Le casse du siècle : comment les banques vont parvenir à sortir encore plus fortes de la crise <!-- --> | Atlantico.fr
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"Les banques d'affaires américaines on su diversifier leurs revenus et innover en permanence, elles ont renforcé leur internalisation sur les zones à potentiel économique et fortement réduit leurs coûts."
"Les banques d'affaires américaines on su diversifier leurs revenus et innover en permanence, elles ont renforcé leur internalisation sur les zones à potentiel économique et fortement réduit leurs coûts."
©Reuters

Yes they can

Alors que les députés français examinent depuis mardi de nouveaux amendements sur le projet de loi bancaire, les autorités américaines ont approuvé lundi une liste préliminaire d'établissements financiers non bancaires jugés "too big to fail" (établissements dont la faillite pourrait provoquer l'effondrement de l'ensemble du système financier).

Jean-Michel  Rocchi et Aline Fares

Jean-Michel Rocchi et Aline Fares

Jean-Michel Rocchi est président d’une société de gestion indépendante et enseigne à l’université Paris-Dauphine.

Aline Fares est conseillère du Secrétaire général de l'association Finance Watch. Elle est spécialisée sur les questions de stratégie et d'analyse.

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Atlantico : Hank Paulson, secrétaire du Trésor américain lors de la crise de 2008, avait déclaré que le "système financier pouvait s'évaporer" si les scandales bancaires venaient à se répéter (Morgan Stanley, Merrill Lynch...). Aujourd'hui en 2013, les trois géants américains du secteur (Citigroup, Morgan Chase et Goldman Sachs) affichent une santé insolente en représentant un tiers des revenus générés par l'industrie bancaire. Peut-on dire aujourd'hui que Wall Street a réussi son grand retour alors que beaucoup tablaient sur son déclin ?

Jean-Michel Rocchi : Wall Street était au bord de l'implosion. Il était indispensable d'en sauver les grandes institutions financières. Cela a été, pour l'essentiel, réalisé via des augmentations de capital souscrites principalement par les fonds souverains du Moyen-Orient et de l'Extrême Orient. En fait, des pays qui se caractérisaient par une balance commerciale excédentaire par rapport aux Etats-Unis et qui possédaient des actions américaines et des bons du trésor américains. L'effondrement de l'économie américaine n'était pas un scénario envisageable pour ces pays. Il ne faut pas non plus oublier le rôle de pompier de l'Etat fédéral (nationalisation de l'assureur AIG et création des structures de cantonnement Maiden Lane LLC II et III) et la structure de cantonnement de Bear Stearns (Maiden Lane LLC I). Via ses engagements sur le marché des CDS, l'assureur AIG a contribué, en débouclant ses positions, à aider les grandes banques d'affaires (dont les françaises qui ont donc indirectement et en partie été renflouées par le contribuable américain). Wall Street avant d'être une machine à profit est un centre qui attire les cerveaux et demeure sans conteste une place incomparable et incontournable à ce jour.   
L'autre erreur de l'Etat américain résidait dans la décision de la SEC d'avril 2004 de lever la limitation de l'effet de levier à 15 en faveur des 5 premières banques d'affaires de Wall Street.

Aline Fares : Nous avons tendance à dire que les grosses banques, qu’elles soient européennes ou américaines d’ailleurs, ont largement bénéficié des sauvetages publics. La masse d’argent injectée par les Etats directement ou indirectement a été telle qu’il n’est en effet pas surprenant de voir ces organismes relever la tête aujourd’hui. Il s’agit là de l’effet logique du syndrome "too big to fail" (trop gros pour tomber) qui fait que ces banques sont effectivement dans une situation similaire, voire meilleure, que celle de l’avant-2008.

Comment expliquer que les banques soient parvenues à tirer profit de cette crise qu'elles ont en grande partie provoquée ? Par quels mécanismes et selon quels rapports de force ?

Jean-Michel Rocchi : L'Etat américain est largement responsable de la crise des subprimes qui n'a rien d'une crise de l'ultralibéralisme. Elle résulte plutôt d'une intervention maladroite de l'Etat providence sur le marché immobilier américain. Il n'existe pas de marché du logement social aux Etats-Unis. Aussi pour favoriser le rêve américain, acquérir sa résidence, l'Etat a poussé une population à risque financier (les NINJA : no income, no job, no assets) à s'endetter. Souvent les prêts hypothécaires accordés faisaient l'objet d'une garantie d'une agence fédérale (Ginnie Mare, Fannie Mae et Freddie Mac). Enfin, les prêts accordés l'étaient en vue d'être titrisés ultérieurement (modèle de l'originate to distribute), ce qui est déresponsabilisant et pousse au crime.  
Ensuite, pour être honnête intellectuellement, si l'on parie sur l'avidité des banques d'affaires américaines, il faut être sûr de gagner. Mais l'élément déclencheur public est connu et établi, les erreurs initiales commencent d'ailleurs sous l'ère Clinton. 

