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Le Baby Boom de l’an 2000 commence à produire ses effets : voilà ce que ça change pour la société française
©François NASCIMBENI / AFP

Baby boom

Moins attachés à la démocratie, au capitalisme, abstentionnistes et souvent proches des extrêmes... Portrait de cette génération fraîchement en âge de voter.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : Selon un rapport publié par l'INSEE ce 7 mai, les baby bommers de l'année 2000, ayant atteint la majorité en 2018, sont désormais inscrits sur les listes électorales, soit 756 000 jeunes, ce qui correspond à une forte augmentation qui devrait perdurer au cours des prochaines années. Moins attachée à la démocratie selon une enquête réalisée en 2018 par le Cevipof, moins attachée au capitalisme, abstentionniste et souvent proche des extrêmes (LFI étant le premier parti chez les 18-24 ans), quelle est la vision du monde dont est porteuse cette nouvelle jeunesse s'inscrivant sur les listes électorales ?

Vincent Tournier : La présentation de l’INSEE laisse entendre que l’on assiste à un raz-de-marée des jeunes. En fait, pour l’heure, les 18-24 ans ne représentent que 11% des électeurs. De plus, ils votent beaucoup moins que le reste de la population, notamment aux élections européennes. Si on prend par exemple les dernières données recueillies par l’IFOP, qui datent de début mai, 20% des 18-24 ans ont l’intention d’aller voter aux européennes contre 42% pour l’ensemble de la population (et 55% chez les 65 ans et plus). Donc, même s’il existe effectivement de bonnes raisons pour s’inquiéter de certaines évolutions chez les jeunes générations, notamment sur le plan de leur rapport à la démocratie, l’impact électoral des jeunes reste limité. Et cela n’est pas prêt de changer puisque, s’il y a eu effectivement un pic de naissances en 2000, ainsi d’ailleurs qu’entre 2006 et 2010, on observe depuis 2010 une forte baisse des naissances. Bref, dans les années à venir, le poids des jeunes dans l’électorat va plutôt avoir tendance à baisser, ce qui va aussi mécaniquement baisser l’intérêt qu’ils représentent pour les partis politiques. Ce point n’est pas sans incidence. En effet, les dynamiques qui sont aujourd’hui à l’œuvre dans la jeunesse, notamment le déclin des valeurs démocratiques, supposerait que les jeunes fassent l’objet d’une attention accrue. Or, la logique même de la démocratie va au contraire pousser à s’en désintéresser de plus en plus, notamment pour les franges les moins intégrées au système politique, que soient les jeunes ruraux ou les jeunes de banlieues. 

En quoi les différences d'époques, de culture et d'expérience politique ont-ils pu façonner une jeunesse relativement différente de ses aînés ? 

Le contexte n’est plus le même. Dans les années 1980-1990, il y avait une forte confiance dans l’avenir : la Guerre froide s’achevait, le monde s’ouvrait, l’Europe promettait de grandes choses, les technologies de la communication faisaient des progrès considérables.  Donc, on pouvait raisonnablement penser que les problèmes appartenaient au passé et que la vie allait s’améliorer. On pouvait se permettre de se moquer des prophètes de malheur comme Samuel Huntington. Mais la génération post-11-Septembre et post-2008 ne baigne plus du tout dans la même ambiance. Le vieux vocabulaire pessimiste a fait son retour : la crise, la guerre, la violence. D’après le baromètre du CEVIPOF de janvier 2019, lorsqu’on demande aux gens s’il y a eu, dans les années récentes, des événements qui les ont incités à avoir confiance dans l’avenir, 60% répondent négativement. Et encore : parmi les 40% qui ont répondu positivement, seulement un quart citent des événements des nature politique, tout le reste cite des événements qui concernent la famille ou le travail. Donc, les jeunes d’aujourd’hui font l’apprentissage de la politique dans un contexte anxiogène et stressant. L’avenir semble bouché. Qu’est-ce qui pourrait donner la perspective d’un avenir radieux ? Tous les rouages de l’optimisme semblent grippés : la mondialisation apparaît plus destructrice que créatrice, l’Union européenne s’enfonce dans l’immobilisme, le progrès est accusé de détruire la planète, et la diversité ethnoreligieuse crée des tensions qui semblent insurmontables. Donc, hormis pour les milieux favorisés qui ont su s’adapter à ce nouvel environnement, il est logique que les doutes, voire les colères, deviennent une composante importante dans les perceptions de nos contemporains, et plus encore chez les jeunes. 

Comment peut-on mesure l'impact, à terme, de ces changements ? Faut-il s'attendre à une jeunesse rentrant "dans le rang" progressivement avec l'âge, ou doit on s'attendre à ce que ces différences persistent dans le temps ?

Les pronostics sont toujours difficiles, mais on ne voit pas bien ce qui, dans les années à venir, est susceptible de transformer la situation au point de casser les dynamiques actuelles. Par exemple, les tensions sur le marché de l’enseignement supérieur, qui font qu’une partie des étudiants a la chance d’accéder à des cursus internationalisés et prestigieux (et onéreux) tandis que le reste doit se contenter de cursus classiques, ne sont pas prêtes de s’arrêter. La lutte pour les places devient de plus en plus âpre, la sélection sociale de plus en plus intense, et ce n’est pas la suppression de l’ENA qui va y changer quoi que ce soit, au contraire même car l’ENA a le mérite de ne pas sélectionner explicitement sur l’argent. 
Ce contexte anxiogène ne peut qu’avoir des incidences politiques pour les jeunes, notamment sur leur rapport au vote. On voit déjà que l’attachement au vote s’est fortement érodé dans les nouvelles générations, au point qu’en 2017, moins de 20% des jeunes ont voté à tous les tours de scrutin contre 50% chez les plus de 65 ans..  
Le plus significatif est que ce déclin de la participation électorale n’intéresse pas grand-monde. Qui s’en préoccupe ? Les seuls sujets concernant le vote qui intéressent aujourd’hui les élites, c’est le vote des prisonniers, comme l’a indiqué Emmanuel Macron l’an dernier ou éventuellement le vote des personnes sous tutelle (une loi vient récemment de leur donner le droit de vote). Bref, on s’intéresse en priorité à la périphérie du corps électoral, voire à son antithèse (quel message veut-on faire passer en disant que les prisonniers sont de bons citoyens ?) mais pas à son essence. Cette absence de préoccupation en dit long sur la faible valorisation du vote auprès des élites. Il est vrai que, valoriser le vote supposerait aussi de valoriser la nation puisque les deux sont historiquement très liés (on vote parce qu’on se sent appartenir à un tout), ce qui ne va pas exactement dans le sens des valeurs dominantes. La dégradation des valeurs civiques n’est donc pas prête de s’interrompre, sans que l’on puisse savoir quelles en seront toutes les conséquences. 

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