Le macronisme, piège encore plus dangereux que le chiraquisme pour LR ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Un montage de portraits de Jacques Chirac et d'Emmanuel Macron.
Un montage de portraits de Jacques Chirac et d'Emmanuel Macron.
©AFP

LR(EM)

De nombreux parlementaires Les Républicains souhaiteraient abandonner la stratégie d'opposition systématique au gouvernement pour renouer avec "l'esprit de responsabilité". Ce choix ne risque-t-il pas de conduire à l'immobilisme et à une compromission sur les valeurs ?

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet est essayiste et auteur de nombreux ouvrages historiques, dont Histoire des présidents de la République Perrin 2013, et  André Tardieu, l'Incompris, Perrin 2019. 

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Atlantico : Selon les informations du Figaro, plusieurs parlementaires LR veulent abandonner la stratégie d’opposition systématique au gouvernement et renouer avec "l’esprit de responsabilité" et la "culture de gouvernement" qui fait leur "ADN". Cette justification a-t-elle un sens ?

Christophe Boutin : Il est toujours étonnant de voir des gens évoquer leur sens du bien commun et des responsabilités lorsqu’il s’agit en fait de céder aux sirènes d’un pouvoir plus puissant. Mais l’image qu’ils donnent de leur propre formation pour justifier leur choix ne tient malheureusement pas. Les Républicains feraient-ils actuellement preuve d’une opposition systématique aux projets d’Emmanuel Macron ?  Non, et ce serait caricaturer la politique menée par le groupe parlementaire que de le prétendre. Les Républicains affirment au Parlement, sur un certain nombre de points, la même opposition à certaines des options proposées par le président de la République que celle qu’ils avaient exprimée lors de l’élection présidentielle - et peut-être plus encore lors des élections législatives. À aucun moment le groupe n’a fait de l’obstruction, mais le groupe de frondeurs autobaptisé « constructif » estime visiblement que l’alignement n’est pas assez grand, que le ralliement n’est pas assez évident.

À l’Assemblée nationale, sous la direction d’Olivier Marleix, les Républicains tentent en commission de présenter des amendements et de faire prévaloir, par le débat, des choix différents sur les textes gouvernementaux. La configuration actuelle de la chambre basse autant que la majorité sénatoriale pourraient donner à cette tactique une réelle efficacité si un gouvernement autiste n’entendait pas imposer malgré tous ses choix. Et ce ne sont pas les Républicains qui manquent ici à une « culture de gouvernement », puisqu’au sein même d’une majorité parlementaire, ou d’un gouvernement, il faut souvent savoir composer et arbitrer. 

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On peut d’ailleurs être surpris d’entendre des leçons de « culture de gouvernement » de la bouche de parlementaires qui ne savent ni ce que c’est que d’être au gouvernement, ni même ce que c’est que d’être au pouvoir – les Républicains n’y sont plus depuis 2012 ; « Putain dix ans » comme aurait dit la marionnette de Chirac aux Guignols. Aucun de ces nouveaux sages ou presque n’a été ministre, et les fonctions qu’ils ont exercées jusque-là n’ont pour l’instant guère marqué l’histoire politique de notre pays. Au contraire, on notera que ceux des Républicains qui ont une « culture de gouvernement », pour en avoir été membres ou avoir siégé dans une majorité parlementaire, sont ceux qui sont le plus opposés à un ralliement à Emmanuel Macron.

Il faut en fait revenir au maître d’œuvre de tout cela, qui n’est pas tant Emmanuel Macron qu’un Nicolas Sarkozy manifestement attaché à servir ce dernier. Un Nicolas Sarkozy qui sait, pour l’avoir vécue, l’impatience de ces jeunes loups avides de places à qui il expliquait dans un récent entretien qu’être un « parti de gouvernement » voulait uniquement dire participer au gouvernement, et que faute de le faire on disparaissait. Dans cette logique, c’est donc uniquement dans le but de sauver leur parti que certains « constructifs » seraient prêts à faire don de leur personne à Renaissance ! Dans cette manœuvre politicienne, la question des idées à défendre semble passer au second plan… mais encore faudrait-il bien sûr en avoir. 

Maxime Tandonnet : Parler « d’opposition systématique » est inexact. Le choix fait par les députés de droite classique est de se prononcer au cas par cas sur les projets de loi en fonction de l’intérêt du pays – tel qu’ils le conçoivent. Depuis l’été 2022 mais aussi 2017, plusieurs textes proposés par le gouvernement ont été voté avec l’apport de voix LR. Quant à « renouer avec l’esprit de responsabilité », la formule est trompeuse. De fait, les députés de droite dite « classique », les 62, ont été élus sur une ligne générale d’opposition au macronisme. Si leurs électeurs avaient voulu soutenir le pouvoir macroniste – lui donner une majorité absolue – ils auraient voté pour Renaissance et ses alliés, et non pour des candidats LR. Ainsi, l’attitude des quelques députés LR qui manifestent aujourd’hui leur intention de rejoindre la majorité et reconstituer artificiellement une majorité absolue, contre le choix de leurs électeurs, ne relève pas d’une culture de gouvernement mais d’une culture d’opportunisme, sinon de trahison.A l’heure où l’abstentionnisme atteint un record absolu de 60% aux élections législatives, ce genre de comportement ne peut qu’aggraver la crise de confiance en la politique.

