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Le « grands patrons bashing », discipline préférée de la presse française ?
©Bernard Arnault. ERIC PIERMONT / AFP

Coupable d'être riche

A qui profite le fantasme d’une presse aux mains du grand capital et servant exclusivement les intérêts de ce dernier ? Aux journalistes eux-mêmes peut-être, qui, lorsqu’ils prennent la plume contre un de ces capitaines d’industrie, font ainsi à peu de frais la démonstration de leur courage, exacerbant au passage le sentiment d’inégalité.

Bill Wirtz

Bill Wirtz

Bill Wirtz travaille comme analyste de politiques publiques pour le Consumer Choice Center, une organisation de consommateurs qui défendent leur libre choix comme consommateurs responsables.

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C’est une antienne, répétée à l’envi dans l’opinion. Des intellectuels de haut niveau comme Noam Chomski au citoyen lambda, tous s’accordent sur ce qui serait un fait : la mainmise des grands patrons sur les médias évite aux premiers d’être la cible des seconds. Un Jean-Jacques Servan-Schreiber avertissait déjà sur le danger de voir les journalistes perdre le contrôle de leurs médias au profit du grand capital il y a déjà près de 60 ans.
Si dans le monde, la détestation des très riches tourne progressivement à la phobie, la France tient un rang honorable dans le classement des nations où les patrons sont éreintés par l’opinion. Tous sont suspectés de connivence avec la presse et le pouvoir politique, suppôts naturels de ces grands satans que sont les riches. 
Les grands patrons sont-ils donc si chouchoutés que cela par la presse ? A l’examen, cette position paraît assez difficile à défendre. Entre les polémiques sur leur rémunération, les retraites chapeau, le cas du passage de Didier Lombard à la tête de France Télécom ou encore l’image pas toujours reluisante que donnent les médias d’un Vincent Bolloré, on peut raisonnablement se demander si le grand capital est véritablement épargné par les médias. 

Bernard Arnault, coupable, quoi qu’il fasse, d’être riche ?

Si posséder un média permettait aux puissants de s’affranchir des traits décochés par la presse, ou si appartenir au club des grands dirigeants présents dans l’actionnariat des grands médias avait pour but de s’offrir une sorte de visibilité positive, comment expliquer, par exemple, l’accueil médiatique relativement frais réservé à l’annonce de l’obtention de la place de 3e homme le plus riche du monde par Bernard Arnault ? Symptomatique du zèle que mettent les journalistes à décrier ces magnats, précisément pour échapper à toute suspicion de collusion, le cas du patron de LVMH l’est d’ailleurs à plus d’un titre (de presse). La tragédie de Notre-dame de Paris en fournit une illustration éclatante, rappelant que tout élan de générosité ou d’humanité de la part des très riches n’est reçu, en général, qu’avec suspicion.  
Ainsi, Bernard Arnault, première fortune de France se décide-t-il à offrir 200 millions d’euros à la reconstruction de l’édifice ? Il en faut plus pour dérider les médias nationaux, qui ne voient derrière le don qu’une vaste opération de com. Entre scepticisme et dérision, certains iront jusqu’à affirmer que le patron, dont l’activité est pourtant restée en France et qui paie ses impôts sur le territoire national (LVMH est le principal contributeur français à l’impôt sur les sociétés, avec 1,4 milliard d’euros versés en 2017 et 1,25 milliard en 2018), n’en fait pas assez. Lance-t-il la Fondation Vuitton ? On n’y voit qu’un moyen de réduire ses impôts. LVMH prend-il en stage des jeunes des banlieues ? On n’y voit que manoeuvres et calculs.  “C'est assez consternant de voir qu'en France on se fait critiquer même quand on fait quelque chose qui est une preuve d'intérêt général.” finira par déclarer Bernard Arnault, condamné, s’il veut poursuivre ses bonnes actions, à être voué aux gémonies par la presse (préfèrerait-on qu’il ne fasse rien ? ou qu’il agisse mal ?) Il est loin d’être un cas isolé puisque des noms comme Niel, Pigasse ou encore Bergé ont également les honneurs de ce genre de critiques.

Les grands patrons condamnés à avoir mauvaise presse ?

Dans le même temps, il est relativement rare de tomber sur un papier louant l’esprit d’entreprise de ces bâtisseurs et leur sens de l’intérêt commun. Ainsi par exemple l’école 42 et la Station F de Xavier Niel, font partie de ces lieux qui visent à permettre à la France de s’inscrire de plain-pied dans un monde où les mutations technologiques pourraient la déclasser si aucun effort n’était fait. Aux Etats-Unis, de tels bâtisseurs sont célébrés. En France, pour un remerciement, ils repasseront.
On peut se demander à qui profite le fantasme d’une presse aux mains du grand capital et servant exclusivement les intérêts de ce dernier ? Aux journalistes eux-mêmes peut-être, qui, lorsqu’ils prennent la plume contre un de ces capitaines d’industrie, font ainsi à peu de frais la démonstration de leur courage, exacerbant au passage, dans l’opinion publique, le sentiment d’inégalité, qui à son tour débouche sur la récupération d’un discours anti-riches par les extrêmes. Au public dans une certaine mesure, puisque la France se plait à détester ses riches et peine à leur pardonner le péché originel de leur fortune. Daninos ne le rappelle-t-il pas très bien ? Le célèbre humoriste déclarait que si le badaud américain, en voyant passer un milliardaire en Cadillac, se plaisait à rêver du jour où il pourrait lui-même faire pareil, le badaud français, lui, rêvait du jour où il pourrait faire descendre ledit milliardaire du véhicule pour le faire marcher comme tout le monde. 
Descendre en flammes ses grandes fortunes : la formule est-elle vraiment bonne, dans une économie mondialisée où toutes les nations leur font les yeux doux afin d’attirer leurs investissements ? Les faire sortir du capital des médias : l’idée peut paraître simple et séduisante. Mais la réalité est qu’un média aura toujours besoin de capital pour tourner, rémunérer ses ressources humaines, autrement dit ses journalistes. Et l’exception du Canard enchaîné est l’arbre qui cache la forêt de la difficulté à faire financer l’information de qualité par le public. La nature ayant horreur du vide, ce sont d’autres actifs qui jouent ce rôle. 
S’il est heureux que les propriétaires de médias puissent faire l’objet des critiques de ces mêmes médias, et si la parution d’articles à charge les concernant doit être perçue comme le gage d’une liberté de la presse affirmée, il ne l’est pas que cette propension à leur tomber dessus à bras raccourcis (y compris lorsqu’ils oeuvrent pour l’intérêt général) soit devenue l’unique thermomètre de cette liberté. Une presse vraiment et totalement libre se permettrait, au contraire, de souligner les actions positives de ces grands patrons, parce qu’elle n’aurait pas peur d’être taxée de connivence, et privilégierait en toutes circonstances l’information à son traitement biaisé, retors et idéologique. Oui, il est sain que des entrepreneurs ayant réussi créent de l’emploi, payent leurs impôts en France, y préservent le patrimoine et les arts quand ils en ont l’occasion. Ceux qui disent le contraire sont d’une mauvaise foi confondante. 

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