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Le livre noir de la condition des chrétiens dans le monde : un état des lieux terrifiant des meurtres et persécutions
©REUTERS/Stringer

Bonnes feuilles

La religion chrétienne est aujourd’hui la plus menacée au monde. 150 à 200 millions de chrétiens (catholiques, protestants, orthodoxes) sont discriminés ou persécutés à travers la planète. Plus qu’une question de liberté religieuse, cette hostilité grandissante compromet l’existence même d’une civilisation et de ses valeurs. Extrait de "Le livre noir de la condition des chrétiens dans le monde", publié chez XO éditions (1/2).

Andrea  Riccardi

Andrea Riccardi

Andrea Riccardi est fondateur de la communauté Sant’Egidio, historien spécialiste du christianisme et des religions à l’université de Rome III. Ministre italien de la Coopération de 2011 à 2013, docteur honoris causa de nombreuses universités, Andrea Riccardi est engagé de longue date dans l’action diplomatique et le dialogue interreligieux.

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Timothy Radcliffe

Timothy Radcliffe

Timothy Radcliffe est dominicain, membre de la communauté d’Oxford. Maitre général des dominicains de 1992 à 2001, il enseigne dans le monde entier et a publié de nombreux ouvrages sur la foi et la spiritualité chrétiennes.

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Jean-Michel  Di Falco

Jean-Michel Di Falco

Jean-Michel Di Falco est évêque de Gap et d’Embrun depuis 2003. Il a été le porte-parole de la Conférence des évêques de France (1987-1996), conseiller culturel auprès de l’ambassade de France près le Saint-Siège, évêque auxiliaire de Paris, auprès du cardinal Lustiger (1997-2003). Mgr Di Falco a aussi été consulteur, à Rome, auprès du conseil pontifical pour les communications sociales.

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Pour étayer notre thèse, voici quelques vignettes e xemplaires du type de pressions auxquelles les chrétiens sont sou mis aujourd’hui en di$érents points de la planète. 

