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A quel point la promesse du macronisme s'est-elle transformée en une forme de piège ?
A quel point la promesse du macronisme s'est-elle transformée en une forme de piège ?
©Ludovic MARIN / AFP

Possibilités d'alternance

Le point visé n’est certainement pas en soi la ligne politique du macronisme mais l’étranglement de possibilités d’alternance que produit la conjugaison de nos institutions, de notre mode de scrutin pour les législatives et des fractures sociales françaises.

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti est Professeur associé à Sorbonne-université et à l’HEIP et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Son dernier ouvrage, "Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir", est publié aux éditions du Cerf (4 Novembre 2021).   

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Atlantico : Le premier tour des législatives a confirmé en quelques sortes l’existence de trois blocs. Le bloc central macroniste, le RN et la gauche/extrême gauche NUPES. Avec un bloc central et deux blocs extrêmes, nos institutions, notre mode de scrutin et les fractures sociales françaises n'ont-ils pas débouché sur un étranglement des possibilités d’alternance ?

Arnaud Benedetti : Encore faut-il relativiser la notion d’extrêmes pour les deux blocs d’opposition, ils sont extrêmes d’abord par rapport à la désignation à laquelle leurs concurrents les assignent, notamment ce bloc central qui n’est autre que la plateforme électorale des entrepreneurs autoproclamés du "cercle de la raison" pour reprendre la formule de l’un de leurs maîtres à penser, Alain Minc. Car la sémantique participe de cette "impossible alternance" que vous décrivez, à partir du moment où l’on acte que les autres blocs seraient "extrêmes" on suggère que leur accession  au pouvoir doit être empêchée puisqu’ils ne sont pas raisonnables et qu’ils sont dangereux. Encore faut-il nuancer car la diabolisation n’est pas forcément homogène : elle est beaucoup plus accentuée à droite qu’à gauche, puisque cette dernière dans sa radicalité dispose d’une indulgence théologique en France. Ainsi, même en s’affichant comme voulant la combattre, la macronie en appelle au "front républicain " contre le RN y compris lorsqu’elle peut maintenir son candidat dans une triangulaire : à Marmande dans le Lot -et-Garonne, le député macroniste sortant se voit dicter par l’état-major parisien un retrait qu’il a refusé au demeurant afin de faire barrage à la candidate du RN. Le maire d’Agen, centriste, va jusqu’à appeler à voter pour la Nupes dans cette circonscription… Et n’oublions pas qu’Emmanuel Macron trouvait des vertus républicaines à Jean-Luc Mélenchon dans l’entre-deux tours des présidentielles. Le bloc central est aujourd’hui néanmoins pris dans l’étau de cette contradiction ontologique entre son narratif présidentiel, la lutte contre la droite nationale, et son récit législatif, la diabolisation de la gauche dont il avait éminemment besoin voici deux mois pour assurer la réélection de son champion. Mais l’idée latente consiste exclusivement à s’assurer en effet le monopole du pouvoir, à tarir les sources de l’alternance. Pour ce faire, jusqu’à présent, le macronisme usait de l’abstention et de la dispersion des oppositions qui dopaient artificiellement sa représentation. Désormais, il procède alternativement par diabolisation de son adversaire du moment : un coup à droite, un coup à gauche. Il s’agit de la réinvention de cette "politique de la bascule" imaginée par le Ministre de l’intérieur de Louis XVIII, Elie Descazes, et dont le jeune historien Jean-Baptiste Gallen a retracé la genèse dans un ouvrage récent ("L’invention du "En Même Temps". La chute d’un Ambitieux (1818-1820)".

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Ce discours relève en quelque sorte de l’acte manqué. Sa scénographie d’abord suscite une impression de fuite au pire, d’exercice opéré à la va-vite au mieux pour en appeler aux électeurs dans un contexte électoral difficile. Comme s’il s’agissait de sur-souligner cette difficulté, de la dramatiser justement afin d’exacerber l’attention pour mobiliser un électorat centriste, central qui pourrait par lassitude ou indifférence déserter les urnes, considérant que le risque de cohabitation est écarté. Pour autant Macron explicite présomptueusement au travers de cette déclaration bâclée que son offre est la seule exclusivement républicaine. Cette egotisation de la politique fait écho à l’éructation de son adversaire du moment, Jean-Luc Mélenchon, lorsque celui-ci s’adressant à un policier procédant à une perquisition au siège de son parti s’exclame : "La République, c’est moi !". Macron lui nous dit que la République c’est lui. Comprendra-t-on pourtant que chaque fois qu’un homme politique ramène la République à sa personne c’est la République qui recule… puisque la République est par nature ce qui nous dépasse pour nous rassembler, y compris dans nos disputes… Cette rhétorique est celle de l’hubris, l’exact opposé de la mesure, de la modération, de la rationalité dont se réclame le camp présidentiel.

A quel point la promesse du macronisme, pas sur le fond mais sur la forme - le dépassement du clivage gauche droite - s'est-elle transformée en une forme de piège ? Quelles sont les conséquences pour la démocratie française ?

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Est-ce qu’il n’y pas, et notamment dans l’appel au barrage républicain, une forme d’exclusion des catégories populaires d’un droit à la représentation ? D’une forme renouvelée de démocratie censitaire ?

Nous assistons à une exclusion implicite des classes populaires du jeu politique : par l’abstention pour une part, par la délégitimation de leurs choix électoraux d’autre part dès lors que ces choix ne correspondent pas à la doxa et aux intérêts de la coalition dominante. Il y a toujours eu quelque chose de censitaire dans l’expression du libéralisme à la française qui est fortement marquée par l’empreinte de l’orléanisme et de l’une de ces figures dominantes sur le plan historique, Guizot. Le macronisme s’inscrit dans cette généalogie, il se méfie du peuple, il n’articule pas spontanément la souveraineté nationale et la souveraineté populaire, il transfère la première au sein de l’orbe européenne qui est, faut-il le rappeler, tout sauf démocratique, encore moins populaire. Mais implicitement, il trace une autre séparation qui n’est pas sans évoquer celle distinguant dans la cité antique les citoyens des non-citoyens. Formellement évidement il existe de droit une communauté indistincte de citoyenneté ; en pratique est-ce toujours le cas ? Le déficit de représentativité qui impacte de plein fouet les classes populaires n’est-il pas la démonstration d’un processus caché de ségrégation politique et forcément social ?

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