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La relance qui tue : comment la Chine a perverti le keynésianisme et risque d'entraîner le monde dans sa prochaine grande crise financière et économique
©STR / AFP

Shadow banking

Dans un article de Bloomberg, l'économiste Noah Smith critique comment la Chine, depuis la grande récession de 2008, a mené une politique d'investissement dans les entreprises chinoises en incitant les banques nationales à accorder d'avantage de prêts et comment nombre de ces entreprises n'arrivent plus, aujourd'hui, à rembourser leur crédit.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Atlantico : Quelle est, actuellement, la situation économique en Chine?

Jean-Paul Betbeze : La Chine est une économie… très politique. Ainsi, quand la « Grande récession mondiale », mais d’origine américaine, atteint la Chine en 2008, cette dernière a immédiatement réagi par le développement du crédit, afin de soutenir la croissance par la demande interne. Cette réaction est en fait la poursuite de la politique de la forte croissance chinoise par l’exportation, quand l’exportation n’est plus possible ! Cette politique de croissance économique est fondamentale pour la stabilité politique du pays. Elle commence avec Deng Xiao Ping, en contradiction avec les années Mao (Voir Les 100 mots de la Chine, André Chieng, Jean-Paul Betbeze, PUF, 2010, coll. Que-sais je ? n°3865, trad. en japonais).

Politiquement en effet, après Mao, il ne paraissait plus possible d'offrir aux masses chinoises une croissance aussi faible, avec un niveau de vie de pays peu développé, même égalitaire, le tout sans démocratie. Le choix de Deng Xiao Ping (1978) a donc été l’ouverture, pour la croissance, même si le capitalisme, les grandes entreprises et les inégalités allaient en profiter pour entrer – aussi ! L’essentiel est la croissance qui permet la stabilité sociale, donc politique.

Bien sûr, cette croissance par l'exportation n’a été possible que grâce à l'entrée de la Chine dans l'OMC en 2001 (après 14 années de négociations). Ainsi, avec une main-d'œuvre très abondante et pas chère, plus avec un taux de change faible, la Chine a connu une longue série d’années de croissance au-delà de 10%, sans exemple historique pour un pays aussi important. Ajoutons que ceci a permis aussi aux pays industrialisés de poursuivre leur propre croissance, notamment les Etats-Unis, en important des biens peu coûteux, la Chine recyclant en même temps ses excédents en bons du trésor, notamment américains. Gagnant gagnant ?

Ainsi, quand la croissance chinoise par l’export se met à faiblir, avec la crise mondiale, la stratégie chinoise change et met l’accent sur la satisfaction de la demande interne. Cette réaction implique deux sources de financement : des crédits à des entreprises publiques qui doivent devenir plus efficaces (sans trop licencier) et se reconvertir, face à la nouvelle donne mondiale, plus des crédits à de nouvelles entreprises, dans la consommation et la distribution notamment. Mais on comprend que ces crédits aux entreprises publiques ne sont pas nécessairement sains, sans oublier ceux faits pour divers « grands travaux », dont certains ne sont pas nécessairement utiles ou de bonne qualité (corruption ?). Bref, la montée des crédits publics a permis de soutenir la croissance (et l’emploi) lors du passage à la nouvelle politique économique, nommée « la nouvelle normalité » (the new normal), mais au prix de plus de crédits, plus douteux, sans qu’ils soient reconnus comme tels.

Au total, la croissance chinoise a ralenti, passant de 10% du temps de la croissance par l’export à 6,9% actuellement. Comme par hasard, ce chiffre est celui prévu par le Plan, entre 6,5 et 7% : on comprend bien, aussi, à quel point il est soumis à caution. Dit autrement, la situation économique chinoise est celle d’une croissance officielle conforme au Plan quinquennal, avec des avancées risquées financées à crédit pour la « croissance par la demande interne » et des prolongations et reconversions plus que risquées, pour s’adapter aux changements de la « croissance par la demande externe ».

Quels ont été les torts du gouvernement chinois depuis 2008 dans sa gestion de la récession?

