Le paradoxe Amazon : pourquoi Wall Street a puni Jeff Bezos quand il s'est remis à faire des profits <!-- --> | Atlantico.fr
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Le cours de l'action d'Amazon a baissé de 5 % le 30 janvier.
Le cours de l'action d'Amazon a baissé de 5 % le 30 janvier.
©Reuters

Retour de bâton

Après deux trimestres dans le rouge, le géant de la distribution par internet a renoué avec les profits sur les trois derniers mois de l'année 2013. Ce qui n'a pas empêché le cours de l'action de baisser de 5 % le 30 janvier.

Frédéric Fréry

Frédéric Fréry

Frédéric Fréry est professeur à ESCP Europe où il dirige le European Executive MBA.

Il est membre de l'équipe académique de l'Institut pour l'innovation et la compétitivité I7.

Il est l'auteur de nombreux ouvrages et articles, dont Stratégique, le manuel de stratégie le plus utilisé dans le monde francophone

Site internet : frery.com

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Atlantico : Amazon a habitué les marchés à ne pas verser de dividendes à ses actionnaires, l'entreprise réinvestissant systématiquement les bénéfices dans un objectif de croissance. Après deux trimestres dans le rouge, le géant a renoué avec les profits sur les trois derniers mois de 2013, pourtant au 30 janvier l'action chutait de 5 %. Comment expliquer un tel paradoxe ?

Frédéric Fréry : La croissance a été légèrement inférieure à ce qu'avaient prévu les analystes. Au lieu de 25 %, on a eu environ 20 %. Sachant que tout le système de rémunération des actionnaires est fondé sur une promesse de croissance, cette baisse de 5 % n’est pas surprenante. A titre de comparaison, la croissance de Carrefour s’élève à 1 %... Amazon compte plus de 100 000 employés, et fait 75 milliards de dollars de chiffre d’affaires. Avec sa croissance à 20 %, aucune autre entreprise ne l’égale. Pourtant, cela ne suffit pas, parce que ce qui avait été annoncé était supérieur. Mais 5 % de baisse du cours de l’action, cela reste minime.

Fondamentalement, l’évolution de l’action d’une entreprise de ce type est fondée sur le maintien des promesses de croissance. Dès que cette croissance est inférieure a ce qui a été annoncé, mécaniquement l’action diminue. En effet la théorie financière commande que la valeur d’une action n’est autre que l’actualisation des cash flows futurs, qui se fait en fonction des taux de croissance annoncés par l’entreprise. Par conséquent si la croissance diminue, automatiquement la valeur diminue aussi.

Comment Jeff Bezos est-il parvenu à faire accepter à Wall Street cette stratégie de la croissance à long terme, qui va à l'encontre du principe de la rémunération régulière des actionnaires ? Comment cela est-il devenu la normalité ?

Des précédents ont permis à Amazon de faire accepter ce système. Microsoft par exemple, n’a versé ses premiers dividendes qu’en 2003, soit 25 ans après sa création. Pendant toute la durée de la direction d’Apple par Steve Jobs, deuxième période (1997-2011), aucun dividende n’a été versé. Une fois payés, les actionnaires n’ont pas eu matière à se plaindre. L’idée n’est donc pas difficile à vendre aux actionnaires, le tout est de présenter des gages. Et Amazon n’a, à ma connaissance, jamais versé de dividendes. Cette année l’entreprise est bénéficiaire d’environ 270 millions, après avoir perdu 30 à 40 millions l’année d’avant, pour un chiffre d’affaires d’environ 74 milliards. Pour donner un ordre de grandeur, ce chiffre d’affaires est à peu près équivalent à celui de Microsoft. Ce dernier a réalisé l’année dernière un bénéfice net après impôt de 20 milliards. Le bénéfice d’Amazon, à côté, est microscopique, car tout est investi dans des entrepôts et du recrutement, et les prix sont maintenus au plus bas.

La seule différence avec Microsoft et Apple, c’est que ces derniers étaient structurellement rentables. Surtout Apple, à tel point que le successeur de Steve Jobs, Tim Cook, a été obligé de verser des dividendes, car les actionnaires lui ont mis la pression, et il ne savait plus tellement où l’investir. Le meilleur rendement qu’il pouvait trouver était d’acheter des actions Apple, ce qu’il a d’ailleurs fait. Quant à Microsoft, la rentabilité reste extraordinaire, mais l’action oscille, car il n’y a plus d’espoir de forte croissance.

La capitalisation boursière est de 185 milliards de dollars, soit 672 fois le bénéfice net annuel. Pour garder la confiance de ses actionnaires, Amazon doit-il rester fidèle à tout prix à sa stratégie ? Autrement, que risque-t-il de se produire ?

La capitalisation boursière, c’est tout simplement la multiplication du nombre d’actions par le prix de l’action. Le cours influe sur la capitalisation, et comme on l’a vu, ce cours est déterminé par le taux de croissance. Les actions ne font que monter  car les actionnaires se basent sur l’hypothèse selon laquelle à terme, les dividendes seront très élevés.

A la vitesse à laquelle croît Amazon, Carrefour sera doublé dans un an, et Walmart dans 5 ou 6 ans. Pour que le pari d’Amazon soit perdu, il faudrait que la croissance – de 20 %, faut-il le rappeler – s’arrête, et que par conséquent les investisseurs considèrent qu’ils ne toucheront plus de bénéfices, ce qui entraînerait l’effondrement du cours de l’action. Mais tout cela est très conditionnel, et rien ne dit que si jamais Amazon constatait une incapacité à continuer de croître il ne se rattraperait pas sur une rentabilité supérieure. Ce fut le cas d’Apple et de Microsoft, dont la croissance est aujourd’hui beaucoup moins rapide, mais qui sont extrêmement rentables. Les actionnaires d’Amazon n’ont pas trop à s’inquiéter, et même s’il sont pris d’un doute, ils peuvent revendre leurs actions. Un certain nombre d’actionnaires ne font pas le pari qu’ils toucheront des dividendes, mais qu’ils revendront à une personne dont ce sera effectivement l’objectif.

Quand cette stratégie aura-t-elle finalement atteint son but ? Une position de monopole ne risque-t-elle pas de poser problème ?

Il est impossible de prétendre au monopole, et Amazon en est de toute façon très loin. Pour la vente de livres par exemple, l’entreprise se situe à 20 % dans les pays où elle est la mieux implantée, et est à 7 ou 8 % en France. La fnac reste en tête, mais si celle-ci disparaît, alors Amazon arrivera sans doute à 20 % de parts de marché.

Le jour où le taux de croissance ne peut plus être maintenu tel qu’il est – c'est-à-dire trouver chaque année 20 milliards de dollars de croissance – un arbitrage doit être fait. Mais le jour où la croissance faiblit, il faut pour maintenir le cours de l’action compenser par une attribution de dividendes. Néanmoins nous n’en sommes pas là, car il existe encore beaucoup de catégories de produits sur lesquelles Amazon peut intervenir. Les produits frais vont être généralisés dans toutes les grandes villes américaines par exemple, pour ensuite être certainement vendus en Europe. Les zones de croissance sont multiples.

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