La réalité virtuelle démystifiée : les atouts d’une technologie innovante dans le domaine de la santé, de l’éducation et pour le monde du travail <!-- --> | Atlantico.fr
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réalité virtuelle casque technologie éducation santé formation entreprise aide réalité augmentée
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©XAVIER LEOTY / AFP

Bonnes feuilles

Indira Thouvenin et Romain Lelong publient "La réalité virtuelle démystifiée : Principe - Interfaces - Applications – Perspectives" aux éditions Eyrolles. Les auteurs expliquent comment répondre aux enjeux économiques et sociétaux de cette technologi. Extrait 2/2.

Indira Thouvenin

Indira Thouvenin

Experte en réalité virtuelle, Indira Thouvenin enseigne depuis 20 ans cette discipline à l’UTC (université de technologie de Compiègne), tout en menant en parallèle des travaux de recherche au laboratoire UMR CNRS Heudiasyc. Elle a été présidente de l’AFRV (Association française de réalité virtuelle, augmentée, mixte et d’interaction 3D) durant quatre ans.

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Romain  Lelong

Romain Lelong

Romain Lelong est cofondateur et directeur général de la société Reviatech SAS, spécialisée en réalité virtuelle pour la formation dans l’industrie et très innovante via des collaborations avec des universités et des centres de recherche. Il a en outre enseigné la réalité virtuelle à l’École navale et dans plusieurs autres établissements.

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Une utilisation assez surprenante de la réalité virtuelle est liée au bien-être, créant un contraste entre des concepts d’apaisement, de naturel… et une technologie très moderne.

Dans un monde pouvant être perçu comme agressif ou oppressant, la réalité virtuelle peut offrir en effet un espace privé et coupé du monde, où l’on pratique des activités de relaxation ou de maîtrise de ses émotions, soit dans un contexte domestique, soit dans le cadre d’activités de yoga, par exemple.

Guided Meditation VR™ ©  Cubicle Ninjas

L’application Guided Meditation VR permet de se « téléporter » dans des lieux exceptionnels pour se relaxer.

Ces applications peuvent plus spécifiquement viser des besoins médicaux. Dans le cadre d’une thérapie cognitive ou d’activités de recherche en psychologie, le virtuel apporte un outil très pertinent pour créer des situations spécifiques, et ainsi apporter aux patients des stimuli contrôlés et dirigés de façon à les faire progresser. On peut ainsi modérer l’exposition à un contexte réel via le virtuel, soit à travers la prise de conscience que l’expérience virtualisée est sans conséquences malgré sa crédibilité, soit grâce à un dosage précis de l’exposition à la situation problématique. Dans le cadre du traitement des phobies, par exemple, la possibilité de faire varier chaque aspect d’un stimulus qui pourrait créer une détresse chez le patient permet de mieux comprendre les mécanismes à l’œuvre, découper en éléments acceptables un événement qui aurait été insurmontable et progresser vers une résolution.

Depuis quelques années, la réalité virtuelle apporte aussi son aide dans les troubles autistiques et les syndromes post-traumatiques. Elle propose de moduler l’exposition sociale des utilisateurs pour les préparer à de futures situations ou leur permettre d’échanger avec d’autres dans un contexte sécurisé. Par exemple, l’application Floreo VR permet de mettre en scène une expérience qu’un enfant vivra à son propre rythme : traverser une route, discuter avec un camarade, sonner aux portes le soir d’Halloween, etc.

De manière générale, dans la compréhension de processus sociaux ou cognitifs, la réalité virtuelle permet de contrôler séparément les multiples aspects d’une stimulation et de mieux identifier la véritable raison de l’apparition d’un comportement, en s’émancipant de la grande quantité de paramètres qui peuvent l’influencer dans le monde réel.

Projet ANR-16-CE39-003 : Réduire les préjugés à travers l’approche de la cognition incarnée et située : prise en compte du corps et de son contexte – ESPRIT publiés dans Nuel I., Fayant M-P., and Alexopoulos T. (2019). “Science Manipulates the Things and Lives in Them”: Reconsidering Approach-Avoidance Operationalization Through a Grounded Cognition Perspective. Front. Psychol. 10:1418. doi: 10.3389/fpsyg.2019.01418

L’université Paris VI utilise la réalité virtuelle pour évaluer la manière dont on perçoit ses interlocuteurs selon leur comportement (application développée par Reviatech SAS).

Depuis longtemps, la réalité virtuelle est également utilisée pour faire diversion à la douleur. La perception de cette dernière étant en partie subjective, proposer une activité réclamant de la concentration à une personne recevant des soins aide à les rendre plus supportables. Notamment pour les patients limités dans leurs mouvements, alités ou contraints par leurs blessures, la réalité virtuelle offre par la même occasion un nouvel horizon au-delà de leur chambre d’hôpital. Même sans faire de gestes complexes, on pourra voler comme un oiseau, visiter de grands espaces depuis un véhicule ou utiliser l’orientation de la tête ou des yeux pour viser des objets et interagir avec eux.

