La théorie des jeux… et ses limites : la Grèce va-t-elle sciemment dans le mur pour que sa faillite coûte le plus cher possible à l’Europe ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Selon l'économiste Hans-Werner Sinn, la Grèce jouerait la stratégie du pire.
Selon l'économiste Hans-Werner Sinn, la Grèce jouerait la stratégie du pire.
©REUTERS/Alkis Konstantinidis

Moi j'dis qu'il bluffe ...

Selon l'économiste allemand Hans-Werner Sinn, l'entêtement du gouvernement grec face à ses partenaires européens s'expliqueraient par une stratégie basée sur la "théorie des jeux". D'un côté le Premier ministre Tsipras incarne le "good cop", celui qui négocie, de l'autre son ministre des finances, Varoufakis, le "bad cop" qui menace.

Benjamin Carton

Benjamin Carton

Benjamin Carton, économiste au CEPREMAP, enseigne la négociation et la théorie des jeux à Sciences Po Paris.

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Atlantico : Selon l'économiste Hans-Werner Sinn, le ministre des finances grec Varoufakis joue la faillite de la Grèce car plus son défaut de paiement sera lourd, plus la BCE aura besoin de se recapitaliser, et devra donc sauver le pays. L'explication de Sinn est-elle plausible ?

Benjamin Carton : Hans-Werner Sinn a une analyse très simple de la situation. Selon lui, le gouvernement grec n'a de pouvoir de négociation que dans la mesure où il peut agiter la menace d'une "stratégie du pire", un peu comme de négocier avec un pistolet sur la table. Bien-sûr, ce plan B est particulièrement dangereux pour la Grèce, mais il suffit qu'il soit aussi dangereux pour les autres pays pour que cette menace soit efficace et qu'il n'y ait pas besoin de la mettre à exécution.

Quelle est cette stratégie du pire ? Laisser planer le doute sur l'issue de la négociation (être intraitable) et ainsi favoriser les sorties de capitaux privés de la Grèce. Les banques grecques sont alors obligées de se financer auprès de la BCE qui accumule des créances douteuses sur la Grèce. Plus elle en accumule (cela représente près de 8 mois de PIB grec à ce jour), plus il est coûteux pour la BCE de laisser la Grèce sortir de la zone euro : elle ferait des pertes sur un portefeuille de plus en plus important. Dès lors la BCE fera pression sur les autres membres du groupe de Bruxelles pour arriver à un accord favorable à la Grèce.

Selon Sinn, l'approche grecque est maline (au sens diabolique), non seulement car elle menace d'un plan B, mais surtout car elle prend en otage la BCE dans ce plan B. Pire, comme un serpent, à chaque respiration, elle lie un peu plus les mains des autorités monétaires. Mais l'analyse de Sinn n'est valable que si la Grèce, une fois sortie de la zone euro, a réellement intérêt à faire défaut sur le système de paiement interbancaire TARGET2. Or rien n'est moins sûr. En effet, la BCE ne va pas demander aux banques grecques de rembourser immédiatement les avoirs mais seulement de payer les intérêt. De plus, annoncer que l'on fera défaut (sur un argent qu'on ne vous réclame pas!) priverait la Grèce d'un système des paiements internationaux. Enfin, quand bien même la Grèce annoncerait un défaut de l'ensemble de ses banques au système TARGET2, la BCE aurait une excellente parade. Il lui suffit de saisir les avoirs que les grecs accumulent à l'étranger (en particulier dans des banques de la zone euro). Les gouvernements de la zone euro seraient, je pense, très favorables à cette initiative qui leur évite de rajouter au capital de la BCE. Il s'agirait d'expropriations. Mais mauvais coup pour mauvais coup, rien n'est impossible. Le règlement de la crise chypriote s'est aussi accompagnée de clauses "iniques".

Sinn, il me semble, cherche des arguments pour critiquer l'action de la BCE (achat de titres, aide exceptionnelle au système bancaire grec, etc) et leurs effets sur la balance des paiements de l'eurosystème, TARGET2. Il est partial, mais ses analyses sont toujours très stimulantes. La BCE montre surtout qu'elle ne prend pas directement partie dans l'affaire et ce n'est d'ailleurs pas son rôle. On le lui reprocherait et sa crédibilité serait anéantie si on soupçonnait qu'elle cherchât à le faire. Quel boulevard elle laisserait à ses détracteurs ! On pourrait soutenir que la BCE donne aujourd'hui de remarquables gages d'impartialité ce qui est toujours difficile lorsque les autres parties sont prêtes à tout, même au pire. Dès lors, si la monnaie unique devait mourir, c'est que les gouvernements auront cesser de la vouloir et non parce que la BCE aurait mal géré les choses.

Selon Sinn, la stratégie de Varoufakis, laquelle a pour but d'aller jusqu'au "clash", est un plan B que les Grecs gardent dans leur manche. De l'autre côté, le premier ministre Tsipras se charge d'accomplir le plan A, celui de la renégociation des modalités de remboursement avec les créanciers. Une attitude à la "good cop, bad coop". En menant deux stratégies de front, que cherchent à faire les Grecs ?

Toute négociation demande d'être sur deux fronts contradictoires. D'un coté on cherche à obtenir quelque chose dans un accord négocié (plan A), de l'autre on fait valoir que l'on pourrait choisir une solution non négociée (plan B). Le plan B n'est là que pour faire pencher le plan A en sa faveur. Il n'y a rien de très original ici. Mais dans le cas grec, le plan B ne consiste pas à se quitter bons amis, chacun allant de son côté. Le destins des parties continuent de dépendre de l'autre partie. De là l'impression mi-tragique mi-comique de cette négociation.

Comme le dit Sinn, il peut s'avérer vrai que moins la Grèce fait d'effort, plus l'UE doit la sauver. Cependant, la théorie des jeux cherche à optimiser la situation d'un acteur. Or cette stratégie de Syriza pousserait, certes, l'UE à sauver le pays, mais entraînerait également la Grèce dans le gouffre économique. N'y a-t-il pas ici une limite à l'utilisation de cette théorie par les Grecs ?

Encore une fois, le plan B est une menace qui n'est efficace que si elle convainc les autres parties de céder du terrain et non si on la mets à exécution. On peut comparer cela, toute proportion gardée, à la dissuasion nucléaire.

La stratégie de Varoufakis peut-elle véritablement aboutir ? Ou peut-on émettre l'hypothèse qu'elle lui échappe et précipite finalement la Grèce dans le mur ?

C'est possible. Surtout à cause des mécanismes financiers sous-jacents (fuite des capitaux, faillite des banques grecs, etc.) qui conduiraient à une crise économique majeure. La Grèce n'a pas besoin de cela. Le gouvernement serait renversé et les élections auraient lieu dans une situation économique catastrophique. Durant cette période troublée, la BCE ne pourraient pas agir sans un mandat politique clair des gouvernements de la zone euro.

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