« Torts », c’est en réalité la politique, toujours. C’est la poursuite de l’ancienne politique de croissance par l’export, autant que possible, plus celle de la « nouvelle normalité », à lancer. Crédits + Crédits, pour que la croissance par l’interne prenne le relais et minimise les coûts sociaux de la transition, des millions de chômeurs, avec les risques sociaux associés. Sur ordre, les quatre grandes banques chinoises publiques (Agricultural Bank of China, Bank of China, China Construction Bank et Industrial and Commercial Bank of China) ont ainsi fait d’importants crédits. Puis, pour rééquilibrer leurs ratios crédit/dépôts, elles ont dû attirer des dépôts des particuliers en augmentant les conditions offertes, ce qui a mis les banques petites et moyennes en difficulté. Celles-ci ont alors émis des bons pour se financer, cher, vendus à leurs clients (particuliers ou assurance vie) et alimentant ainsi le shadow banking. C’est ainsi que naît un recyclage particulièrement dangereux de financement coûteux des banques petites et moyennes, donc fragiles, et qui alimente un shadow banking dont l’importance inquiète tout le monde.

En même temps, la Chine se lance dans une nouvelle politique internationale de « grande puissance des pays émergents ». Elle lance « la banque des BRICS », soutient la stratégie chinoise OBOR (One Belt One Road) entre Chine et Europe, par train et mer. Pour cela, elle finance des banques de développement qui vont financer des crédits à long et très termes, en concurrence de fait avec la Banque mondiale. Là encore, elle prend et garantit plus de risques.

Enfin, la Chine développe une politique d’internationalisation de sa monnaie, maintenant que le Yuan est admis dans le DTS du FMI. C’est une politique de longue haleine, où le Yuan serait de plus en plus la monnaie de transaction des pays émergents, plus une monnaie de réserve, en attendant d’être la monnaie d’évaluation du pétrole. Mais vouloir que le Yuan s’internationalise, c’est vouloir aussi le stabiliser. Ceci conduit la Chine à freiner (parfois violemment) les investissements étrangers des entreprises chinoises et à attirer les capitaux extérieurs, pour qu’ils bénéficient du marché domestique chinois et aussi le financent.

La Chine développe ainsi, depuis la récession américaine de 2008, une accélération de sa politique de croissance par la demande interne, avec des « grands travaux », plus le prolongement des activités liées à son « ancienne » politique de croissance par l’export, plus sa politique de leader des émergents. Pas de surprise donc si les crédits montent par rapport au PIB. Leur progression moyenne annuelle réelle a ainsi été de l’ordre de 15% depuis 2012, bien plus sur la durée que les autres émergents. Le ratio crédit/PIB dépasse ainsi 2,2, contre 0,65 pour la Turquie, 0,5 pour l’Inde et la Russie ou 0,45 pour l’Inde !

Le FMI et la BRI ont beau avertir du risque de crédit chinois face à un brusque ralentissement économique, un choc de taux longs venant des Etats-Unis ou de zone euro, rien n’y fait. Les crédits chinois sont importants et opaques et la « politique monétaire » chinoise ne passe pas par les taux, mais plus par des mesures administratives voire politiques, sinon judicaires… Ce sont ces éléments qui nourrissent l’inquiétude, mais pas plus – et ceci même jusqu’aux réunions du G20. Tout le monde a ainsi une idée de l’ampleur du problème et du risque, en ajoutant que les moyens de l’atténuer existent, notamment les réserves chinoises, mais en oubliant que si la Chine vend ses réserves de bons du trésor, essentiellement américains, il faudra bien que « quelqu’un » les achète !

En prêtant à tout va à des sociétés publiques et privées sans se soucier suffisamment de leur productivité, le gouvernement chinois n'a-t-il pas, quelque part, perverti le keynésianisme?

Le keynésianisme est déjà un financement pervers de l’économie ! Mais celui-ci est terriblement risqué. Le financement pervers de l’économie chez Keynes passe par la création de monnaie qui permet d’embaucher des salariés et qui fait monter les prix. Cette inflation n’est pas perçue par les salariés, première perversion, victimes de « l’illusion nominale » qui réduit ex post leur revenu réel, puis par les détenteurs d’obligations à taux fixe. C’est là « l’euthanasie des rentiers », deuxième perversion s’il en est. Mais, dans le cas chinois, le risque est macroéconomique et potentiellement mondial, pouvant mettre en difficulté les petites et moyennes banques du pays, puis les grandes banques publiques, puis…. La Chine est la deuxième économie du monde, surendettée, opaque. On comprend qu’elle entend poursuivre sa croissance pour des raisons politiques, mais il est à souhaiter que l’économie ne se venge pas.

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