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Dans quelle mesure le macronisme se révèle-t-il être un piège encore plus dangereux que le chiraquisme pour LR ? 

Christophe Boutin : Le chiraquisme n’a pas été un piège pour les Républicains, il a été la matrice des Républicains. Il a en effet essentiellement consisté à mettre en place une alliance et une fusion partisane entre les centristes et les gaullistes, alliance dans laquelle une bonne partie des idéaux gaullistes - censés pourtant être défendus par Jacques Chirac, président du RPR - ont été dissous dans la vision centriste : adhésion inconditionnelle à l’Union européenne, révérence, devant l’idéologie des droits de l’homme et le gouvernement des juges, politique économique financiarisée et mondialisée à rebours de l’étatisme social qui imprégnait un certain gaullisme. Jacques Chirac a par ailleurs validé l’interdiction de l’alliance à droite avec le Front national, à laquelle ce radical socialiste égaré dans le gaullisme ne pouvait souscrire. 

Si le macronisme est un piège pour les Républicains, c’est parce qu’il correspond aujourd’hui partiellement au moins à nombre de leurs choix, économiques, sociétaux, ou de politique internationale. Mais il ne faudrait pas négliger ici l’ajout, sur la matrice du chiraquisme, du sarkozysme. Certes, Jacques Chirac a piégé le gaullisme dans une alliance contre-nature, mais il appartenait à Nicolas Sarkozy, avec son revirement dès le début de son quinquennat vécu par certains comme une véritable trahison de son électorat, de mettre en œuvre une politique qui préfigurait sur bien des points celle d’Emmanuel Macron : atlantisme débridé avec sujétion à l’OTAN, européisme assumé avec la négation des résultats du référendum de 2005 ou inféodation  à l’Allemagne en sont quelques exemples évidents.

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Maxime Tandonnet : Cette troisième vague de ralliements potentiels (après 2017 et juin 2022) comme l’idée d’un « pacte de gouvernement » entre LR et le chef de l’Etat me semblent procéder d’une vision fausse de la situation. Elle repose sur l’idée d’une base idéologique commune entre le macronisme et la droite. Mais sur l’immigration, la sécurité, le recours sans compter à la dépense publique, aux déficits et à la dette publique, la désindustrialisation, le nivellement scolaire, les sujets sociétaux (PMA sans père), le macronisme ne fait que poursuivre à l’identique, sinon en l’accentuant sur certains points, la politique socialiste incarnée par M. Hollande. Et rien ne laisse penser que le président Macron, qui a traité la colonisation de « crime contre l’humanité » et appelé à « déconstruire l’histoire de France », soit disposé à se plier à des exigences d’une droite classique d’ailleurs minoritaire à l’Assemblée. Certains commentateurs affirment que « Macron est de droite ». Peut-être qu’il est parfois « de droite » par certaines postures et paroles pour des raisons de séduction électoralistes. Mais issu du parti socialiste, ancien conseiller et ministre de François Hollande, il reste fondamentalement socialiste par les actes. Et pourquoi en serait-il autrement ?

Cette situation est-elle causée par l’incapacité de LR à promettre un avenir national à ses élus locaux ou à sa jeune garde ?

Christophe Boutin : Partiellement au moins, vraisemblablement. Lorsqu’on est un homme politique, on n’a pas vocation à rester éternellement dans l’opposition, on aime bien que certains de ses choix politique puissent être validés, et si l’écurie d’à côté vous offre de plus grandes chances d’y parvenir, vous pouvez hésiter. La question, à laquelle il est bien difficile de répondre, est de savoir jusqu’où l’on peut aller, et quand la stratégie conduit à de telles compromissions que l’on finit par ne plus avoir d’identité propre et par valider les choix des autres. 

On entend ici la thèse habituelle de la « transformation de l’intérieur », de l’entrisme politique. Si les Républicains entraient dans une vaste coalition unie derrière un Emmanuel Macron qui ne pourrait pas se représenter à la fin de son second quinquennat, ils pourraient peut-être faire émerger en leur sein une personnalité qui prendrait le contrôle de cette coalition. Il ne serait pas grave alors de perdre une partie de leur électorat à la suite de ce ralliement, puisque la maîtrise de la coalition leur apporterait d’autres électeurs.

