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Le Brexit, dernière chance pour François Hollande de sauver son quinquennat ? Comment le Président pourrait laisser une trace dans l’Histoire s’il sait taper du poing sur la table des 27
©Reuters

Plan d'action

Au plus bas dans les sondages, le président de la République pourrait voir dans l'incertitude qui pèse sur le projet européen une opportunité unique de se démarquer. Mais la volonté politique sera entravée par le déficit d'influence de la France à Bruxelles depuis 2012.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Atlantico : Quelques heures après les résultats du référendum britannique, François Hollande déclarait que la sortie du Royaume-Uni mettait "gravement l'Europe à l'épreuve". De manière générale, l'ensemble des dirigeants européens appelaient à une refonte du projet européen. Mais selon les sondages les plus récents, à peine 10 à 15% des Français se déclarent satisfaits du quinquennat qui se termine. Si l'on prend du recul, et que l'on se projette dans 15 ans, que faudrait-il que fasse François Hollande pour que l'on puisse se dire qu'il a été "à la hauteur" ? Quelle devrait être son action désormais selon-vous ?

Christophe Bouillaud : Il faudrait vraiment un miracle politique au sens fort du terme pour que F. Hollande soit vu dans 15 ans comme ayant été à la hauteur. Ce sont ses atermoiements depuis son élection il y a quatre ans qui l’ont amené, lui et l’Union européenne, à ce point. Il est en effet très largement co-responsable de la situation, en jouant la montre avec A. Merkel et en appliquant avec elle une politique de la coopération à petits pas alors qu’il aurait fallu aller au lendemain de son élection aller à l’affrontement – quitte à en finir pour un temps avec le sempiternel "couple franco-allemand". Quand il a accepté de faire ratifier le TSCG négocié par N. Sarkozy reniant ainsi sa promesse électorale de le renégocier, ou quand en 2014 il n’a pas saisi l’arrivée au pouvoir de Matteo Renzi en Italie pour faire bloc contre l’austérité imposée par A. Merkel et compagnie, ou quand le 13 juillet 2015 il a accepté la mauvaise solution temporairement trouvée à l’affaire grecque, il a commis de graves erreurs de timing. On peut certes penser qu’aujourd’hui, A. Merkel est désormais assez affaiblie pour que F. Hollande réussisse enfin à réorienter complètement l’Union européenne vers beaucoup plus de croissance, créatrice d’emplois pour tous les Européens. J’ai cependant des doutes. L’affaire me parait mal engagée, parce que, comme l’a montré un document qui a fuité dans la presse allemande, les dirigeants allemands sont prêts à résister jusqu’au bout aux pressions franco-italiennes sur ce point, et parce que ce sont deux leaders impopulaires, M. Renzi et F. Hollande, qui vont affronter un leader, A. Merkel, qui reste plutôt populaire dans son pays. L’usure du pouvoir a certes fait son œuvre sur A. Merkel, mais aussi sur F. Hollande et M. Renzi. L’idée de relancer une Europe de la défense ou de la sécurité dans la lutte contre le terrorisme me parait pour tout dire "lunaire". Les Européens veulent des jobs, des jobs, des jobs, et de la sécurité de l’emploi, de la sécurité de l’emploi, de la sécurité de l’emploi. Tout le reste ne sert à rien, voire sera contreproductif, en donnant l’impression aux simples citoyens qu’on ne s’occupe pas de leur sort à eux. C’est à un immense problème de protection de leurs sources de revenus que les Européens ordinaires sont confrontés. C’est la dureté de la vie quotidienne des salariés ou aspirants à l’être qui bouleverse tous les calculs politiques établis, c’est qui a fait voter les classes populaires anglaises pour le Brexit. Bref, à moins qu’in extremis de son quinquennat, F. Hollande arrive à faire en sorte que les dirigeants européens se comportent collectivement face à la crise structurelle de l’emploi en Europe comme un Roosevelt en son temps, je doute que F. Hollande laisse un bon souvenir dans les livres d’histoire. Il en est d’ailleurs sans doute bien conscient vu le ton pour le moins tragique de son intervention télévisée de ce matin, où il insiste sur le mot d’histoire à plusieurs reprises. 

Par ailleurs, F. Hollande avec d’autres dirigeants européens a demandé un "divorce rapide" avec le Royaume-Uni, alors que, visiblement, D. Cameron cherche à donner le temps au Parti conservateur de se choisir un nouveau leader chargé d’aller porter la demande de sortie par jeu de l’article 50 à Bruxelles. Cela correspond sans doute au fait que tant que le Royaume-Uni reste membre, il peut en profiter pour faire pression de l’intérieur avec les mécanismes habituels, et déstabiliser encore plus le système de décision de l’Union européenne. Il faut dire qu’avoir éventuellement Boris Johnson à la table du Conseil européen ne doit enthousiasmer personne. Cela risque de jeter un froid. De cette manière, en jouant la montre, le Royaume-Uni pourra négocier toute une série d’avantages lors de sa sortie. Cela peut correspondre aussi à la considération plus cynique que les dirigeants européens semblent faire leur, plus cela ira vite très mal au Royaume-Uni, plus cela découragera les autres pays de vouloir partir. Ce second calcul ressemble trop à la défunte "doctrine Brejnev" qui amena en son temps l’Union soviétique à intervenir en Tchécoslovaquie. Cette doctrine de la souffrance éducative pour les dissidents, qu’on trouve sous la plume du journaliste de Libération Jean Quatremer, est, pour tout dire, effrayante, et totalement contre-productive. Il faut espérer que F. Hollande militera pour un "divorce de velours" avec le Royaume-Uni. 