Malheureusement, l'enfer est pavé de bonnes intentions, chacun sait que l'histoire des subprimes a très mal fini.   
La recette du renouveau est le résultat d'un cocktail. Les banques d'affaires américaines on su diversifier leurs revenus et innover en permanence, elles ont renforcé leur internalisation sur les zones à potentiel économique et fortement réduit leurs coûts. Au delà de l'amélioration de la productivité qui a permis cette forte croissance de la profitabilité, il faut aussi rappeler que l'activité des banques d'affaires est par essence très cyclique. 

Aline Fares : Premièrement, les plans de sauvetage de plusieurs dizaines de milliards d’euros qui ont été mis en place par les Etats en 2008 l’ont été sans condition. Ce qui a évidemment alléger les banques d’un poids lorsqu’elles ont du se relancer. Par ailleurs, on peut affirmer que le lobby financier (think tank, organisations de défense des intérêts financiers, associations de banques…) n’a pas perdu de sa puissance et qu’il a utilisé au maximum de son pouvoir de conviction pour tenter de bloquer les différentes réformes de réglementation. Cela a pu être possible grâce à de nombreuses rencontres avec les parlementaires concernés. Rencontres pendant lesquelles ils ont pu avancer leurs arguments. Il peut y avoir par ailleurs un certain "chantage à la croissance", plusieurs experts expliquant que les régulations envisagées ne feront qu’endommager l’économie dans une période sensible. 

C’est aussi un problème d’absence de contre-pouvoir au système financier. Notre institut, Finance Watch, a justement été créé dans cette optique avec l’accord de plus de 200 députés européens de tous bords afin d’apporter une lecture alternative des événements, qui étaient jusque là principalement commentés par les représentants du monde financier. 

D'aucuns affirment que ce "succès" des banques américaines est dû à une absence de régulation. Cet argument est-il recevable ? Et comment expliquer que, malgré les effets d'annonce, les choses n'aient pas vraiment évolué ?

Jean-Michel Rocchi : Les gouvernants en France, aux Etats-Unis et ailleurs tiennent un double discours sous la pression de leur base électorale, car ils font face à une contradiction sans solution simple. D'un côté ils affirment qu'ils veulent encadrer davantage les banques d'affaires et qu'il ne faut plus jamais connaître une telle crise. De l'autre, ils savent que l'excès de réglementation sera nuisible aux profits et donc à l'emploi. Il y a aussi un argument cynique. En théorie, personne n'aime la spéculation mais dans les faits cela génère des bénéfices, de l'impôt sur les sociétés et permet donc de financer les déficits publics abyssaux. Sur les marchés à terme les mécanismes de couverture représentent environ 5% des positions contre 95% pour la spéculation, les choses ne peuvent donc à l'évidence pas changer car les enjeux sont trop importants. Qu'on le veuille ou on, la spéculation finance aussi indirectement les services publics. Le Dodd Frank Act est nécessaire pour mettre fin à des excès réel,  notamment à certains conflits d'intérêts, mais sa mise en oeuvre est très compliquée car il faut trouver le bon équilibre. Le gouvernement fédéral ne veut pas casser la reprise récente de l'activité des banques d'affaires américaines. Il est probable que l'on accouchera tardivement d'une souris.


Par contre, du point de vue réglementaire il convient de souligner que Morgan Stanley et Goldman Sachs sont depuis la crise financière supervisés par la Réserve Fédérale (Fed) et non plus par la Securities and Exchange Commission (SEC), ce qui semble être une bonne chose. Il est incontestable qu'un excès de réglementation est nuisible au business (il suffit de lire les travaux du prix Nobel Douglas North pour s'en convaincre). Lorsque l'équilibre adéquat n'est pas trouvé l'activité en souffre incontestablement. On peut prendre comme exemple l'industrie de l'asset management en France, elle est à l'évidence la plus réglementée du monde, mais ses encours sous gestion ne cessent de baisser, va-t-elle en mourir très lentement ?     

Aline Fares : Il est drôle de voir que cet argument est utilisé par les représentants du secteur financier des deux côtés de l’Atlantique. Américains et Européens affirment ainsi que l’industrie ne pourra pas être concurrentielle si elle est alourdie par un ensemble de législations contraignantes. Pourtant, à l'échelle globale, on ne peut s’empêcher de remarquer que les réglementations sont quasi inexistantes tant aux Etats-Unis que sur le Vieux Continent. D’un certain point de vue, les Américains vont parfois même plus loin que nous sur le sujet, contrairement à ce que l’on pourrait penser.

