Le harcèlement invisible des élèves en situation de handicap<!-- --> | Atlantico.fr
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Des élèves en situation de handicap dans une classe d'un lycée à Caluire et Cuire près de Lyon, pour la rentrée scolaire le 1er septembre 2016.
Des élèves en situation de handicap dans une classe d'un lycée à Caluire et Cuire près de Lyon, pour la rentrée scolaire le 1er septembre 2016.
©PHILIPPE DESMAZES / AFP

Bonnes feuilles

Olivia Cattan publie « L'école de la discorde : Enquête sur l'inclusion scolaire » aux éditions Max Milo. Cet ouvrage dresse un constat alarmant sur l’intégration des enfants handicapés à l’école : enseignants non formés, auxiliaires de vie scolaire sous-payées, enfants maltraités, familles livrées à elles-mêmes… Ce livre est aussi un plaidoyer pour une école nouvelle où les différences seraient une richesse partagée, et un essai qui souhaite réconcilier parents et enseignants. Extrait 1/2.

Olivia Cattan

Olivia Cattan est écrivaine, journaliste, présidente de Paroles de Femmes et de SOS autisme.
Voir la bio »

Samuel a 15 ans. Il est TSA. Il a accepté de se confier :

« Je suis autiste mais je fais semblant. Je me force à adopter les gestes des autres. Je me force à essayer d’être comme les autres. Je me force à ne plus avoir peur quand je ne supporte plus l’odeur des plats de la cantine, quand une perceuse fait du bruit dans le quartier, quand une mouche entre dans la classe. À la maison, je pourrais mettre les mains sur les oreilles. Mais à l’école, je suis obligé de faire semblant, d’être un autre. J’aurais préféré que ma mère mente et ne dise pas que je suis autiste parce que, malgré tous mes efforts, je me suis fait harceler cette année par un élève et je n’ai pas compris de suite. Je n’osais pas en parler parce que je me disais que son comportement était peut-être normal. Je n’arrivais pas à déchiffrer ses expressions quand il riait avec ses amis en me regardant. Puis il s’est mis à m’insulter, à me traiter de robot et d’alien, de sale autiste. Il prenait mes affaires. Un matin, il m’a bousculé dans les escaliers parce qu’il savait que j’avais du mal à monter les marches. Il m’a traité d’handicapé moteur. C’est là que j’en ai parlé à ma mère parce que j’ai eu peur de tomber. J’ai changé de classe et ça va mieux. Mais je fais encore plus d’efforts maintenant pour rendre mon handicap invisible, pour me rendre invisible pour ne plus qu’on se moque de moi et qu’on m’accepte. »

Le harcèlement scolaire concerne tous les élèves. Filles, garçons, personnes en situation de handicap, homosexuel(le)s…

Selon l’enquête internationale Health Behaviour in School-aged Children (HBSC) menée en 2014, 12 % de collégiens français seraient victimes de harcèlement scolaire.

En tant que présidente de Paroles de femmes, j’ai beaucoup travaillé sur des affaires de harcèlement que subissaient des jeunes filles d’à peine 13 ans dans des collèges. Ces harcèlements étaient faits d’insultes sexistes, de gestes inappropriés, d’intimidations multiples, de violences allant jusqu’au viol… Toute forme de différence ou de fragilité était immédiatement repérée par les harceleurs.

L’établissement nous demandait alors d’intervenir afin de tenter, à travers nos cours sur l’égalité, de renouer le dialogue entre filles et garçons, et de leur faire comprendre la violence psychologique ressentie par ces jeunes filles harcelées. C’est ainsi que je rencontrai Laure, une collégienne de 15 ans qui était bègue. Cette jeune fille était la cible préférée d’une bande de quatre garçons. Ils insultaient aussi régulièrement un garçon en surpoids. Je les avais vus faire dans la cour d’école. Il y avait le petit chef et ceux qui suivaient. Ils agissaient en meute, en s’encourageant les uns les autres, jusqu’à ce que leur victime se mette à pleurer. Le harcèlement qui avait lieu à l’école se poursuivait le soir sur les réseaux sociaux.