Malheureusement, pour eux, la place de la droite ralliée à Emmanuel Macron est déjà prise, avec aux moins deux personnalités politiques qui n’entendent pas passer leur tour, Édouard Philippe et Bruno Le Maire. La jeune garde LR ralliée n’aurait donc qu’un maroquin ou deux, et il est permis de penser que certains s’en contenteraient bien volontiers, mais nous sommes là dans des manœuvres personnelles et non dans l’affirmation d’une ligne politique. 

Maxime Tandonnet : L’argument selon lequel LR doit collaborer étroitement avec le pouvoir macroniste pour « rester un parti de gouvernement » ou pour promouvoir ses « jeunes talents » permet de justifier toutes les compromissions possibles... On imagine ce que ce genre de raisonnement peut donner dans l’histoire.Il exprime un renoncement à toute idée de conviction et de sincérité en politique. Ce genre de justification sert surtout à habiller la tentation opportuniste de quelques politiques et leurs mauvais calculs. L’argument selon lequel il faut « sauver la droite » en la rapprochant du macronisme relève d’un aveuglement incompréhensible. Le macronisme est voué, dans les années qui viennent, à devenir de plus en plus impopulaire et faire l’objet d’un rejet croissant de l’opinion en raison de son style qui incarne l’arrogance et de son bilan désastreux dans le domaine régalien, éducatif, social, économique et financier. Rallier le macronisme aujourd’hui reviendrait à s’enchaîner à un boulet en train de s’enfoncer dans l’abîme. Comment certains, de droite classique, ne le sentent-ils pas ? C’est bien ce qui est invraisemblable…

Pour autant, céder à la tentation de la construction avec Ensemble, n’est-ce pas risquer l’immobilisme et une compromission sur les valeurs. N’est-ce pas déjà là où le problème réside en partie pour LR ?

Christophe Boutin : Il n’est pas certain qu’Emmanuel Macron ne fasse pas des réformes, et il a bien l’intention d’en faire encore. Il faudra un jour faire le bilan de l’évolution de la Cinquième République sous ses deux mandats, et on constatera alors que certaines décisions ont été essentielles, faisant par exemple table rase de notre constitution administrative, détricotant méthodiquement les protections nationales bâties sur l’argent de générations de contribuables dans l’industrie, l’énergie, la santé ou l’éducation, et usant de tous les éléments – le dernier en date étant celui de l’urgence climatique – pour permettre à une finance privée de prospérer. 

Sur le régalien ou le sociétal ensuite, nous avons dit combien les thématiques d’une partie des Républicains rejoignaient celles du Président. Mais ce qui est intéressant aussi ici c’est la manière dont se met en place, y compris avec son vocabulaire particulier- les « constructifs », comme si les autres ne voulaient que détruire -, la scénarisation, le « storytelling » de leur ralliement. Le « pitch », comme on dit, est clair : alors que les Français doivent faire face, après la crise sanitaire – qui peut revenir – à la crise énergétique, à la crise financière, à la crise internationale et à la crise environnementale, seul un irresponsable pourrait vouloir y ajouter une crise politique. Il faut donc, par « esprit de responsabilité », soutenir ces réformes par lesquelles Emmanuel Macron va sécuriser l’Ukraine, garantir le chauffage ou doper le pouvoir d’achat. Et que les crises en question aient pu être causées par les décisions « responsables » du pouvoir en place et les « partis de gouvernement » qui l’ont précédé dans les dernières décennies se semble visiblement pas effleurer ceux qui ne rêvent que de l’accompagner dans sa fuite en avant. 

La stratégie de la tension à l’œuvre ces derniers temps jette l’opprobre sur les oppositions. Mais ces dernières entendent jouer leur rôle et refuser de se contenter d’être la chambre d’enregistrement du pouvoir en validant tout et n’importe quoi. N’est-ce pas cela gouverner et se montrer responsable ? Et le refus de dialogue du gouvernement ne contribue-t-il pas bien plus à cette tension, comme aussi ses récentes provocations ? L’objectif, au-delà de la facilitation du ralliement de certains LR, est sans doute de tenter d’éviter les effets pervers d’une dissolution qui pourrait advenir en cas de blocage… Le jeu, qui ne tient guère compte des urgences actuelles, semble bien risqué.

Maxime Tandonnet : C’est surtout ouvrir un boulevard définitif à des solutions extrémistes et démagogiques… « Dix ans ça suffit ! » En 2027, les présidentielles et législatives vont probablement se traduire par un raz-de-marée de rejet du macronisme, de tout ce qu’il incarne et de son bilan. Les Français voudront passer à autre chose… Si la droite classique ne s’en tient pas à une ferme opposition d’ici-là, les Français se tourneront évidemment vers d’autres alternatives. En revanche, la droite classique représente aujourd’hui, même si elle paraît en grande difficulté, la seule possibilité de changement profond sans le chaos inévitable que représenterait l’arrivée au pouvoir de LFI ou du RN. Son devoir est de se mettre au travail pour offrir aux Français la perspective d’une alternance ambitieuse plutôt que d’entretenir l’impression de son délitement continu et les velléités ou les soupçons de compromission.

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