De manière surprenante, la suggestion de certaines sensations apporte également un plus. On peut ainsi mentionner le projet SnowWorld, qui voit le jour dès les années 1990. Il permet aux grands brûlés, souffrant lors des soins qui leur sont prodigués, de berner partiellement leur perception de la température. Ils peuvent ainsi visiter virtuellement un monde de glace, être impliqués dans une bataille de boules de neige avec des pingouins ou autres adversaires arctiques, et focaliser leur attention sur autre chose que leur propre corps. Ces illusions conduisent à créer une sorte de moyenne entre le froid intense que leur perception visuelle infère et la chaleur ressentie par leurs brûlures.

Image par Ari Hollander et Howard Rose © Hunter Hoffman, www. vrpain.com (gauche)

© Hunter Hoffman, www.vrpain.com (droite)

L’application SnowWorld s’appuie sur la réalité virtuelle dans les salles de soins pour faire diversion à la douleur.

L’ÉDUCATION

En règle générale, on observe dans l’éducation une séparation nette entre les phases de documentation, de leçon et de mise en pratique, qui sont traditionnellement contraintes par la façon d’accéder à la connaissance, respectivement devant un livre, dans une salle de classe ou lors d’une séance de travaux pratiques, par exemple. Or le virtuel permet d’effacer toutes ces distinctions, en proposant une approche pédagogique plus dynamique qui combine ces trois aspects en une expérience tutorée personnalisée.

Présenter une notion à des élèves n’est pas toujours facile avec un support 2D, et commencer un cours en transposant en virtuel une expérience de la vie de tous les jours ou un cas d’étude concret facilite l’entrée en matière. On peut alors tout de suite expérimenter et manipuler les paramètres de l’expérience, un contenu pédagogique nous guidant au travers des étapes d’une découverte que l’on a l’impression de faire soi-même, plutôt que d’écouter passivement un cours magistral. Le principe de « laboratoire virtuel » prend alors tout son sens, surtout quand on imagine le coût des équipements réels ou les risques liés à une utilisation aussi libre.

©  Labster.com Online Science Laboratory Simulator

Labster est un laboratoire virtuel qui permet à tous d’expérimenter les sciences les plus pointues.

La scénarisation dynamique permet également d’envisager un parcours différent pour chaque élève, et des ponts avec l’intelligence artificielle seront particulièrement pertinents pour suggérer et apporter des contenus au bon moment.

Il faut bien sûr conserver un lien social dans ces activités, car imaginer des sessions où chacun serait accompagné d’un tuteur numérique sans conserver le rapport privilégié avec le professeur ou avec les autres apprenants serait dommage. Ainsi, soit depuis la même pièce via des équipements de réalité virtuelle (ou augmentée) permettant des échanges immédiats entre participants, soit à distance par un système de travail collaboratif, on peut imaginer, par exemple, construire des maquettes d’éoliennes à plusieurs, nager dans les vaisseaux sanguins du corps humain ou gambader dans le système solaire par petits groupes. Et pourquoi ne pas se lancer des molécules les uns sur les autres pour découvrir et comprendre les réactions chimiques ? Le rôle de certains apprenants peut aussi sortir du lot si on leur accorde quelques pouvoirs exceptionnels comme modifier la réalité, paramétrer l’exercice ou guider leurs camarades. Ne dit-on pas qu’enseigner soi-même quelque chose aux autres est la meilleure façon d’apprendre ?

Overview: a Walk through the Universe © ICEBERG/ Orbital Views

Marchez tel un géant au milieu du système solaire et visualisez les orbites des planètes avec l’application Overview.

LE MONDE DES ENTREPRISES

Même si les entreprises utilisent depuis longtemps la réalité virtuelle, il a fallu attendre l’avènement des casques immersifs abordables et leur appropriation par le grand public pour rassurer les donneurs d’ordre, baisser les coûts et faire oublier le côté gadget de toute innovation de ce type.

LES ACTIVITÉS CRITIQUES

Le premier grand point fort de la réalité virtuelle est son coût presque toujours fixe, quoi que l’on représente dans le casque ou le CAVE™, ou le nombre de fois que l’on veuille rejouer une situation. On n’hésitera donc pas à mettre en danger – virtuellement – humains, environnement et équipements. Très prisé par les domaines militaire, nucléaire et spatial, le virtuel est ainsi partiellement utilisé pour la mise en situation et l’entraînement aux tâches les plus sensibles, dans la continuité des nombreuses heures de simulateur qui étaient précédemment réalisées sur des équipements physiques spécialement modifiés. L’intérêt d’être passé en virtuel est, au-delà du réalisme augmenté concernant l’immersion, l’accès à une grande variété de situations pouvant être représentées, ainsi que le déclenchement instantané des scénarios, sans temps de préparation ni de réglage préalables.

