Le cas syrien ou la preuve éclatante de l’inconséquence de la diplomatie française <!-- --> | Atlantico.fr
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L'Union européenne vient de donner à ses membres le feu vert pour livrer des armes aux rebelles syriens.
L'Union européenne vient de donner à ses membres le feu vert  pour livrer des armes aux rebelles syriens.
©Reuters

A côté de la plaque

La position française sur le dossier syrien montre le manque criant de finesse et de connaissance par la diplomatie française des subtils équilibres dans la région. Une incurie qui va finir par faire perdre à la France son influence internationale qui était jusque-là sa force.

Roland Hureaux

Roland Hureaux

Roland Hureaux a été universitaire, diplomate, membre de plusieurs cabinets ministériels (dont celui de Philippe Séguin), élu local, et plus récemment à la Cour des comptes.

Il est l'auteur de La grande démolition : La France cassée par les réformes ainsi que de L'actualité du Gaullisme, Les hauteurs béantes de l'Europe, Les nouveaux féodaux, Gnose et gnostiques des origines à nos jours.

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L’Union européenne vient de donner à ses membres le feu vert  pour livrer des armes aux rebelles syriens. Victoire diplomatique pour Paris et Londres qui le demandaient instamment ? Bien au contraire, nos dirigeants font une fois de plus dans cette affaire la preuve de leur inconséquence.

En faisant au cours des derniers mois, au sujet de la Syrie, de la surenchère sur la politique américaine elle-même,  la France s’est en effet marginalisée.

L’annonce il y a quelques jours d’une conférence internationale sur la Syrie, avec la participation du  gouvernement Assad, dont le principe avait été négocié directement entre les États-Unis et la Russie, a constitué un camouflet pour la politique française et, plus largement, européenne qui refusaient de traiter avec le chef d’État syrien. 

Tenue pour inexistante par les "grands", notre diplomatie aurait-elle voulu se rattraper en se montrant plus irresponsable ? Rien n’est exclu.

Cette surenchère s’était exprimée depuis plusieurs mois par la reconnaissance du conseil national qui tient lieu de gouvernent provisoire des rebelles, à la représentativité douteuse, et la volonté frénétique d’armer la rébellion syrienne, deux positions que le présent Obama, lui-même, avait  refusé de prendre.

Cet accord direct  entre Washington et Moscou, au nez et à la barbe des excités de Paris (et aussi de Londres), est-il nécessaire de dire que tout observateur un peu lucide de la scène  proche-orientale pouvait le voir venir ?  

Le  plus suffocant dans cette histoire est l’inculture diplomatique et historique dont  a témoigné la conduite de la politique française, signe d’une grave  dégénérescence de notre appareil politique et diplomatique.

Notre projet  d’armer la rébellion est en soi irresponsable dans une région qui est une véritable poudrière, surtout si l’on considère que dans 0cette rébellion, les islamistes les plus radicaux, Al Qaida compris, se trouvent en position hégémonique. Certains de nos partenaires européens ne se sont pas privés de se gausser mais ils n’ont pas réussi à bloquer le projet. Ajoutons que notre position incompréhensible nous brouillait avec deux partenaires naturels : la Russie et l’Algérie. 

Irresponsable, la ligne politique française démontre aussi une triple ignorance.  

1 L’oubli de la mission de La France au Proche-Orient

La première est celle de  l’histoire de la présence française au Proche-Orient. 

Même si nous sommes encore la 5e puissance mondiale, rien ne nous fonderait  à avoir  un avis sur ce qui se passe dans cette région si on ne faisait référence à l’histoire. De grands pays, comme l’Allemagne, le Japon, la Chine, l’Inde ne s’y impliquent guère et ne s’en portent pas plus mal.