Le climat dans cette classe était devenu électrique et, malgré les interventions de la direction de l’établissement, il était très difficile de mettre fin à cette situation. Laure refusait d’aborder le sujet ouvertement devant les autres, lors des cours d’égalité. C’étaient les autres filles de sa classe qui venaient m’expliquer ce qu’elle subissait. À la fin d’un cours, alors que je discutais avec elle, Laure remonta machinalement la manche de son pull et je remarquai les marques qu’elle se faisait sur les poignets. Cette jeune fille se scarifiait depuis plus d’un an, après avoir été anorexique. Ses parents étaient au courant et elle voyait un psychologue régulièrement. J’appris plus tard que la famille était partie vivre en province afin d’offrir à Laure un nouveau départ.

Depuis que je suis présidente de SOS autisme France, les affaires de harcèlement, physique ou psychologique, sur les enfants en situation de handicap font partie de mon quotidien. Les familles nous contactent pour nous demander de l’aide. Cela va de la simple insulte à la moquerie, du racket au rejet social, à l’humiliation, à la menace verbale ou à l’agression physique. Certaines situations, plus graves que d’autres, peuvent aboutir à l’augmentation des crises et des stéréotypies, des troubles alimentaires importants, l’insomnie, la phobie scolaire, voire la tentative de suicide.

Le harcèlement que subissent les élèves en situation de handicap peut venir aussi de la communauté éducative et il est très difficile d’y mettre fin. Cette « pression psychologique » peut avoir de lourdes conséquences sur les enfants comme sur les parents, puisque cela se termine en général soit par un changement de classe ou d’école, soit par un arrêt de la scolarisation de l’élève, soit par une plainte. Les familles saisissent généralement l’inspection académique afin de dénouer ces situations, mais les parents passent souvent pour « des menteurs qui affabulent », « des personnes en souffrance et dans le déni du handicap » ou « des militants hystériques ». La maman est la cible préférée de remarques en tous genres…

C’est pourquoi, nous ressemblons parfois à de véritables avocats, connaissant toutes les procédures et les articles de loi par cœur parce que le respect de la législation en matière de scolarisation des élèves en situation de handicap est, en effet, le meilleur argument à opposer pour défendre le droit de nos enfants.

Malgré les faits avérés de harcèlement et l’arsenal législatif dont nous disposons, la communauté éducative est intouchable. Il y a un tel esprit de corps au sein de l’Éducation nationale que les familles ont beaucoup de difficultés à obtenir gain de cause, le témoignage de nos enfants « handicapés » n’ayant pas beaucoup de valeur.

En France, le harcèlement ordinaire et l’ensemble des discriminations dont sont victimes les élèves en situation de handicap ne font pas l’objet d’études ou de statistiques récentes. Il serait impératif aujourd’hui de mesurer avec précision l’ampleur de ce phénomène. Nous ne disposons actuellement que du chiffre des discriminations handiphobes dans le domaine de l’emploi datant de 2018, qui s’élève à 15 %.

Comme les harcèlements au sein de nos établissements scolaires restent le plus souvent dans l’ombre, car cela ne fait pas partie des priorités du gouvernement et de la société en général, j’ai souhaité mettre en lumière la parole des familles et des personnes en situation de handicap qui ont vécu ces situations.

Inès, maman de Caroline, 9 ans et multidys, m’a raconté l’enfer que sa fille a vécu en primaire. À force d’être dévalorisée en classe par sa maîtresse qui passait son temps à lui dire que « sa place [n’était] pas dans cette école », « qu’elle [était] trop lente », elle était devenue la cible des élèves. Inès avait pourtant essayé de sensibiliser cette professeure et de l’alerter sur les conséquences de son attitude puisque, dans la cour, les enfants refusaient de jouer avec Caroline et de l’intégrer au groupe. Elle disait à sa mère qu’elle avait l’impression d’être transparente et sans valeur. Cette petite fille de 9 ans qui était joyeuse et pleine d’entrain pleurait avant d’aller à l’école, et n’arrivait plus à dormir. Elle développa une phobie scolaire qui se termina par un signalement à l’aide sociale à l’enfance et une obligation de suivi psychologique. Sa dépression n’était pas liée à son handicap, elle était juste la conséquence du regard des autres sur sa différence.