La timidité des tentatives de régulation du secteur bancaire s’explique par plusieurs raisons. Il y a tout d’abord le fait que le sujet soit d’une technicité délirante, ce qui rallonge considérablement le processus d’adoption des lois. On peut citer à titre d’exemple l’adoption par le Parlement européen le 16 avril dernier de la directive CRD4 qui comportait plusieurs mesures de contrôle de la solvabilité bancaire. Les députés européens ont pris un temps fou à se mettre d’accord sur le sujet, et les 1000 pages de réglementations n’ont rien arrangé à l’affaire. A un tel niveau de complexité il est effet difficile d’assurer que telle ou telle loi sera effectivement efficace, ce qui facilite leur remise en cause.

Par ailleurs, c’est aussi la volonté des divers politiques qui n’a peut-être pas été suffisamment forte pour faire avancer les choses. Nous sommes aujourd’hui très loin du compte et il faudra d’autres séries de négociations pour espérer arriver à un système capable d’être réellement au service de l’économie.

La relative bonne santé des grandes banques d'investissement américaines pourrait-elle constituer une bonne nouvelle pour l'économie globale ou va-t-on vers une nouvelle déstabilisation financière ?

Jean-Michel Rocchi : C'est à n'en pas douter une excellente nouvelle. Souvent on oppose d'un côté ce qui serait sain, c'est-à-dire l'industrie (Main Street), et d'autre part la banque, notion connotée péjorativement via le terme de spéculateur (Wall Street). C'est une vision manichéenne, il y a une interpénétration des deux et ne perdons pas de vue non plus que l'industriel qui investit spécule sur une Troisième révolution industrielle.  
La bonne santé des banques d'investissement est liée d'une part au fait que l'économie réelle américaine se stabilise et d'autre part résulte surtout du fait que les grandes banques d'affaires globales américaines (bulge bracket firms) sont très internationalisées et bénéficient du dynamisme des économies émergentes, où elles sont très bien implantées.  

Aline Fares : Ce qui est sûr, c’est qu’on ne peut certainement pas se réjouir du fait que certaines banques soient toujours aussi importantes en taille qu’auparavant. Plus une compagnie est importante, plus elle peut-être assurée du fait que son éventuel échec sera rattrapé par d’autres. Au Congrès américain, le sénateur Bernie Sanders essaye justement de porter le projet "too big to exist" qui consiste à limiter la taille de certaines méga-firmes afin d’éviter la répétition de ce syndrome "too big to fail" qui a forcé la main des pouvoirs publics lors des sauvetages de début de crise. Il est en effet anormal qu’une banque, au même titre que n’importe quelle autre entreprise, ne puisse pas faire faillite sans provoquer une panique mondiale. On ne peut donc pas estimer que la bonne santé des grandes banques soit exactement une bonne nouvelle. En effet, le risque de déstabilisation est finalement toujours aussi important, et l’état des finances publiques et de l’économie mondiale fait qu’un sauvetage de dernière minute ne serait aujourd'hui plus possible. Sans vouloir faire "l’oiseau de mauvais augure", il m’apparaît difficile d’imaginer une responsabilisation du secteur bancaire si l’on ne change pas les règles du jeu. Si les contraintes n’existent pas, il n’y a logiquement aucune raison que les comportements évoluent. Le but de toute organisation possédant des actionnaires est de produire des bénéfices, ce qui poussera forcément les acteurs de ces entreprises à se porter vers les activités les plus lucratives, donc les plus risquées.

En parallèle, les grandes banques européennes semblent davantage peiner à sortir de l'ornière. Comment expliquer cette différence apparente de situation ? Peut-elle être imputée à la différence de politiques menées sur les deux continents ?

Jean-Michel Rocchi :L'économie réelle européenne se porte mal et particulièrement la zone euro, les banques d'affaires sont donc négativement impactées. Par ailleurs, elles sont moins bien implantées que leurs concurrents américains dans les pays émergents qui connaissent une forte croissance économique. Enfin, les plans de réduction des coûts mis en oeuvre en Europe sont très en deçà de ceux qui ont été réalisés outre-Atlantique ce qui pèse sur leur profitabilité. 
Évitons une interprétation facile mais fausse, les banques d'affaires américaines gagneraient plus d'argent car elles prendraient d'avantage de risques que leurs homologues européennes, les choses sont en réalité plus simples, elles sont mieux gérées et leurs équipes souvent meilleures et plus motivées.  

Propos recueillis par Théophile Sourdille

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