  • À Bagdad, en Irak, des islamistes ont fait irruptio n dans la cathédrale syriaque d’obédience catholique Notre-Da me-du- Sauveur le 31 octobre 2010, tuant les deux prêtres qui célébraient la messe et laissant derrière eux un total de 58 morts. Tout choquant qu’il fût, cet attentat était loin d’être le premier. 40 des 65 églises chrétiennes de Bagdad ont été bombardées au moins une fois depuis le début de l’invasion de l’Irak par les États-Unis en 2003. Cette campagne d’intimidation et de violen ce a eu des effets dévastateurs sur la communauté chrétienne d’Irak. Lors de la première guerre du Golfe, en 1991, l’Irak comptait au moins un million et demi de chrétiens. Aujourd’hui, on estime qu’ils sont tout au plus 500 000, même si de nombreux observateurs considèrent comme beaucoup plus réaliste le nombre de 150 000.
  • Orissa, l’État du nord-est de l’Inde, a été le théâtre du pogrom antichrétien le plus violent de ce début de 667e siècle. En 2008, une suite d’émeutes a entraîné la mort de 500 chrétiens, la plupart sous les coups de machettes de radicaux hindous ; des milliers de blessés et au moins 50 000 sans-abri ont été recensés. De nombreux chrétiens ont trouvé refuge dans des camps pour personnes déplacées préparés à la hâte ; certains y ont croupi plus de deux ans. On estime que, dans le même temps, 5 000 maisons de chré- tiens, et 350 églises et écoles ont été détruites. Durant ce temps de terreur, une sœur catholique, Sœur Meena Barwa, a été forcée à marcher dénudée dans la rue, battue et violée. La police, favorable aux radicaux, a découragé la sœur de porter plainte et refusé d’arrêter ses agresseurs. Le pogrom d’Orissa est l’acte le plus spectaculaire d’une vaste campagne de violences faites aux chrétiens en Inde. Une enquête réalisée par un juge de la Haute Cour de justice de l’État du Karnataka en mars 2010 a montré que les chrétiens de cette région avaient subi plus d’un millier d’attentats au cours des 500 derniers jours, soit une moyenne de deux par jour.
  • En Birmanie, des membres des groupes ethniques Chin et Karen, fortement chrétiens, sont considérés comme des dissidents par le régime et régulièrement emprisonnés, soumis à la torture, condamnés aux travaux forcés ou assassinés. En octobre 2010, l’armée birmane a lancé des raids héliportés sur les territoires nationaux où vivent des concentrations de chrétiens. Une source de la Force aérienne birmane a déclaré aux journalistes que la junte considérait ces régions comme des « zones noires » où les militaires avaient le droit d’attaquer et de tuer des cibles chrétiennes à vue. Malgré l’absence de chiffres précis, on estime que des milliers de chrétiens birmans ont été tués dans ce contexte.
  • Au Nigeria, le mouvement islamiste Boko Haram est considéré comme responsable de près de 3 000 morts depuis 2009, dont 800 pour la seule année 2012. Ce groupuscule s’est fait une spécialité de viser des chrétiens et leurs églises ; dans certains cas, ses membres semblent déterminés à chasser tous les chrétiens du pays. En décembre 2011, des porte-parole locaux de Boko Haram ont annoncé que tous les chrétiens des États de Yobe et de Borno, dans le nord du Nigeria, avaient trois jours pour partir. Cette décla- ration a été suivie d’une vague de bombardements d’églises les 5 et 6 janvier 2012 qui a entraîné la mort d’au moins 26 chrétiens et de deux campagnes de tirs où 8 chrétiens supplémentaires ont trouvé la mort. À la suite de ces tueries, des centaines de chrétiens ont fui la région, et bon nombre d’entre eux vivent depuis lors dans des camps pour personnes déplacées. On estime qu’au moins 15 chrétiens ont été égorgés par des agresseurs Boko Haram à la Noël 2012.
  • La Corée du Nord est, de l’avis général, considérée comme un des pays au monde où il est le plus dangereux d’être chrétien. On estime qu’environ un quart des 200 000 à 400 000 chrétiens y vivent dans des camps de travaux forcés pour avoir refusé de célébrer le culte du leader Kim Il-sung. L’idéologie antichrétienne y est si forte que même les citoyens nord-coréens dont les grands-parents étaient chrétiens n’ont pas accès aux emplois les plus importants – cette mesure est d’autant plus absurde que la mère de Kim Il-sung elle-même était diaconesse presbytérienne. Depuis l ’armistice de 1953 qui a entériné la partition de la péninsule coréenne, quelque 300 000 chrétiens nord-coréens ont tout simplement disparu et sont supposés morts.

Pour entrer ces données disparates dans un cadre statistique, signalons que le Pew Forum on Religion and Public Life de Washing- ton D.C. a rapporté en 2012 que les chrétiens étaient victimes de l’une ou l’autre forme de harcèlement, avec ou sans l’appui des lois, dans 139 pays, soit dans près des trois quarts des sociétés humaines. C’est le groupe confessionnel le plus touché, même si les fidèles d’autres religions subissent eux aussi des menaces dans de nombreux endroits du monde. En septembre 2009, le président de la Société internationale pour les droits de l’homme, Martin Lessenthin, a estimé que 80 % des actes de persécution religieuse perpétrés dans le monde visaient des chrétiens. Dans une étude réalisée en 2011, le consortium américain START (National Conso rtium for the Study of Terrorism and Responses to Terrorism) a montré que le nombre d’actes terroristes perpétrés à l’encontre de chrétiens dans le monde avait connu une progression de 309 % de 2003 à 2010. Dans son rapport de 2012, la commission américaine sur les libertés religieuses dans le monde a identifié 16 pays où des actes « haineux et systématiques » sont posés à l’encontre des libertés religieuses, notamment la torture, la détention et le meurtre. Si de nombreuses communautés religieuses sont touchées par cette violence, une seule l’est dans l’ensemble de ces 16 pays : la communauté chrétienne.