Julie, autiste Asperger, a été harcelée par deux de ses professeurs qui multipliaient les mots odieux sur ses cahiers. Ils la rabaissaient sans cesse en lui disant qu’elle se servait de son autisme pour ne pas travailler. L’un d’eux ajouta même que son tiers-temps et son droit d’être accompagnée aux évaluations était du favoritisme, et qu’elle ne devait ses bonnes notes qu’à son AESH qui ne venait pourtant qu’à temps partiel. Sur ses bulletins scolaires, son handicap était indiqué dans les appréciations de chaque enseignant…

Romane, dyspraxique, interrogée par le magazine handicap.fr, raconte qu’elle entendait de la part de ses professeurs de telles réprimandes qu’à 16 ans, elle fut contrainte de quitter le système ordinaire. Certains de ses enseignants ne comprenaient pas son « handicap invisible ». Les remarques pleuvaient : « Écris mieux, je n’arrive pas à te relire… Travaille plus vite… » Sa mère raconte que malgré son combat, il y avait « trop de barrières » et « qu’elle avait jeté l’éponge », épuisée et triste face à la souffrance de son enfant.

Aymeric, autiste Asperger, raconte aussi que plusieurs professeurs lui disaient de « faire des efforts et de changer » afin de ne plus être la cible des moqueries de ses camarades, comme s’il était responsable de son handicap. Ils ajoutaient que « s’il ne supportait pas cette situation », et qu’il était « en souffrance », « il pouvait toujours aller dans une école spécialisée ». Cela s’apparente à ce qu’une enseignante a dit à une élève qui s’était faite harcelée sexuellement à plusieurs reprises par un garçon : « Essaie de modifier ton apparence, sois moins féminine et moins provocante, tu te feras moins insultée ! » Une façon d’inverser les rôles en rendant la victime coupable et responsable de la violence des autres…

Yann-Alrick Mortreuil, danseur, ancien participant à l’émission « Danse avec les stars », a été, quant à lui, harcelé à cause de sa surdité. Les autres se moquaient de lui parce qu’il ne comprenait pas tout ce que les autres disaient, et qu’il pouvait mal comprendre. Ils l’insultaient, le violentaient, le conduisant à s’isoler. Il décida finalement de quitter l’école. Devenu parrain de SOS autisme France, Yann-Alrick Mortreuil se bat aujourd’hui pour que les autres enfants ne soient plus confrontés à toutes ces souffrances, et qu’ils apprennent grâce à la danse à retrouver un peu de confiance en eux.

De nombreux groupes sur le harcèlement existent sur les réseaux sociaux, dans lesquels plusieurs témoignages m’ont beaucoup touchée. Comme celui de Violaine, malvoyante, qui a été harcelée et insultée en cinquième et en quatrième par un garçon, lui aussi malvoyant et qui était dans le même institut pour handicapés visuels. Elle en a parlé à un adulte, mais s’est fait traiter de « balance ». Elle n’a plus osé en parler jusqu’à ce que sa mère la surprenne avec une boîte de dolipranes à la main alors qu’elle tentait de mettre fin à ses jours.

Il y a aussi Alice, qui est en fauteuil roulant et à qui on crevait les roues. Réponse de son directeur de l’école privée : « Fais des efforts. »

Il y a aussi Simon, autiste avec quelques difficultés motrices et de compréhension, qui raconte son harcèlement et le genre de phrase dont on l’assénait : « On ne parle pas aux handicapés. »

Il y a aussi Gwendoline, qui raconte le calvaire de son fils, qui souffre d’un handicap cognitif, et a subi en CM1 des insultes, des menaces, a vu son matériel détériorer, a été victime de violences physiques par un groupe d’élèves dans la cour, à la cantine, et lors des activités scolaires… Il se retrouva sous traitement neuroleptique à cause des angoisses que ce harcèlement avait provoqué.

