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Le MuCEM, un monument de relativisme et de rejet des valeurs universelles ?
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Cadeau empoisonné

L'ouverture du MuCEM, musée marseillais consacré à la culture méditerranéenne, s'est faite à grands coups de valeurs de partage et d'identités communes mais différentes. Pourtant, ce beau bâtiment de verre pourrait bien cacher un temps de relativisme et de rejet de l'universalisme.

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Le MuCEM vient d’ouvrir ses portes. Marseille peut s’enorgueillir de ce joyau d’architecture qui la valorise d’un point de vue culturel, pour mettre en pleine lumière ses attaches aux origines historiques méditerranéennes, évidemment posé sur la mer et la rejoignant par sa transparence particulièrement bien pensée.

Malheureusement, serait-on tenté de dire, dans la continuité d’une pensée qui a pour tendance dominante le relativisme culturelle en matière d’étude des civilisations, le MuCEM n’a en quelque sorte pas failli. Écoutons dans ce sens ce que le Président du MuCEM a confié à France 2 (1) dans une interview qu’il a accordée à la chaîne, insistant sur la notion de musée des civilisations méditerranéennes : « Pour nous c’est très important le « S » de civilisations. Nous ne sommes pas au musée de la civilisation. Nous ne sommes pas au XVIIIe siècle, quand Condorcet ou Mirabeau prétendaient détenir un modèle universel que la France avait pour vocation à exporter. »

D’emblée, à travers cette remarque sur Condorcet et Mirabeau, le procès est lancé. Une fois de plus, la France et l’universalisme de ses valeurs sont attaqués, mis au ban de l’histoire comme s’il était question ici de déjouer le complot latent d’une idéologie post-coloniale. Une démarche qui n’a historiquement aujourd’hui aucun fondement, en dehors d’une logique de victimisation qui dénature l’approche scientifique des civilisations.

On nage de fait en plein relativisme. Pour mieux valoriser ici on dévalorise là, mais pour faire quoi ? Quel peut donc être le résultat de tout cela ? Quel autre modèle que celui universel des Droits de l’homme, de la démocratie, du politique détaché de la tutelle de la religion, de la liberté de conscience et du libre-arbitre, peut-il réunir les conditions du droit qui puisse garantir les sociétés contre le despotisme ? Cela parait pourtant, au moindre citoyen, aussi universel que la formule de l’électricité !

Quelle autre société, nation, que la France, quelle autre civilisation a-t-elle proposé quoi que ce soit qui ait un tel caractère d’universalité pour garantir aux hommes la condition de leur liberté ? Il est presque un comble que l’on rejette ainsi cela, au moment même où, de l’autre côté de la méditerranée, on attend un soutien dans ce mouvement d’aspiration à la liberté qui animent encore les peuples qui ont vu un certain printemps arabe se transformer malencontreusement en cauchemar islamique.  

Pas un pays arabo-musulman n’a su achevé la construction de l’Etat de droit comme Ali Mezghani (2) professeur de droit à l’Université de Paris Panthéon-Sorbonne l’explique, car aucun n’a su le séparer du religieux, en l’occurrence, de l’islam. Le modèle turc lui-même que l’on montrait encore récemment en exemple comme manifestation d’un système mixte réussi entre démocratie et islam, est aujourd’hui remis en cause par les faits. Il se dit laïque mais a laissé se fabriquer un parti islamiste qui est actuellement au pouvoir dans les conditions d’absence de respect des libertés que la violence actuelle du pouvoir d’Erdogan souligne sans ambigüité.

Lorsque le religieux prend la place du pouvoir politique la liberté cours un péril mortel. Pour assurer la liberté des individus, il n’y a qu’un système mondialement reconnu et pas un autre, celui de la séparation des pouvoirs (législatif, exécutif, judiciaire) qui découle de la raison portée dans l’Etat, qui s’il fait la loi, la met en œuvre et ne peut la garantir à tous qu’en s’y soumettant aussi. C’est la condition absolue sans laquelle l’Etat n’est que le vernis de la tyrannie.

