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Le nouveau marché de l’amour :  les applis de rencontre nous rendent service... mais pas que (et loin de là)
©LOIC VENANCE / AFP

Passion 2.0

Les applications et les sites de rencontres ont renforcé le rapport marchand à l'amour. Comment expliquer que la recherche d'un ou d'une partenaire soit aujourd'hui presque commerciale ?

Pascal Neveu

Pascal Neveu

Pascal Neveu est directeur de l'Institut Français de la Psychanalyse Active (IFPA) et secrétaire général du Conseil Supérieur de la Psychanalyse Active (CSDPA). Il est responsable national de la cellule de soutien psychologique au sein de l’Œuvre des Pupilles Orphelins des Sapeurs-Pompiers de France (ODP).

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Atlantico.fr : L'idée selon laquelle les rencontres et relations amoureuses peuvent être analysées à l'aide de grands principes économiques n'est pas nouvelle. Dans les années 1970, Gary Becker avait déjà cherché à appliquer les grandes théories économiques aux taux de mariages et de divorces. Mais à l'heure de Tinder, Meetic et autres sites de rencontre en ligne, l'amour ressemble encore davantage à un marché économique comme un autre. 

Il est indéniable que les applications amoureuses ont renforcé le rapport marchand que l'on pouvait à l'amour, mais comment expliquer que la recherche d'un / d'une partenaire soit aujourd'hui presque commerciale ? En d'autres termes, comment expliquer qu'on recherche un compagnon comme on rechercherait une nouvelle paire de chaussures ? 

Pascal Neveu : J’aime beaucoup l’expression « trouver chaussure à son pied »… référence à Cendrillon et le soulier de vair. Tout comme « prendre son pied ».

Ce que je veux dire, c’est que déjà deux éléments sont présents dans toute recherche amoureuse :

  • les fantasmes, attentes et désirs autour de la princesse et du prince charmant… car nous avons tous biberonné dans les contes
  • la nécessité d’une alchimie sexuelle

Et on le retrouve dans l’utilisation des sites et applications.

Finis les mariages de convenances où d’un côté on construisait une famille, et d’un autre côté, surtout les hommes, on menait sa vie « amoureuse ».

Il faut toujours analyser les comportements humains à travers les primes de l’histoire, de la psychologie et de la sociologie.

C’est historiquement à la fois le 19ème siècle qui régit la notion de famille, mais surtout la fin du 19ème siècle où Freud va oser parler des désirs, des pulsions, des frustrations au sein d’une Vienne très prude, qui cache derrière de belles vitrines des réalités qui lui feront obtenir les pires insultes. Il libère les couples, on observe des rencontres de jeunes femmes et hommes dans des bars, dans des lieux de rencontres qui ne sont plus les bals ou les petits salons.

Les rencontres ont enfin lieu… le choix commence déjà à s’exprimer !

On va s’autoriser progressivement les restaurants, le cinéma, les lieux de shopping… afin de faire connaissance de se ressentir davantage à travers des sentiments de plus en plus sincères... jusque 2020.

En effet, si trois couples sur dix se formaient grâce à la famille au milieu du 20ème  siècle, ils ne représentent plus que 7%.

Nous avons des attentes, des goûts, une pression familiale et sociale qui font que la « marchandisation amoureuse et sexuelle » existe. Pour ne pas être déçus, pour ne pas décevoir son entourage, sa famille… Et parce que le regard de l’autre n’a jamais été aussi important.

Voyez déjà sur les réseaux sociaux les abonnés qui précisent « en couple » à telle date, avec… et on exhibe les photos… et mieux vaut quelles soient parfaites.

Ce rapport marchant à l'amour est-il uniquement à mettre sur le dos des sites de rencontre ? Cette conception de l'amour n'a-t-elle pas pris une telle ampleur parce qu'elle a également un côté rassurant ? 

Il suffit de regarder les chiffres, même si tous les chercheurs, et ce que je peux entendre en consultation, permet de dire qu’ils sont sous évalués.