Il y encore l’histoire de Sonia, maman de ce jeune autiste qui, en primaire, s’est fait harceler pendant un an. Les parents ont décidé de saisir la justice. Mais cette plainte a été jugée irrecevable, les actes incriminés étant considérés comme « des chamailleries d’enfant », avec en prime le conseil de mettre son fils « plutôt dans une école spécialisée ».

Magali a aussi été victime de harcèlement répété. Des élèves lui volaient ses affaires pour les abîmer. Ils bousculaient son fauteuil. Son surnom à l’école ? « Quatre roues » !

Parfois le harcèlement des personnes en situation de handicap se retrouve dans la presse, à la rubrique des faits divers. En 2018, un adolescent autiste de 16 ans a été torturé pendant trois jours sans que ses professeurs s’en rendent compte. Louka Sanchez, scolarisé dans un collège de Saint-Lieu à la Réunion, en classe Segpa, a été victime de sévices insupportables : « Attaché au bout d’une corde et traîné comme un chien. Un jeune l’a forcé à s’asseoir sur des vis, en lui faisant croire qu’il allait le sodomiser avec un bâton ». La famille a déposé plainte contre l’agresseur, mais aussi contre l’école.

Afin de mettre fin à ce harcèlement que subissent les personnes en situation de handicap, les incitant parfois à quitter l’école, les ministères concernés devraient mener de grandes campagnes de sensibilisation dans les médias et former l’ensemble des personnels de l’Éducation nationale. Il faudrait une meilleure écoute et une vigilance accrue de la part de la communauté éducative, et surtout une plus grande réactivité afin que la victime de harcèlement soit immédiatement protégée.

Quant au harcèlement psychologique et moral exercé par les enseignants sur l’enfant ou les familles, une autorité extérieure devrait pouvoir intervenir afin d’évaluer ces situations et sanctionner les responsables.

Il serait aussi nécessaire de parler davantage des discriminations handiphobes dans les établissements scolaires afin de faire prendre conscience aux enfants de la gravité et des conséquences d’un harcèlement sur des élèves vulnérables, tout en les encourageant à en parler s’ils sont témoins de ces faits. Dans les cours d’enseignement moral et civique, les discriminations sexistes, homophobes, racistes, antisémites sont abordées longuement, alors que les discriminations faites aux personnes en situation de handicap figurent dans le programme mais sont rarement mises en exergue.

C’est pourquoi SOS autisme France a multiplié les séances de sensibilisation dans les établissements scolaires parce que le mot « autiste » est devenu une insulte à la mode dans les cours d’école. Un sondage IFOP/SOS autisme France, publié le 6 février 2014, établit que « 12 % des personnes interrogées reconnaissaient avoir utilisé le mot “autiste” afin de se moquer ou insulter un tiers ». Mais le plus inquiétant est de voir que ce taux atteint 29 % chez les 18-24 ans, témoignant de la nécessité d’informer les jeunes générations sur l’autisme. Certains médias, sportifs, animateurs de télévision et personnalités politiques ne sont pas en reste, et nous menons une véritable bataille sémantique afin d’en finir avec l’utilisation péjorative de ce terme parce que toute discrimination commence par les mots.

Mais le plus important est surtout d’apprendre à nos enfants qu’ils doivent être fiers de leurs différences, qu’ils ne sont ni responsables de leur handicap ni du harcèlement qu’ils subissent, et qu’ils doivent enfin oser en parler.

Extrait du livre d’Olivia Cattan, « L'école de la discorde : Enquête sur l'inclusion scolaire », publié aux éditions Max Milo

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