Lorsque la religion demeure dans l’Etat, ce dernier justifie d’en être le gardien ce qui le soustrait au contrôle des citoyens, la démocratie étant ainsi tronquée et les voies de recours illusoires contre lui qui, à tout moment, peut sortir la carte de cette fonction de gardien du dieu pour agir comme il lui plait et, justifier une violence illégitime.

Comment pourrait-on seulement penser la notion de civilisation sans que la raison, née en Occident, l’ait énoncée ? Elle ne l’a pas fait pour en conserver jalousement le concept ou pour hiérarchiser les civilisations ! Le Président du MuCEM s’est-il posé cette question ? Simplement, la raison est du coté de la conscience et de la science, et nulle autre forme de pensée n’a fait autant progresser, jusqu’à plus ample informé, de façon générale la civilisation, la connaissance et la condition humaine. C’est un fait, malgré les aléas d’une histoire où le colonialisme a sa part.

Réduire la pensée de Condorcet et de Mirabeau à une volonté d’imposer un modèle à d’autres sociétés, revient à confondre ce qui fait que leur pensée est tombée dans le bien commun de l’humanité en raison de sa portée pour tous les peuples, avec une volonté de les coloniser qui a à voir avec celle de les asservir. La colonisation a été par excellence le fait de la monarchie, la République quant à elle, si elle en a continué la fructification, elle s’y est dévoyée au regard de ses valeurs et du sens libérateur de son droit. Mais la République a eu besoin de temps pour s’émanciper elle-même, pour dénouer ses contradictions et les dépasser, ce qu’elle a su aussi faire. En même temps qu’elle le faisait pour elle-même dans un mouvement animé de révolutions et de mouvements sociaux majeurs, elle a été amenée à l’encourager pour les autres peuples, à travers les indépendances, comme un mouvement inexorable du sens que ses valeurs imprimaient à l’histoire.

Non, universalité ne veut pas dire colonialisme ! Il y a des découvertes comme celle de l’Amérique, que l’on ne fait qu’une fois, il en va de même dans l’histoire pour ce qu’il en est des institutions démocratiques, de ce citoyen qui fait les lois auxquelles il obéit, bien des plus précieux que l’on nomme liberté, dont l’avènement ne se fit qu’en un endroit, ce qui échue aux anciens Grecs, que les révolutionnaire de 1789 ont universalisé à travers la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, comme un don fait à l’humanité.

Ainsi, Mirabeau (1749-1791) et Condorcet (1743-1794) devraient être renvoyés aux illusions de l’histoire, et ne plus servir de référence universelle à ceux qui rêvent ailleurs de liberté et d’émancipation?

Mais de quel Mirabeau nous parle le Président du MuCEM ? De celui qui, en 1776, est contraint à la fuite, alors qu’il publie son Essai sur le despotisme, qui dénonce l’arbitraire du pouvoir royal : « le despotisme n’est pas une forme de gouvernement […] s’il en était ainsi, ce serait un brigandage criminel et contre lequel tous les hommes doivent se liguer. »

Est-ce le Mirabeau condamné à mort par contumace, puis extradé et emprisonné au château de Vincennes de 1777 à 1780 où il y écrit des lettres, publiées après sa mort sous le titre de Lettres à Sophie, chef-d’œuvre de la littérature et virulent plaidoyer contre l’arbitraire de la justice de son temps.

Est-ce encore le Mirabeau qui dit « Le droit est souverain du monde », autrement dit, l’individu est souverain par le droit au regard de tout pouvoir discrétionnaire d’un monarque ou d’une Eglise et de tout corps intermédiaire. N’est-ce pas cela qui devrait être défendu par l’esprit de ce musée ouvert sur des pays de l’autre côté de la méditerranée dont la liberté des peuples est mise aujourd’hui pour le moins à l’épreuve, alors qu’en France, une partie non négligeable de nos concitoyens issus de ceux-ci opèrent une évolution vers un enfermement communautaire sur une base religieuse qui ne peut qu’inquiéter les démocrates.