Shutterstock - © ismailyurtozveri35

Simulation de saut en parachute, pour la formation ou le loisir.

Dans le secteur médical, une culture de formation par simulation est également très présente car elle permet de s’entraîner à reproduire un geste médical, en respectant le principe de ne jamais avoir à le réaliser pour la première fois sur un vrai patient. Autant on imagine aisément des simulateurs de chirurgie pour la répétition d’un geste précis, il s’agit aussi, et surtout, de préparer le déroulé d’une intervention ainsi que tous les aspects non techniques qu’elle comporte (étapes, dérives possibles, choix des instruments, communication avec son équipe, prises de décision dans les cas difficiles). Par exemple, il est possible d’utiliser le virtuel pour le triage de blessés, une situation éprouvante pour laquelle il est difficile de former autant de personnes qu’il le faudrait.

© Victeams Project et Reviatech SAS

Étude de la formation aux compétences non techniques avec le projet de recherche VICTEAMS, où l’on coordonne médecins et infirmiers pour superviser l’afflux de blessés dans un hôpital de campagne (prototype développé par Reviatech SAS).

Mentionnons également les appareils d’analyse utilisés dans le médical, de plus en plus complexes à manipuler et pour lesquels la formation à l’usage peut bénéficier de mises en situation réalistes. On peut ainsi profiter de la réalité virtuelle pour mieux former à chaque geste impliqué dans une tâche critique, et pour organiser des «  répétitions générales  » avant une intervention réelle pour bien mémoriser le séquencement des étapes et leurs spécificités.

LA FORMATION

Au-delà de l’entraînement à des tâches particulièrement exigeantes, le virtuel est également très intéressant pour la formation professionnelle au sens large.

En effet, en raison des coûts d’organisation des formations, les apprenants n’acquièrent bien souvent que des compétences se limitant à leur périmètre professionnel. C’est pourquoi de plus en plus de sociétés, même de petite taille, proposent aux nouveaux arrivants « un tour virtuel de l’entreprise » afin de leur faire découvrir l’ensemble de leur activité.

Il s’agit d’une logique de sensibilisation qui renforce la culture d’entreprise, proche de ce qui existe déjà avec les « accueils sécurité » que chaque intervenant, interne ou externe, devra suivre pour se familiariser avec les pratiques d’un site industriel. Le virtuel permet d’accéder à ce type de contenu à la carte et, surtout, sous une forme bien plus engageante que trois heures de présentation PowerPoint agrémentées de quelques vidéos. Grâce à la réalité virtuelle, les employés pourront endosser successivement plusieurs fonctions dans l’entreprise et mieux en percevoir le contexte. On utilisera aussi ce type de contenu lors des recrutements, pour faire découvrir les différents postes aux candidats, estimer leur intérêt pour un travail donné et déceler des talents particuliers avant même la phase de formation.

Pôle emploi expérimente ainsi ce concept avec plusieurs outils virtuels, dont l’un d’eux est destiné aux candidats au poste d’employé libre-service chargé de s’occuper de la mise en rayon et de la gestion des stocks. Il s’agit d’un module virtuel à triple objectif : découvrir le métier pour les candidats, évaluer les compétences des embauchés pour les entreprises et déceler de nouveaux talents pour les conseillers Pôle emploi.

La formation technique est aussi très pertinente en réalité virtuelle, car les connaissances liées à ces métiers sont difficiles à enseigner « sur papier ». Sans virtuel, on pratique le compagnonnage pour former un opérateur à utiliser un équipement, ce qui implique de réquisitionner les machines de production à perte pour la formation, mais également de solliciter un autre opérateur et/ou un formateur pendant un temps significatif. De l’énergie et des matières premières sont alors gaspillées, le matériel (voire l’opérateur) peut courir des risques, sans oublier que la formation sera forcément partielle puisque tous les cas spécifiques ou rares d’une activité n’auront pas pu être abordés en quelques semaines.

Avec le virtuel, on peut bien mieux maîtriser la formation : dérégler la machine à volonté, former l’opérateur au diagnostic, le tester sur sa bonne mise en pratique du procédé ou optimiser les objectifs qualité via une production virtuelle préliminaire, et ce, avant même de toucher une véritable machine. Bien sûr, une courte phase de formation sur machine réelle sera intéressante ensuite, mais la majorité des connaissances et compétences aura été déjà acquise en une fraction du temps qu’aurait nécessité un compagnonnage.

A lire aussi : Les promesses d’une rupture technologique grâce au déferlement des casques de réalité virtuelle

Extrait du livre de Indira Thouvenin et Romain Lelong, "La réalité virtuelle démystifiée : Principe - Interfaces - Applications – Perspectives", publié aux éditions Eyrolles.

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