Christophe De Voogd : La question de la "trace dans l'histoire" n'est peut-être pas la préoccupation première de François Hollande: ou plutôt, elle l'est, mais sous une autre forme: "comment donc cet homme a-t-il réussi à être réélu alors qu'il avait tout contre lui? ". François Hollande pourrait bien rajouter un nouveau chapitre au Prince de Machiavel, ce qui, vous l'avouerez, n'est pas un mince titre de gloire. Ce prince machiavélien n'a d'ailleurs rien de "machiavélique", comme on le lit trop souvent. Il sait très bien - leçon ultime de Machiavel - que la meilleure garantie de son maintien au pouvoir est le "bien-être du peuple". D'où l'engagement sur la courbe du chômage, si mal compris. Le problème c'est que le réel lui résiste depuis 4 ans et que cela ne va pas s'arranger avec le Brexit. Adieu "inflexion"et probablement réélection! Dans de telles circonstances, toujours selon Machiavel, il faut savoir changer de caractère. Devenir en l'occurrence hyper-proactif alors que l'on est soi-même, comme François Hollande, un hyper-attentiste. Le problème,  exactement inverse de celui de Nicolas Sarkozy, en somme.En tout cas l'enjeu est là: François Hollande est, comme Nicolas Sarkozy en 2008, enfin confronté à "sa" grande crise internationale (et pas seulement à la crise de sa propre politique comme depuis 2012). L'épreuve de vérité en somme. "We shall see". Mais le doute est permis. 

Depuis 2012, la France semble pourtant inaudible sur la scène européenne. Sur quels soutiens ou autres atouts le Président pourrait-il compter pour mettre en oeuvre cette action ? Quelles cartes lui reste-t-il à jouer ?

Christophe Bouillaud : Il lui reste encore Matteo Renzi. Le Président du Conseil italien vient certes de perdre les élections municipales. Sa majorité parlementaire est branlante, son propre parti se cabre. Il aurait donc bien besoin d’un succès en matière de politique européenne. Humilier A. Merkel en l’obligeant à aller enfin vers une relance budgétaire coordonnée en Europe, y compris en Allemagne, lui apporterait sans doute un surcroit de popularité, tant l’opinion publique italienne n’en peut plus des choix portés par Berlin. Il faut aussi ajouter aux alliés possibles le gouvernement portugais dirigé par un socialiste et le gouvernement grec Syriza-ANEL. Il y aussi des élections ce dimanche en Espagne, elles peuvent amener à un gouvernement de gauche unie en Espagne, éventuellement dirigé par le leader de Podemos. Cela serait assez amusant de voir F. Hollande appeler à la rescousse un Pablo iglesias devenu le chef du gouvernement espagnol – mais aussi assez tragique en réalité pour la social-démocratie européenne. Surtout, au-delà de ces considérations d’équilibre au sein du Conseil européen, la BCE semble pousser à une solution "budgétaire" au problème de la faible croissance européenne. F. Hollande a donc des alliés, mais est-ce que cela sera suffisant pour réorienter les politiques publiques de l’Union européenne contre la volonté des dirigeants allemands actuels ? 

Christophe De Voogd : C'est le vrai problème. La France ne pèse guère depuis 2012, tout le monde vous le dira à Bruxelles.  Le seul dossier sur lequel elle s'est vraiment battue becs et ongles, jusqu'à la dernière crise agricole où elle a à nouveau fermement défendu ses intérêts, a été la nomination à Bruxelles de Pierre Moscovici aux questions financières. "Se battre ainsi pour un poste de commissaire, c'est du niveau de la Slovénie mais pas de la France!", me disait un jour un responsable européen. Mais l'on a, là encore, mal compris la motivation profonde de F. Hollande : obtenir la caution bancaire de l'Europe, avec P. Moscovici comme conseiller de clientèle et le Pacte de stabilité comme contrat de prêt. Et cela a parfaitement marché. Voyez le niveau des taux d'intérêt et  la facilité avec laquelle la France poursuit tranquillement son endettement colossal. Le problème c'est que notre pays est à la fois "too big to fail" (trop grosse pour faire faillite) mais aussi "too weak to act" (trop faible pour agir). Notre Président n'a ni les idées, ni la crédibilité pour relancer l'Europe. On voit bien sa tentative de rallier Renzi (en visite ce soir à Paris) à sa cause, mais je ne crois pas du tout à une possibilité de contournement  de l'Allemagne, déjà tentée à maintes reprises dans le passé. La conjonction de deux faibles ne fait pas le poids face à un fort qui peut compter sur d'autres forts, c'est-à-dire toute l'Europe du Nord. La seule solution serait un donnant/donnant qui serait un gagnant/gagnant : de vraies réformes structurelles en France contre une réorientation de l'Europe; solution que je préconise depuis des années; mais est-il besoin de dire, à voir où en est le dossier de la minuscule "loi-travail", l'improbabilité d'un tel scénario à 10 mois des présidentielles?