La France a eu un mandat de la SDN entre 1919 et 1945 pour administrer la Syrie et le Liban. C’est ce qui justifie encore son intérêt. Mais ce mandat est lui-même fondé sur le rôle de protecteur des chrétiens de l’Empire ottoman que, dès le temps de François Ier, la France s’était fait reconnaître par le sultan de Turquie. Napoléon III était intervenu en Syrie en 1860 sur le même fondement.

On veut bien admettre que notre responsabilité s’étende aujourd’hui à toutes les minorités et pas seulement aux chrétiens. Mais notre intervention dans les affaires syriennes joue directement à l’encontre des intérêts non seulement des chrétiens mais aussi des autres minorités comme les alaouites ou les druzes ;  nous nous évertuons à renverser le seul régime, issu lui-même de la minorité alaouite, qui  les  protège.  Si notre entreprise de mettre fin sans délai au régime Assad aboutissait, il arriverait  ce que   les  rebelles ne cessent d’annoncer  : l’exode de deux millions de chrétiens et le massacre de deux millions et demi d’alaouites. Étonnant  retournement historique pour  un pays dont la protection des minorités justifie seule  la  présence dans la région.  

Il est vrai qu’invoquer ce passé n’est plus  à la mode. L’ultra-laïcisme qui est devenu la politique officielle de la gauche, et même de la droite, conduit nos dirigeants non seulement à ne  plus faire de référence à la protection des chrétiens, mais même à les tenir, non sans  une forme de lâcheté, pour la seule minorité qui ne mérite pas notre compassion.  Cela au moment même où ils sont devenus, de l’avis commun, le groupe religieux le  plus persécuté  dans le monde.

En invoquant la laïcité, on oublie que les grands républicains de la IIIe République,  pourtant peu suspects de bigoterie, n’avaient jamais perdu  de vue ce rôle. Au moment où  le petit père Combes, chassait les congrégations de France, Delcassé, son ministre des Affaires étrangères, les protégeait outre-mer. Ils savaient l’histoire, eux !

2 La diplomatie des droits de l’homme, simpliste et contradictoire

La préoccupation des droits de l’homme, nouvelle religion laïque,  aurait remplacé  le souci  de protéger les chrétiens, mais que signifie la promotion des droits de l’homme si elle doit passer  par le massacre ou l’exode de toutes les minorités ?

Nous en arrivons au  deuxième signe d’inculture : organiser  notre diplomatie en fonction des régimes intérieurs des différents  pays, diplomatie dite "des droits de l’homme". Nous serions supposés ne nous lier  désormais qu’avec les régimes démocratiques ou les oppositions prétendant promouvoir la démocratie (même s’il  s’agit , comme en Syrie, de fanatiques  barbus tout prêts à égorger  tout ce qui n’accepte pas la charia ).

La dissociation des  considérations intérieures et de la grande diplomatie constitue pourtant une des grandes constantes de l’histoire de l’Europe, singulièrement de la France. C’est peut-être un des fondements de  la civilisation elle-même. Richelieu pouvait  combattre le protestantisme en France et s’allier avec les princes protestants en Allemagne contre l’Autriche. Le très catholique  roi  d’Espagne  soutenait   à l’inverse  les protestants lors du siège de La Rochelle. Louis XVI apporta une aide décisive aux  "Insurgents"  républicains d’Amérique du Nord  contre son "cousin", le roi d’Angleterre. Plus  près de nous,  la République radicale n’hésita pas à s’allier avec la Russie des tsars pour contenir l’impérialisme allemand.

Ces subtilités (pas si subtiles que cela  d’ailleurs)  sont  aujourd’hui  oubliées. Même un diplomate de profession comme Villepin, parce qu’il  avait, dans son équipée politique le soutien du monde arabe, se crut tenu de protester contre l’interdiction du voile, deux sujets qui n’auraient dû avoir aucun rapport !     