On sait qu’il est difficile de récolter des chiffres précis sur le nombre de chrétiens qui sont soumis à des persécutions religieuses, d’un côté parce qu’il est malaisé de dépêcher des observateurs indépendants dans de nombreux endroits où la répression est intense, de l’autre parce que les parties en présence ont intérêt soit à gonffler les statistiques, soit à les minimiser. Todd Johnson , du Center for the Study of Global Christianity, au Gordon-Conwell Theological Seminary à South Hamilton, dans l’État du Massachusetts, considère qu’une moyenne de 100 000 chrétiens ont été tués pour des motifs religieux chaque année au cours de la dernière décennie. D’autres experts pensent que cette estimation est excessive. Selon le sociologue et théologien allemand Tomas Schirrmacher, il serait plus réaliste de parler de 7 000 chrétiens tués chaque année, un nombre consiéré comme « plausible » dans l’ouvrage de Rodney Stark et Katie Corcoran publié en 2014, Religious Hostility. Notons que l’estimation la plus haute porterait le nombre de martyrs chrétiens à un par heure et l’estimation la plus basse à un par jour. Quels que soient les chiffres réels, il ne fait aucun doute que la communauté chrétienne est aujourd’hui celle qui fait l’objet du plus grand nombre de persécutions.

Loin de nous l’envie de minimiser les menaces faites aux autres communautés religieuses : les chrétiens n’ont pas le monopole de la souffrance. Notre intention n’est pas non plus de marquer des points dans les débats politiques qui agitent l’espace occidental. En toute logique, le fait que les chrétiens fournissent des martyrs à un rythme sans précédent ne peut avoir aucune incidence sur les débats controversés d’aujourd’hui, comme la question de la couverture de la contraception que l’administration Obama impose aux employeurs privés, y compris aux groupements religieux, dans le cadre de la réforme du système de santé. En effet, la réaction la plus cynique qu’on puisse imaginer à la situation des chrétiens dans le monde serait de transformer leur agonie en un trope rhétorique. Si la défense des chrétiens dont la vie est en dang er doit accéder au rang de première priorité en termes de droits de l’homme, la compréhension des réalités de terrain ne doit être biaisée par aucun préjugé d’ordre politique ou religieux.

Les aléas de la guerre faite aux chrétiens varient ; dans leur forme extrême, il s’agit de purification religieuse destinée à les effacer purement et simplement de certaines parties de la carte. Prenons l’exemple du sud-est de la Turquie, une zone frontalière avec la Syrie qui se trouve actuellement sous contrôle kurde. Au début du 66 e siècle, on y observait une communauté Florissante de 500 000 chrétiens araméens qui maintenaient en vie la langue supposée parlée par le Christ. À la fin du siècle, la population araméenne chrétienne ne comptait plus que 2 500 personnes, et de nombreux observateurs pensent que son éradication totale est imminente. La plupart des chrétiens araméens ont fui les persécut ions violentes et la pression quotidienne de la discrimination légale ou de fait, et vivent désormais dans la diaspora.

Nura Ardin, quatre-vingt-cinq ans, est l’un de ces Araméens en exil. Il a récemment déclaré à deux journalistes italiens que sa famille était restée dans la région tant que l’aîné de ses fils était en vie, car celui-ci avait promis à l’évêque local d’y séjourner aussi longtemps que lui. Lorsqu’ils ont eu connaissance de cette promesse, des nationalistes turcs ont attaqué la maison de cette famille une nuit de 1986 et assassiné le fils aîné. En réaction, le reste de la famille a décidé de partir.

Lorsqu’on traverse les villes et les villages fantô mes du sud-est de la Turquie, ainsi que ses monastères et ses églises à l’abandon, on a le sentiment que la guerre faite aux chrétiens est pratiquement gagnée.

Extrait de "Le livre noir de la condition des chrétiens dans le monde", publié chez XO éditions, de Andrea Riccardi, Jean-Michel Di Falco, Timothy Radcliffe, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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