-parole. Ils ont tous fait partie de partis politiques, une en particulier a même été avec Sarkozy, puis Fillon, Juppé et enfin Macron», référence à Aurore Bergé.

Cette génération de parlementaires, âgés en moyenne de 25 à 30 ans, sait s’exprimer devant une caméra et le fait sans modération. D’autres, comme François-Michel Lambert, les appellent la bande des 30 : ils ont moins de 30 ans, vivent à moins de 30 minutes en transports de Paris et passent 30 minutes par jour dans les médias. « Ce sont ceux qui savent parler pour ne rien dire, en fin de compte, qui ont l’ambition de transformer le pays », complète la députée de la Manche. Ceux-là ne sont pas vraiment des amateurs à leur arrivée à l’Assemblée nationale.

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Mais alors, que veulent les Français? Faut-il des novices (au risque d’avoir des amateurs, voire des incompétents), des faux nouveaux (au risque d’avoir des professionnels déguisés en débutants) ou des professionnels de la vie politique, qui enchaînent les mandats au niveau local et national (au risque d’avoir des élus déconnectés de la réalité du terrain)?

«En fait, il y a une lecture sociologique des attentes de la population, explique Luc Rouban. Les classes supérieures ont tendance à demander de la compétence, tandis que les classes moyennes et pauvres privilégient l’amateurisme.»

Pour les premières, la professionnalisation de la vie politique ne fait pas de mal car elles estiment ne pas pouvoir s’occuper de tout en permanence. Il est donc confortable que des personnes ayant voulu en faire leur métier s’en chargent pour eux. «Ce sont deux modèles de représentation très clivés selon les critères sociologiques», poursuit le directeur de recherche au CNRS. Dans son rapport sur le baromètre de la confiance politique, qu’il intitule «L’emprise du libéralisme autoritaire en France», il démontre que «43% de l’électorat de droite défend l’efficacité face à la démocratie», et donc, indirectement, la professionnalisation de la vie politique face à de nouvelles formes de gouvernance plus inclusives. Le chercheur estime que «l’inefficacité politique du gouvernement sous Emmanuel Macron» se traduit davantage par «l’impréparation des réformes et le sentiment pour les députés d’être piégés» que par l’amateurisme dont ces derniers auraient pu faire preuve.

Pour Cédric Villani, qui se prononce contre la professionnalisation de la vie politique, il s’agit avant tout de trouver un équilibre. « Il faut du renouvellement et il faudra bien laisser sa place comme on l’a voté. On ne pourra pas faire plus de trois mandats, affirme-t-il. Il faut aussi une petite dose d’amateurisme, on ne peut pas à la fois être contre la professionnalisation et contre l’amateurisme. »

Mais trois mandats, n’est-ce pas déjà trop ? Le vrai problème en France, c’est qu’aucun statut d’élu n’ait été convenablement établi, nous explique Jean-Michel Clément (ex-LREM). « On a créé indirectement des situations de dépendance à la vie politique, sauf pour les professions libérales où on peut rebondir. En France, on a tendance à élire des gens expérimentés au lieu de débutants, à l’exception de la dernière élection. »

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Dans un numéro de LCP Le Mag, diffusé le 3 novembre 2018, des députés balayés lors des législatives sont revenus sur cette problématique. Si certains avaient pu se recaser, notamment ceux issus des professions libérales, il restait extrêmement difficile pour d’autres de se réinsérer dans la vie professionnelle après leur mandat. Et la notion de handicap évoquée à un moment a retenu notre attention. « Contrairement aux pays nordiques, où les élus commencent très jeunes et font ensuite l’objet de toutes les convoitises de la part des entreprises, des administrations, il est impossible pour nous de retrouver du boulot. On veut interdire le cumul du statut d’élu et de l’activité professionnelle, mais on fait comment ensuite ? » s’interroge un élu de la Vienne, qui préconise un filet de sécurité pour les deux années suivant le mandat. Lequel permettrait aux députés de se reconvertir, comme n’importe quel chômeur.

Ainsi, la professionnalisation de la vie politique reste plébiscitée par une partie de la population française, mais aussi par le système en place qui ne prévoit rien pour réintégrer les députés dans le monde réel.

Extrait du livre de Wally Bordas et Nejma Brahim, « Tout ça pour ça, Couacs, déceptions, démissions : enquête au cœur de l'Assemblée nationale », publié aux éditions Plon.

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