2% de la population hétérosexuelle déclare avoir rencontré leur partenaire actuel via des sites et applications de rencontre. À cela s'ajoutent quelque 7% qui assurent que ces technologies leur ont permis de faire une rencontre mais qui n'a pas été durable. Un chiffre différent chez les couples de même sexe: une personne sur trois a rencontré son actuel(le) conjoint(e) en ligne.

Ces chiffres ont évolué depuis une quinzaine d’années, avant l’essor des applications, où à l’époque les sites de rencontres et le lieu de travail se talonnaient comme moyen de rencontre.

Actuellement, selon les dernières études, les sites ne se classent qu'à la quatrième position, après le lieu de travail, les soirées entre amis et les lieux publics.

Le monde virtuel donne plus souvent lieu à des relations éphémères qu'à des couples stables. Et pour les relations amoureuses importantes qui s'y sont nouées, il s'agit le plus souvent de remises en couple (10%) que de premières unions (5%).

Toutes les catégories socio-professionnelles ont leur site dédié: les seniors, les vegans, les riches ou les amateurs de métal, les convergences politiques et culturelles…

Tinder, devenue l'application la plus rentable avec un chiffre d'affaires de 230 millions d'euros au premier trimestre 2019, cumule près de 4 millions d'abonnés payants dans le monde (en ce qui concerne les options proposées, l’application étant gratuite). Le géant de la rencontre en ligne Meetic se targue d'être à l'origine de « plus de 240.000 rencontres tous les ans ».

Vrai ou faux ? En tout cas 1 Français sur 4 est inscrit en ligne sur au moins un site ou application de rencontre.

Et 39% des utilisateurs se disent satisfaits.

Les gens sont ils plus considérés comme des marchandises, par opposition aux individus ?

Sommes-nous comme entrain d’acheter un aspirateur sur un site comparateur ?

Les études démontrent que oui depuis les années 60-70 ! Nous fonctionnons comme dans un hypermarché.

De plus, le nombre de divorces, la peur de l’abandon, le désir de liberté, l’existence et l’acceptation, certes par un très faible pourcentage de la population du polyamour, de « trouples » voire plus, modifie la façon de vivre sa relation aux sites et applications.

Mais l’être humain n’étant pas fait pour vivre seul, ayant besoin d’affect… un marché se crée.

L’émission « Mariés au premier regard » n’existerait pas, même si cette fois ci on utilise le vecteur scientifique.

Les sites et applications fonctionnent sur l’attirance : photo, présentation, échanges par messagerie… avant un éventuelle rencontre.

En quoi cette conception de l'amour comme n'importe quel autre marché tue-t-elle, d'une certaine manière, l'amour ? Comment adopter un rapport plus sain ?

C’est ce que certains sociologues appellent l’abolition de la « parade nuptiale ». Faire sa cour passe par des procédés plus directs, plus rapides.

L’humiliation peut être au rendez-vous car vous n’avez pas de réponse… pouvant donné par la suite quelques harcèlements.

J’ai déjà connu des personnes qui créaient des faux profils très attractifs, et posaient des lapins, ou humiliaient via le site l’autre (physiquement, intellectuellement…).

Quand au rapport plus « sain »… je n’ai nullement à juger.

Selon moi cela reste un moyen de mise en relation.

J’ai en consultation des femmes et des hommes tantôt timides, tantôt en manque de confiance (suite à une séparation après une longue relation, suite à une blessure narcissique profonde, parce qu’ils ne se trouvent pas beaux…) pour lesquels les sites et les applications permettront d’approcher l’autre, d’expérimenter la communication de la séduction et de la drague… de rencontrer ou non, en se protégeant dans un premier temps à travers un profil, un écran, sans forcément se dévoiler.

Mais vous avez aussi des personnalités médiatisées (acteurs, présentateurs télé, hommes d’affaires, mannequins…) que personne n’ose aborder dans leur vie, très occupées professionnellement qui créent des profils (il existe même un site dédié), ne se dévoilant pas, à la recherche d’une personne sincère.