Fixer sa ligne diplomatique sur  la  seule considération  des droits de l’homme est non seulement simpliste et dangereux  mais  hypocrite car on a tôt fait d’oublier ces droits    quand certaines  contraintes  géopolitiques ou  commerciales s’imposent , par exemple à l’égard de  l’ Arabie saoudite ou  de la Chine. Mais aussi de l’Algérie, qui, dans les années 1990, réprima l’islamisme de manière au moins  aussi sanglante qu’Assad sans que cela ne nous ait jamais émus. La plus extrême sévérité s’exprime en revanche vis-à-vis de la Russie – où pourtant  les minorités religieuses vivent en sécurité, ce qui est loin d’être le cas dans la soi-disant démocratique Turquie bien davantage ménagée.

L’urgence nous a imposé de voler au Mali au secours d’un régime issu d’un coup d’État, alors que  nous boudons stupidement  des pays amis de  la France comme le Congo-Kinshasa ou Madagascar confrontés à des difficultés  internes immenses, au motif qu’ils ne seraient pas assez  démocratiques.

Les nouveaux régimes d’Egypte et de Tunisie, issus des illusoires  "printemps  arabes" ont  été accueillis à bras ouvert : nous ne savons plus  que dire en voyant  s’instaurer dans la foulée, inexorablement,  le totalitarisme des Frères musulmans, pour ne pas parler de la Libye où la chute  de Kadhafi , par nous organisée, a conduit à  un chaos effroyable, ce pays servant désormais de base arrière aux milices islamistes que nous combattons au Mali .

Rien n’abêtit plus, on le voit, que les postures idéologiques, comme  la prétention  de fonder la diplomatie  sur les seuls droits de l’homme, pas  seulement en Syrie.

3 Une hiérarchie fantasmée des régimes

D’autant que, troisième ignorance, cette diplomatie se fonde,  pas seulement en France, sur une  hiérarchie des pays, par rapport au critère démocratique, qui  n’a qu’un rapport lointain avec les réalités. Une hiérarchie qui  résulte, non d’une  analyse socio-politique solide des régimes avec lesquels on traite, qui serait basée sur des critères objectifs, mais sur  une sorte de doxa "politiquement correcte" produite  au carrefour des médias et des chancelleries  occidentales , compendium  de préjugés sommaires, de parti-pris contestables, de jugements à deux poids deux mesures  sans doute inspirés en dernière instance par les intérêts de puissance nord-américains.

Cette hiérarchie ignore les catégories politiques élémentaires que l’expérience du XXe siècle nous avait  conduits à établir. Hannah Arendt   avait  eu le mérite de dégager, la  première, la notion de régime totalitaire. Montrant que les régimes soviétique  et nazi  avaient en commun  ce caractère, elle avait apporté des nuances quant au  fascisme italien qui, selon elle, ne pouvait être qualifié de totalitaire, car il était loin  d’avoir contrôlé – ni même   cherché à contrôler –  la totalité de la  société civile et n’avait pas multiplié, ni  près, les crimes au même degré.  Entendu en un sens aussi radical, il est possible que le seul  régime qui mérite aujourd’hui l’appellation de totalitaire soit  la Corée du Nord.  Puis viennent, dans cette hiérarchie,  les dictatures classiques, comme l’étaient par exemple l’Espagne de Franco ou les régimes militaires d’Amérique latine. Si l’on fait de la vraie science politique et non de  la propagande,  trois  différences majeures séparent ces dictatures des régimes totalitaires : d’abord le fait que les dictatures ne visent  pas le contrôle de toute la société, notamment de l’économie, mais  seulement du pouvoir politique, ensuite que n’y courent des risques véritables que ceux qui s’y opposent , enfin que les dictatures ne demandent que l’adhésion  passive alors que les régimes totalitaires exigent de tous un engagement actif. Et il y a enfin, plus haut  dans la hiérarchie, les démocraties, toujours  imparfaites et en évolution,  qui se caractérisent   notamment par le fait qu’il y est procédé à des élections qui ne sont pas complètement une parodie et  que le pouvoir peut même, à l’occasion,  perdre.

