La triple habileté d’Élisabeth Borne (et les « petites » faiblesses qui l’accompagnent)<!-- --> | Atlantico.fr
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Elisabeth Borne a fait preuve d'habileté politique lors de son discours devant les députés ce mercredi 6 juillet.
Elisabeth Borne a fait preuve d'habileté politique lors de son discours devant les députés ce mercredi 6 juillet.
©Bertrand GUAY / AFP

Discours de politique générale

La Première ministre a présenté le cap du nouveau quinquennat Macron durant son discours de politique générale devant les députés et les sénateurs. Elisabeth Borne a rappelé à plusieurs reprises son passé de préfète et a montré qu’elle pouvait rechercher des compromis avec les élus locaux en appliquant une méthode spécifique. A-t-elle trouvé un moyen de faire avancer sa politique sans majorité absolue ?

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Ce mercredi à 15 heures, la Première Ministre Élisabeth Borne a présenté devant les députés sa déclaration de politique générale. À cette occasion, elle a présenté le cap du nouveau quinquennat Macron et la manière dont elle compte travailler avec les partenaires sociaux et les parlementaires. Que retenir de ce discours ? A-t-elle fait preuve d’habileté politique ?

Christophe Boutin : Une déclaration de politique générale est toujours un exercice difficile : il faut être ni trop long, ni trop court ; ni trop flou, ni trop technique ; ni trop « ras du sol », ni trop mythomane. Quand Élisabeth Borne a lancé à la cantonade : « Nous mesurons tous l’ampleur de la tâche : les Français à protéger, la République à défendre, notre pays a rassembler, la planète à préserver » certains ont sans doute craint le pire en l’imaginant aller « vers l’infini, et au-delà », mais elle semblé renoncer ensuite à ce style.

Évoquant les attentes des Français décelées dans « l’écho de l’abstention », la « demande d’action » et « l’exigence de responsabilité », elle a ensuite immédiatement considéré qu’il s’agissait d’une tâche qui ne concernait pas que le gouvernement ou la majorité présidentielle, mais bien tous les élus. « Ensemble » est d’ailleurs un mot qui revenait souvent, car en élisant une Assemblée sans majorité absolue, les Français, déclarait la Première ministre aux députés « nous invitent à des pratiques nouvelles, un dialogue soutenu et à la recherche active de compromis ». Il faut donc « accepter, chacun, de faire un pas vers l’autre », et il serait « temps d’entrer dans l’ère des forces qui bâtissent, ensemble » car « une nouvelle page de notre histoire politique et parlementaire commence : celle des majorités de projet ».  

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Et si la France était beaucoup moins bloquée qu’on le croit même avec une Assemblée qui, elle, le serait…?

La confiance, conclut la Première ministre qui ne la sollicitait donc pas après cette déclaration, « ne se décrète pas a priori, elle se forgera, texte après texte, projet après projet, car nous travaillerons en bonne foi et en bonne intelligence ».

Habileté politique donc que ce renversement de la situation, semblable en cela à celui qu’a opéré Emmanuel Macron, et qui n’est pas sans rappeler cette déclaration d’un personnage de Cocteau : « Puisque ces mystères me dépassent, feignons d’en être l’organisateur ». Mis bien malgré soi devant le fait accompli de la majorité relative, et se voyant imposer la nécessité de composer des « majorités de projet », on fait contre mauvaise fortune bon cœur, on se veut plus près au compromis que tous les autres, on se félicite presque publiquement d’une situation qui invite à mettre en place de nouvelles pratiques politiques, et, ce faisant, on rejette la responsabilité d’éventuels blocages sur l’opposition, qui ne serait pas « de bonne foi » ou « en bonne intelligence ».

L’opposition, mais laquelle ? Le bât blesse ici, car la question mérite d’être posée, de nombreux commentateurs ayant remarqué qu’Élisabeth Borne a cité au fil de son discours, allant même jusqu’à leur adresser des sourires, les présidents de tous les groupes parlementaires… sauf deux : Marine Le Pen, présidente du groupe d’opposition le plus important à la Chambre, celui du Rassemblement national, et Mathilde Panot, présidente du groupe de La France insoumise, le deuxième groupe d’opposition. Ce sont donc 89 et 75 parlementaires, près de 30 % des députés avec lesquels, manifestement, la Première ministre semble moins appeler à débattre qu’avec les autres. On pouvait à la rigueur concevoir cet oubli pour le parti qui entend déposer une motion de censure, mais c’est moins compréhensible dans le cas du Rassemblement national, sauf une nouvelle fois à chercher à exclure les deux du « champ républicain ». Ou comment tenter de ressusciter l’ancien monde en prétendent accoucher du nouveau.

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Alors qu’elle semblait choisie par défaut, Elisabeth Borne a rappelé à plusieurs reprises son passé de préfète et a montré qu’elle pouvait rechercher les compromis avec les élus locaux en appliquant une méthode qui serait la sienne. Alors que ses intentions sont vagues, y a-t-il un message en creux dans son discours où elle évoque la possibilité de gouverner en se passant des députés ? A-t-elle trouvé un moyen de faire avancer sa politique sans majorité absolue ?