D’autres qui créent des faux profils et fantasment ou ont besoin de se rassurer indirectement.

Bien évidemment celles et ceux qui sont dans une démarche d’infidélité ou de finalité strictement sexuelle.

C’est à la fois un marché de dupe où l’on ment énormément sur son âge, où l’on s’avantage avec les photos, la profession (parfois même le sexe), mais où des profils sont totalement sincères.

Je me rappelle cette patiente, très belle et intelligente jeune femme qui ne parvenait pas à rencontrer parce que sur le site adopte… un compteur dévoilait les plusieurs milliers de jeunes hommes qui l’avaient contactée… certains l’insultant ou la prenant pour une femme facile.

Depuis la naissance de Meetic et autres, et suite aux retours de mes patient(e)s, j’ai selon moi (sans avoir réalisé une étude stricte sur le plan scientifique) pu remarquer que sur les sites et applications nous serions dans des proportions d’1/3 de personnes en recherche sincère d’amour, 1/3 uniquement de rencontre sexuelle, 1/3 qui ne sont présents que pour fantasmer, duper voire manipuler.

Car même si nous n’avons pas de chiffres officiels, il y a de plus en plus « d’escorts » et d’escrocs avec des arnaques aux sentiments (demande d’argent car prétextant une difficulté financière, ou ne serait-ce que via des cartes de téléphone portable…)

La grande question est celle de la solitude et de l’isolement affectif d’une grosse partie de la population qui n’ose pas l’exprimer.

D’ailleurs, des chercheurs de l'Ohio State University ont étudié le lien entre la solitude et l'utilisation compulsive des applications de rencontres. Ils ont interrogé des étudiants qui passaient un temps supérieur à la moyenne sur les sites. Le résultat est très négatif : plus vous êtes seul, plus vous rechercherez un partenaire et plus vous vous sentirez éloigné des autres. Cela arrive statistiquement tout autant aux hommes qu’aux femmes.

Parce que la population ne cesse d’augmenter… nous avons plus de possibilités de rechercher autour de nous (surtout dans les grandes villes) et rencontrer un grand nombre d’éventuels partenaires de vie que dans des lieux où la population est beaucoup plus restreinte. C’est une loi mathématique.

Par ailleurs il a été démontré il y a quelques mois que les informaticiens ont créé un algorithme qui, en fonction de tous les critères que vous aurez rempli, fera en sorte de ne pas vous présenter sur les sites et applications les personnes qui vous intéressent, de manière à vous rendre encore plus addict, donc, par frustration, vous amener à vous abonner à certaines fonctions.

Le marché de l’amour a toujours existé.

Il existe encore des agences matrimoniales.

Internet semble nous rendre plus libre, moins honteux et coupables dans le regard de l’autre face au célibat et autres… puisque nous y sommes si nombreux… normalisant, banalisant ces moyens de rencontre… mais c’est un marché.

D’autant plus qu’en vieillissant, nous connaissons vraiment nos préférences.

Dans un monde qui ne sait plus se parler, communiquer, draguer... pourquoi ne pas tenter ces sites et applications. Rencontres, déceptions, révélations… seront au rendez-vous, en n’oubliant pas ce que cela va nous apprendre sur nous et nos attentes mais aussi nos blocages possibles.

Pour autant, rien ne nous empêche de continuer à utiliser les « bonnes vieilles méthodes » ou faire comme quelques patient(e)s qui dans des supermarchés regardaient le contenu d’un panier afin de repérer un(e) célibataire et par exemple l’aborder au rayon produits congelés pour demander s’ils ont goûté tel produit… histoire de réchauffer l’atmosphère.

L’être humain a besoin de raconter sa rencontre amoureuse… Les sites et applications n’en sont pas dépourvus de nombreuses anecdotes que j’ai pu entendre.

Comme l’écrivait Roland Topor « On ne rencontre que ceux qu’on a déjà rencontrés ».

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