Foin de ces catégories dont on pensait quelles étaient devenues classiques ! Nos dirigeants mélangent tout.  Le  régime d’Assad, dictature classique, comme tous les régimes baasistes, un peu plus raide peut-être , compte  tenu des risques qu’affronte ce pays à la fois  hétérogène et proche d’Israël, est tenu pour un régime totalitaire.  Assad est,  absurdement, dans la logomachie ambiante, assimilé à Hitler.  Chavez, défunt président  du Venezuela, était fréquemment qualifié dans les médias de "caudillo", alors qu’il n’emprisonnait personne, respectait le résultat de urnes   quand il lui était défavorable (par exemple lors du référendum de 2007). Tout comme  Milosevic, dont le parti avait perdu les élections municipales dans  la plupart des  grandes villes, ce qui n’était jamais arrivé  naturellement  ni à Hitler,  ni à Staline auquel la presse internationale l’assimilait, ni même à Mussolini ou Franco.  On dit aujourd’hui  n’importe quoi sur la Russie, qui, certes, n’est pas une démocrate parfaite, loin s’en faut, mais ni plus ni moins que ne l’était le  Mexique  eu temps de la toute -puissance du PRI, voire le Japon du  PLD, et  qui demeure, si on la compare à sa situation en 1980, un des  pays qui ont   fait le plus de  progrès dans le monde. En revanche, les mêmes moralisateurs ne trouvent rien à redire,   ou si peu, à la monarchie absolue d’Arabie saoudite qui n’est pas loin, elle, d’être un régime totalitaire.

C’est néanmoins en fonction de cette  échelle de valeurs superficielle et partisane que sont décidées les positions de la diplomatie française.

Gauche et droite  à la même enseigne

Le plus lamentable  concernant la France est que cette déficience de la  pensée  est  partagée entre la droite et la gauche. S’agissant de la Syrie, on cherche en vain une nuance entre les positions de Hollande et de Sarkozy, de  Fabius et de Juppé. Les deux derniers, normaliens et énarques, pourraient pourtant, nous semble-il,  avoir le  recul historique qui leur évite de prendre des positions aussi simplistes et aventurées. Mais c’est apparemment trop leur demander.

Est-il  nécessaire de dire qu’avec cette diplomatie de gribouille, nous sommes à des années lumières du mode de pensée de gens comme de Gaulle ou Mitterrand qui possédaient  à un degré particulièrement élevé toutes ces nuances et qui connaissaient  l’histoire ?

Une histoire  qui s’est toujours vengée de ceux qui en oublient les leçons.  Nous allons payer le prix fort  de cet oubli au Proche-Orient, d’abord  par le ridicule, et ensuite, plus probablement, par notre éviction durable  de la scène. Cette ignorance, cette inculture, cette superficialité avec lesquelles sont abordées les questions diplomatiques les plus graves peuvent avoir des conséquences dramatiques. 

Depuis le général de Gaulle, la France, en adoptant des propositions modérées et moyennes, comme par exemple sur le Vietnam ou la question palestinienne, avait pu proposer sa médiation. C’était un peu sa  fonction  naturelle  dans le concert des nations. Nous en sommes  loin après les gesticulations hystériques de ces derniers mois. Et dire qu’il y a, parait-il, au Quai d’Orsay des gens qui se demandent pourquoi la conférence  prévue se tiendra à Genève et non à Paris !

L’impasse  intérieure à  laquelle François Hollande se trouve confronté  témoigne de l’épuisement pathétique de la veine social-démocrate dont il se réclame. Le même épuisement  a son pendant, nous venons de le voir, dans la diplomatie.  Notre appareil diplomatique, dépourvu de ligne cohérente,  se trouve en plein désarroi. Le quinquennat précédent montre hélas  qu’une droite ayant  remisé  depuis longtemps l’héritage gaulliste au rayon des vieilleries,  est encore loin de  pouvoir proposer une doctrine alternative. 

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