Le mariage d'amour a-t-il tué la société occidentale ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Dans un mariage, l’amour n’est devenu prioritaire qu’au début du XXe siècle.
Dans un mariage, l’amour n’est devenu prioritaire qu’au début du XXe siècle.
©Reuters

Pour le pire ?

Alors que les tensions sur le mariage homosexuel commencent à peine à s'apaiser, ce dernier a remis en avant la dimension "amoureuse" de l'institution dans notre société. Au-delà de la question idéologique, le mariage d'amour a emporté avec lui bien plus qu'une tradition sociale.

Atlantico : Le modèle du "mariage d'amour" s'est popularisé au début du XXème siècle pour finalement devenir la norme dans le monde occidental. Peut-on dire que cette notion a finalement fait éclater le rôle social "classique" des unions matrimoniales ? Quelles en ont été les conséquences sur la société occidentale ?

Michel Maffesoli : Dans les sociétés traditionnelles, le mariage avait effectivement pour fonction l’alliance entre des familles, voire des « gens » (famille élargie). C’est ce type d’alliance communautaire (qui avait pour fonction de conforter la communauté en nouant des alliances avec d’autres communautés) qui s’est peu à peu estompée avec l’avènement d’une société fondée sur le contrat social et sa déclinaison privée, le contrat de mariage entre deux individus. Fondé sur un échange patrimonial (bourgeoisie), il s’est finalement restreint au contrat familial entre deux personnes (amour reproducteur).

Agnès Walch :L’amour a toujours été une des composantes des mariages, mais l’amour n’est devenu prioritaire qu’au début du XXe siècle, fondant désormais le mariage exclusivement sur ce sentiment. En Occident, le mariage d’amour a fini par valoriser un modèle conjugal romantique et sexuel, qui est en passe de devenir mondial : il s’impose dans presque toutes les cultures et sur toute la planète. La notion d’amour a relégué au rang des accessoires les autres dimensions de la vie matrimoniale que sont l’alliance entre deux familles, la fécondité, la transmission du patrimoine, l’éducation des enfants, le partage du quotidien. Notre société vit au rythme des désirs et des affects individuels. C’est particulièrement sensible dans la vie intime. Les divorces font éclater les cellules familiales, entraînent des recompositions et imposent aux enfants des schémas de vie qui les privent d’un de leurs parents.

Le mariage était considéré autrefois comme l'union des intérêts de deux familles ou de deux individus. Qu'est devenu cette notion ? A t-elle totalement disparu ?

Michel Maffesoli : Il me semble effectivement qu’à voir ce qu’est devenu le mariage, c’est-à-dire essentiellement l’instant de la fête de mariage, il a perdu totalement sa fonction fondatrice d’une union et par là sa fonction sociale.

Agnès Walch : Depuis que les hommes se sont groupés en sociétés, ils ont été amenés à s’allier, à échanger du patrimoine génétique et financier, à s’épauler pour la vie quotidienne. Ces transferts sont passés par l’institution du mariage qui a la particularité d’unir à la fois deux personnes et deux groupes familiaux. On épouse certes un conjoint mais aussi ses parents, en espérant que l’alchimie se réalisera, permettant l’avènement d’une nouvelle cellule familiale. Il ne faut pas croire que parce que la décision de se marier ne regarde plus que les seuls conjoints, les problèmes d’insertion du couple dans l’espace familial plus large n’existent plus. Avec la crise économique, on demande beaucoup aux ascendants. Alors que par le passé les jeunes couples se mettaient au service des anciens, c’est l’inverse qui a lieu aujourd’hui.

En devenant une question de désir plus que de devoir social, le mariage moderne n'a t-il pas déresponsabilisé les adultes à travers le divorce et l’insouciance ?

Michel Maffesoli : Le mariage comme institution sociale fondatrice du lien sociétaire a subi comme les autres valeurs de la modernité (18ème-20ème siècle) un phénomène de saturation. En accentuant de plus en plus l’individualisme (le désir par rapport au devoir, c’est-à-dire le bien collectif), le mariage moderne en est arrivé à perdre son rôle social. Les individus ne se sentent plus engagés qu’envers eux-mêmes et dès lors cet engagement est éminemment obsolète.