Cette séquence historique à la portée internationale, qui trouve un écho dans l'opinion française, représente-t-elle une opportunité à saisir pour le Président ? Dans un scénario favorable, quels bénéfice pourrait-il en tirer ?

Christophe Bouillaud : Oui, il aurait intérêt à faire quelque chose, ce qui permettrait en plus de présenter ses échecs précédents comme de la prudence. Son attentisme et son refus du conflit seraient alors vu comme la stratégie habile d’un joueur dissimulateur, trop faible pour attaquer dans un premier temps et qui aurait attendu son heure pour frapper. C’est possible. S’il fait tomber A. Merkel en provoquant une crise en Allemagne ou s’il réussit à l’obliger à manger totalement son chapeau, tout le monde sera bluffé, et certes l’opinion publique française lui en saura sans doute gré, surtout si les résultats économiques étaient perceptibles dans les mois suivants. 

En même temps, cette hypothèse de l’attentisme dissimulateur est bien peu probable si l’on regarde l’acharnement que met le gouvernement de M. Valls à imposer contre l’opinion publique et la majorité des syndicats de salariés une "loi travail" qui s’inscrit à 100% dans le cadre de la dévaluation interne nécessaire dans le cadre de politique économique imposé à l’Europe par le "consensus de Bruxelles-Berlin-Francfort". Il y a là une contradiction de fond. Ou une erreur de stratégie manifeste. Pourquoi s’affaiblir sur la scène politique intérieure en faisant passer une loi qui plait outre-Rhin, si le but est à la fin de casser le pouvoir d’A. Merkel ? Cela serait tout un leurre cher payé en termes d’opinion publique.

Christophe De Voogd : Le Président est un homme de synthèse, on l'a assez dit, et il l'a montré aussi avec brio sur le plan européen lors des négociations sur la Grèce l'an dernier. C'est un atout mais aussi une limite : François Hollande est un excellent intermédiaire, mais il n'est pas, ni en politique intérieure, ni en politique extérieure, un promoteur d'idées nouvelles, ni un joueur de poker, à la Thatcher ou à la Cameron. Encore une fois, ni son tempérament ni l'état du pays, ne s'y prêtent. Je vois mal comment, en 3 jours, il va trouver une solution aux grands problèmes de l'Europe qu'il soigneusement évités depuis 4 ans. Posons-nous cette question très simple : comment peut-on une seconde prétendre sauver et réformer l'Europe quand on n'arrive pas à neutraliser chez soi quelques centaines de casseurs et contrer un syndicat minoritaire? Croyez-vous que nos voisins ne nous observent pas? Il faut lire un peu la presse étrangère.

Dans quelle mesure le projet européen pourrait-il devenir un sujet majeur à l'occasion de la campagne présidentielle ? Quelle place pourrait-il occuper, entre la menace terroriste et le chômage ? 

Christophe Bouillaud : En dehors des scénarios roses – ou à l’eau de rose ? – que je viens d’évoquer qui permettraient à F. Hollande de rétablir à la fois sa situation et celle de l’Union européenne, il me parait évident que l’Union européenne va être au cœur du débat, en lien en particulier avec les deux sujets que vous évoquez. Il suffit de voir la réaction d’un Bruno Le Maire qui déjà pour se différentier de ses concurrents à la primaire de la droite évoque un référendum. Le génie est sorti de la bouteille… Ou bien celle de Jean-Luc Mélenchon, qui sent qu’il est sur la bonne voie. Pour ne pas parler de celle de Marine Le Pen, qui voit sa stratégie paneuropéenne d’opposition à l’Union européenne actuelle validée à 100%. Nous allons beaucoup entendre parler d’Union européenne…

Christophe De Voogd : La place considérable que les circonstances, c'est à dire le Brexit, dont les effets ne font que commencer, désormais imposent; d'autant que menace terroriste et chômage ont des conséquences européennes et réciproquement. Il est clair que désormais tous les grands candidats vont devoir se positionner sur l'Europe escamotée jusqu'ici dans le débat public mais sur laquelle des propositions fortes, que l'on soit d'accord ou pas, là n'est pas la question, se font entendre à droite, surtout chez N. Sarkozy et B. Le Maire (qui a été le premier à développer un projet ambitieux dans un discours en mai à Berlin) . L'on est d'ailleurs frappé par le contraste entre les interventions - d'ailleurs très différentes- de ces deux leaders hier et celle du président en exercice : prises de positions  très précises - pour les deux premiers, simple évocation des sujets à traiter pour le troisième.   

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