 Élisabeth Borne a évoqué, pour permettre le dialogue auquel elle prétend, une évolution des institutions. On sait que c’était un projet du président de la République au début du premier quinquennat que cette révision constitutionnelle qu’il n’a pu mener à bien. On remet donc le couvert, et « une commission transe partisane sera lancé à la rentrée » pour y réfléchir.

Mais au-delà, la Première ministre a très largement insisté sur la nécessité de travailler en partenariat avec d’autres forces, les élus locaux, les corps intermédiaires, les « forces vives de notre pays », « les Françaises et les Français de chaque territoire », « les organisations syndicales et patronales ».

Les forces vives devraient participer à ce conseil national de la Refondation qu’elle évoque ici en reprenant un des éléments de la réflexion du président de la République. Quelle serait sa composition, et sa place parmi les structures existantes d’élus à l’indéniable légitimité démocratique ? Nul ne le sait.  

Et comment agir avec ces élus locaux si souvent évoqués ? « Je suis - a déclaré la Première ministre - élue d’une circonscription rurale ». Nul ne le niera, mais la découverte de la 6e circonscription du Calvados semble encore bien récente – elle est élue depuis 17 jours -, et, de manière très révélatrice, c’est bien plutôt à son statut de fonctionnaire que s’est rattachée plusieurs fois l’ancienne préfète - qui le fut un an, deux mois et 22 jours.

De fait, le dialogue avec les élus locaux qu’envisage la Première ministre est manifestement celui de la déconcentration, mené par le représentant de l’État et impliquant les services centraux (« c’est le même marteau qui frappe, mais on en a raccourci le manche » aurait dit Odilon Barrot), et non celui de la décentralisation, avec des compétences nouvelles conférées aux collectivités. Et si le seul objectif est, après moult supplications, et si les élus ont été bien sages et ont bien voté, de voir quelques un de ces multiples services disparus dans les décennies précédentes remis au compte-goutte dans certaines zones, il paraît excessif de parler de dialogue.

Ajoutons que, soi-disant pour donner « plus de poids aux élus locaux, plus de lisibilité dans leurs compétences, plus de cohérence dans leurs actions » la Première ministre envisage à nouveau de mettre en place ce conseiller territorial qui cumulerait les fonctions de conseiller départemental et de conseiller régional, une manière pour elle de « construire les complémentarités indispensables entre départements et régions ». Il est permis de penser que les élus locaux trouveront un peu particulière cette amorce de dialogue…

En se référant finalement assez peu au président de la République et en montrant qu’il était possible de faire des choses avec cette Assemblée, a-t-elle acquis une existence propre dans le « trou de souris » que lui laisse Emmanuel Macron ?

« Y penser toujours, n’en parler jamais » : l’injonction de Gambetta au sujet de l’Alsace lorraine semble valoir ici. Certes, Élisabeth Borne a peu cité Emmanuel Macron, mais tout ce qu’elle annonçait comme mesures venait de lui, de la méthode des chèques distribués aux plus nécessiteux, ou du « bouclier tarifaires » sur les prix du gaz et de l’électricité, aux cadres d’action : « la responsabilité environnementale », « la responsabilité budgétaire » et le refus d’augmenter les impôts.

Les retraites ? « Nous devrons travailler progressivement un peu plus longtemps. » L’urgence écologique ? Elle ne passe surtout pas « par la décroissance ». L’égalité entre les femmes et les hommes ? Elle est « la grande cause du quinquennat » - elle le reste en fait, car c’était déjà la grande cause du quinquennat précédent. Le « renouvellement de notre relation avec l’Afrique » ? Il passe « par les dialogues. Par les partenariats. Par le travail de mémoire. » - et l’on sait la part de repentance que sous-entend cette dernière formule dans l’esprit de nos gouvernants et, plus encore, dans celui du Président.

Enfin et surtout, Élisabeth Borne s’est lancée dans l’habituel discours favorable à l’Union européenne, expliquant que « la souveraineté, ce n’est ni le repli sur soi, ni l’exclusion » - alors que, justement, l’exercice de la souveraineté suppose avant tout la délimitation claire entre citoyen en non-citoyen, ou national et non -national. Mais c’est ici que, comme chez Emmanuel Macron, « cette souveraineté est à la fois profondément française et profondément européenne », et que la France est en fait effacée quand « l’Union européenne nous protège et nous projette dans l’avenir ».

En conclusion, on l’aura compris, le discours d’Élisabeth Borne, de qualité, est intéressant par ce qu’il peut laisser craindre : une caporalisation de mauvais préfet à la Chambre et en province ; des tentatives pour contourner ou suborner les élus ; et une fuite en avant dans la « souveraineté européenne ». Si les parlementaires entendent porter les inquiétudes des Français, il n’est pas certain que ce soient les bases adéquates pour travailler « en bonne foi et en bonne intelligence ».

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