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Le monde face à la tension extrême qui se développe entre les Etats et les marchés
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Bonnes feuilles

La mondialisation "dissout" les Etats, mais la crise de cette même mondialisation rappelle leur nécessité. Les peuples réclament plus d'Etat contre les dérégulations venues d'ailleurs. Ce que l'on prenait pour l'agonie du vieil Etat-nation dissimulerait-elle, en vérité, sa renaissance ? Extrait de "Le retour des Etats", de Michel Guénaire (2/2).

Michel Guénaire

Michel Guénaire est avocat et écrivain. Il est l’auteur du Génie français (Grasset, 2006) et Après la mondialisation. Le retour à la nation (Les Presses de la Cité, 2022). Vous pouvez retrouver Michel Guénaire sur Twitter : @michelguenaire

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Nous entrons dans une période révolutionnaire. La tension extrême qui naît entre les Etats et les marchés la caractérise à un premier degré. Les gouvernements tentent de retrouver leur capacité d’action contre les banques et les institutions financières, mais celles- ci les défient en continuant de fuir leur réglementation et en exigeant surtout dorénavant que leurs débiteurs publics soient solvables.

Ce n’est pas une révolution qui oppose un monde ancien à un monde nouveau, mais deux mondes neufs qui sont apparus ensemble il y a une trentaine d’années quand les Etats avaient décidé de limiter leur rôle, tandis que les institutions financières allaient commencer de diversifier leurs activités loin des métiers de la banque classique.

Ces deux mondes ont été aussi complices à leur naissance. Ce sont les Etats occidentaux qui ont permis l’expansion des marchés financiers en rompant avec le contrôle des changes, et les établissements bancaires des pays occidentaux qui ont fait naître les besoins en capitaux des Etats en leur prêtant de l’argent selon des modalités sans cesse renouvelées. Il serait faux de penser qu’un de ces mondes a pu créer seul l’univers de la mondialisation, en l’occurrence les banques avec le concours des entreprises industrielles et de service. Sans la décision des Etats qui voulaient se débarrasser d’une réglementation de la vie économique accusée de freiner le développement des nations, la mondialisation, dans sa période récente, n’aurait pas connu son envol. Les Etats ont pris la décision initiale ou fondatrice. La cause profonde de la financiarisation de l’économie moderne est la libre circulation des capitaux décidée par les Etats.

La complicité entre ces deux mondes leur a d’ailleurs profité respectivement. La richesse créée par les marchés financiers a permis aux gouvernements de promettre à leurs citoyens une amélioration continue de leur niveau de vie, notamment grâce aux facilités de l’accès au crédit, et le relâchement du contrôle de leur activité par le pouvoir politique aux marchés financiers d’étendre à l’infini leurs activités. C’est la voie dans laquelle se sont inscrites les entreprises elles- mêmes en répondant à la capacité d’accueil des investissements que les Etats ont développée et en étant accompagnées dans le financement de leurs projets par les établissements bancaires. Les entreprises se retrouvent d’ailleurs neutres dans la confrontation présente entre les deux mondes, et continuent seulement de chercher l’appui de l’un ou de l’autre avec opportunisme.

Ces deux mondes ont eu aussi la même fragilité en abandonnant les bases qui leur assuraient la maîtrise de leur destin. Les Etats ont perdu leur premier repère en abandonnant le contrôle ou l’appréhension la plus claire de leur pouvoir dans les limites de leur territoire, tandis que les marchés financiers se sont exposés à une série de risques qu’ils ne contrôlaient plus en dépassant les règles prudentielles des banques classiques. Ils partageaient le même empirisme. C’étaient en quelque sorte deux forces brutes. Leur seul but était de faire triompher leurs intérêts, et ils luttèrent pour gagner la prééminence finale de l’un sur l’autre. Ils se sont inscrits dans une même fuite en avant, où ce qui comptait par- dessus tout était l’avantage premier obtenu sur l’ancien complice qui lui faisait face et était devenu son ennemi. Celui des deux qui sombrerait ne serait ainsi pas le plus vieux, mais seulement le plus faible dans le rapport de forces qui s’était engagé. Tout Etat qui voudrait élire une réforme devrait en mesurer l’impact sur ses comptes, et les banques devaient prévenir tous les moyens de rétorsion que pourraient utiliser les Etats.

Ce sont des mondes que tout oppose désormais : les gouvernements des nations ont en charge les besoins des populations, alors que les acteurs des marchés financiers poursuivent des objectifs indépendants de toute opinion publique. Hommes politiques et hauts fonctionnaires des Etats, d’un côté, banquiers et agents des marchés de capitaux, de l’autre, ont des logiques d’action dissemblables qui les ont fait quitter le terrain d’entente les ayant un temps réunis, même si ce sont parfois les mêmes individus que l’on retrouve au cours de leur carrière des deux côtés de la barrière et qui forment cette élite interchangeable et fermée sur elle- même qui domine l’action du monde depuis de nombreuses années. Ils se doivent d’être irréductibles dans leurs positions quand ils occupent celles-ci, serviteurs des Etats ici, agents des marchés financiers là.

Leur opposition actuelle rappelle une opposition ancienne. Les Etats cherchent à redéployer le pouvoir politique dans les frontières de leur territoire et pour le bénéfice de leur population qui furent les critères de leur souveraineté, tandis que les marchés financiers ont repris à leur compte l’ambition des anciens internationalismes qui se sont toujours défiés des gouvernements. Leur lutte recristallise l’opposition entre le particularisme des nations que veulent incarner les Etats et l’universalisme induit d’un certain nomadisme financier.

Chacun de ces deux mondes a aussi et enfin laissé faire l’autre dans la sphère qui était la sienne. Aucun gouvernement n’aurait voulu au commencement du monde qui est né il y a trente ans indiquer aux marchés financiers les limites de leur action, ni aucune banque prévenir un Etat de la nécessité de la maîtrise de ses dépenses.

La fuite en avant de ces deux mondes neufs, fragiles et précaires, a été rattrapée par le choc de deux crises successives. Chacun de ces deux mondes a connu la crise qui a rendu impossible la restauration de l’équilibre ancien dans lequel il s’était inscrit. La crise des marchés financiers est intervenue la première en 2008, celle des dettes souveraines a éclaté à partir de 2010. Leur situation propre est arrivée à un point de non- retour, dans une confrontation entre eux qui s’est durcie, et c’est pourquoi nous entrons dans une période révolutionnaire.

Extrait de "Le retour des Etats", Michel Guénaire, (Editions Grasset), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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