Les idées défendues par ces deux acteurs majeurs de la Révolution française tranchent radicalement avec ce que nous disent les avocats des mosquées de Paris et de Lyon, Chems-eddine Hafiz et Gilles Devers, dans leur ouvrage Droit et religion musulmane, qui rejettent la liberté de conscience signifiée par la liberté de changer de religion inscrite pourtant dans la Déclaration universelle des droits de l’homme jusqu’à affirmer: « le droit est sans prise sur la foi » au nom de vivre un islam authentique. Tout le contraire de cette liberté que seul le droit émancipé du religieux et du pouvoir d’un seul permet d’atteindre, précisément.

Mirabeau fait partie en 1788, entre autres avec Brissot, Clavière et Condorcet, des fondateurs de la Société des Amis des Noirs, créée pour l'abolition immédiate de la traite des Noirs et progressive de l’esclavage dans les colonies, qui aboutira à la première abolition de l’esclavage par la Ier République en 1794. N’est-ce pas là encore une valeur universelle à moins que Monsieur Sazzarelli puisse justifier le contraire, à laquelle les noms de Mirabeau et Condorcet sont attachés ?

Condorcet défend l’égalité des sexes en visionnaire de l’égalité des droits, dans un texte « Sur l’admission des femmes au droit de cité » (3 juillet 1790), de portée universelle, qui marque le tournant d’une pensée de l’homme qui reste une des questions essentielles posées encore à ce qui est appelé les civilisations de la méditerranée. Pour la France, elle en a déjà répondu devant l’histoire. « L’habitude peut familiariser les hommes avec laviolation de leur droits naturels, au point que,parmi ceux qui les ont perdus, personne ne songe à les réclamer, ne croie avoir réprouvé une injustice. Il est même quelques-unes de ces violationsqui ont échappé aux philosophes et aux législateurslorsqu’ils s’occupaient avec le plus de zèle d’établirles droits communs des individus de l’espècehumaine, et d’en faire le fondement unique des institutions politiques.Par exemple, tous n’ont-ils pas violé le principed’égalité des droits en privant tranquillement lamoitié du genre humain de celui de concourir à laformation des lois, en excluant les femmes du droitde cité ? (…) Elles savent, comme les hommes, aimer la liberté,quoiqu’elles n’en partagent point tous les avantages; et, dans les républiques, on les a vues souventse sacrifier pour elle : elles ont montré lesvertus de citoyen toutes les fois que le hasard et lestroubles civils les ont amenées sur une scène dontl’orgueil et la tyrannie des hommes les ont écartéeschez tous les peuples. (…)Ce n’est pas la nature, c’est l’éducation, c’estl’existence sociale qui causent cette différence (…)Il est donc injuste d’alléguer, pour continuer derefuser aux femmes la jouissance de leurs droitsnaturels, des motifs qui n’ont une sorte de réalitéque parce qu’elles ne jouissent pas de ces droits. »

Le Président du MuCEM, a sans doute besoin de revoir ses classiques à moins qu’il ne vise à faire passer cette idée fausse pour une idée vrai, que l’universalité des valeurs que la France a conquis pour le monde ne serait qu’un pitoyable post-colonialisme ou un vulgaire postulat ethnocentriste. Les révolutionnaires de 1789 ne sont pas toujours exempts d’erreurs et d’errances, mais on ne peut ainsi les taxer et les repousser en dehors de l’histoire universelle.

Le modèle politique français avec sa devise liberté-égalité et fraternité, sa République laïque et sociale inégalée en termes de protections collectives et de liberté de conscience, d’autonomie de l’individu, autant que Mirabeau ou Condorcet qui ont joué tout leur rôle dans cette évolution qui a amené notre pays jusque-là, méritent bien mieux que cela.

Ce relativisme est un poison pour les peuples qui cherchent le chemin escarpé de leur émancipation, car il est favorable à tous les obscurantismes qui en ce moment même jouent de cette confusion, pour freiner la soif de liberté des femmes et des hommes qui, de part et d’autre de la méditerranée, doivent un jour se réunir dans les mêmes droits et la même liberté. Que le MuCEM apporte à ce dessein sa pierre, en contribuant à son tour à cette œuvre commune aux civilisations avec un « S ».

1-France 2, JT 20h, le 3 juin 2013

2-Ali Mezghani, L’Etat inachevé, Gallimard, 2011.

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