Agnès Walch : Le mariage, c’est avant tout la fête, un jour mémorable pour deux héros qui officialisent leur amour. Mais l’institution proprement dite a perdu du sens. Pour preuve, des mairies invitent les futurs époux à suivre des préparations laïques. Pourtant, les obligations de fidélité, d’assistance et d’éducation des enfants restent inscrits dans la loi. L’évolution contemporaine donne aux désirs individuels le pouvoir d’effacer les contraintes sociales. Elle déresponsabilise les adultes. Beaucoup divorcent ou éprouvent une crise d’autorité vis-à-vis de leurs enfants.

Doit-on parler d'un modèle en crise ou s'agit-il d'une recomposition ?

Michel Maffesoli : « Crisis », c’est-à-dire jugement de ce qui est en train de naître sur ce qui est en train de cesser. Le mariage est effectivement une institution en désuétude, en témoigne d’ailleurs l’extension ridicule (mariage pour tous) de ce qui est devenu non plus une institution sociale, mais un droit individuel, à toute forme d’alliance entre deux personnes. La revendication de ce droit identitaire est un indice fort non seulement de la fragilité du contrat (de social il est devenu interindividuel), mais aussi de celle de la revendication identitaire et d’ailleurs de la monogamie. Au-delà du dernier feu d’artifice qu’ont constitué les manifestations un peu hystériques autour du mariage pour tous, il est clair que de nouvelles formes de lien entre les personnes et de lien social émergent.

Agnès Walch : Il n’existe pas de véritables alternatives. Le mariage reste la forme de vie conjugale majoritaire. Pourtant, un large choix d’options sont désormais possibles. La critique du « mariage bourgeois » dans les années 1970 a conduit à l’émergence de l’union libre et du concubinage. Depuis 1999, le pacs, offre un compromis d’engagement. Il est possible, et c’est la grande nouveauté de ces quarante dernières années, de passer d’un statut à l’autre au cours de son existence et avec des personnes différentes. Les divergences entre les statuts s’affaiblissent du fait du législateur qui tend à les faire converger en prenant comme base les droits du mariage. On aspire à profiter des avantages matrimoniaux en termes de protection juridique, d’avantages fiscaux, d’autorité parentale et de simplification des démarches administratives, mais on en refuse les contraintes. On veut être mariés tout en ne l’étant pas… Ainsi on refuse le mariage car le divorce, une éventualité, est long et coûteux. Mais quand survient la séparation, on finit par recourir à la justice, dans des conditions rendues plus incertaines par l’absence de cadre défini. On refuse le mariage, mais on court chercher un certificat de concubinage.

La question du mariage comme pilier de la société fait débat dans l'actualité. Peut-on dire que l'état de cette institution ait des conséquences directes sur le fonctionnement de l'ensemble du corps social ?

Michel Maffesoli : La société postmoderne au contraire de la société moderne voit l’émergence de multiples liens tribaux, communautaires au détriment du contrat social et interindividuel. C’est ce changement de valeurs qui rend obsolète le mariage comme institution de base, c’est pour cela que le mariage pour tous était une revendication retardataire. Sous un aspect faussement progressiste, c’est l’expression d’une crispation régressive.

Ce qu’on nomme la crise n’est pas tellement un phénomène économique, mais un profond bouleversement des valeurs et des comportements. De nouvelles formes de régulation des rapports entre les personnes, des histoires d’amour, des émotions collectives émergent peu à peu. On ne peut pas dire quelles seront les formes instituées de la parentalité, de l’amour, de l’amitié ni des différentes formes de commerce (commerce des biens, des mots, du sexe). Ce qui est certain c’est que la fin d’une forme instituée (le mariage monogame) ne signifie pas la fin du lien social, car la fin d’un monde n’est pas la fin du monde.

Agnès Walch : L’institution était autrefois considérée comme « cellule de base de la société ». Se marier était une étape essentielle de l’existence. Désormais, le mariage n’est plus une obligation pour personne et l’amour n’est plus suffisant pour se marier. D’autres raisons interviennent, comme la naissance d’enfants (si la moitié des enfants naît hors mariage, ils vivent majoritairement dans des familles constituées par des couples mariés), le désir de reconnaissance sociale, le besoin de trouver une stabilité financière. Les anciens critères resurgissent donc à la faveur de ces changements sociétaux. Face à l’individualisme qui fragmente la société, le mariage resserre les liens entre les personnes et impose le respect de règles édictées de plus haut, par l’Etat, au non du bien collectif. Le mariage donne de la lisibilité au corps social et apprend la citoyenneté.

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