La peur du Covid, un moyen de contrôler les populations, vraiment ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Santé
Une personne se fait vacciner contre la Covid-19 en Espagne.
Une personne se fait vacciner contre la Covid-19 en Espagne.
©JOSE JORDAN / AFP

Propagande ?

Des études comportementales montrent que les gens les plus angoissés par le Covid seraient à l’inverse plus enclins à se tourner vers le complotisme.

Florian  Cova

Florian Cova

Florian Cova est professeur en philosophie à l’université de Genève. @CovaFlorian

Voir la bio »

La version originale de cet article a été publiée sur le blog du projet EPANCOPI. Le projet EPANCOPI est un projet de recherche visant à étudier les problèmes éthiques soulevés par la pandémie de COVID-19 tout en informant le débat public sur ces questions.

Fin Décembre 2021, le site QG-Media (qui se décrit lui-même comme un média audiovisuel en ligne “libre”) faisait paraître une longue tribune intitulée “Une nouvelle religion vaccinale est née en occident”. Dans cette tribune, les auteurs accusent le gouvernement français de faire usage d’une “propagande de masse” afin d’imposer la vaccination à sa population. L’un des rouages de cette propagande ? La peur ! En effet, à croire les auteurs de la tribune, la peur “permet de placer les sujets en état de suggestibilité”.

L’idée selon laquelle le gouvernement français se servirait de la peur de la COVID comme d’un instrument de contrôle afin de faire taire les voix dissidentes et d’imposer ses décisions n’est pas limitée à cette tribune. En fait, celle-ci ne fait que reprendre une idée déjà bien répandue dans les sphères complotistes. Il s’agit par exemple de l’un des thèmes principaux du film Hold-Up. En effet, on peut y entendre Etienne Chouard expliquer les (supposées) techniques de manipulation du gouvernement : terroriser la population avant de se présenter comme protecteur. Plus récemment, le chercheur en psychologie Jay van Bavel a été victime de cyber-harcèlement pour avoir qualifié d’infondée l’idée de “psychose de masse” (mass formation psychosis) avancée par le biologiste Robert Malone. Selon Malone, le succès de la vaccination et le fait que la plupart des gens s’accordent à dire que les vaccins sont sûrs s’expliquerait par une sorte d’hypnose de masse, provoquée par la peur. 

À Lire Aussi

Omicron, le passe vaccinal exigible et les élections

Mais cette idée est loin de se cantonner à la sphère complotiste. La tribune de QG-Media a été signée par plusieurs universitaires et on peut retrouver des idées proches dans des médias plus traditionnels. Ainsi, dans Causeur, le sociologue Michel Maffesoli nous explique que “la peur de la mort n’empêche pas de mourir, mais de vivre” (c’est beau !) et que “la crise du Covid est utilisée comme une tentative d’imposer une tyrannie sanitaire, mais on peut constater, au-delà ou en deçà de la servitude volontaire imposée par la peur, un grand nombre de révoltes.” Dans le Figaro, le géographe Christophe Guilluy explique doctement que “ces peurs permettent à des gouvernements impuissants de rabattre vers eux les citoyens qui ne votent plus par adhésion, mais par crainte de l’apocalypse. Il n’y a aucune adhésion au macronisme, juste un vote de peur.”

Autrement dit : la peur aurait des effets psychologiques qui empêcheraient les citoyens de remettre en question la politique du gouvernement et la “version officielle” que celui-ci véhicule, avec la complicité des médias traditionnels.

Cette thèse est séduisante pour ceux qui s’opposent aux mesures sanitaires ou à la version officielle promue par les autorités politiques et scientifiques.(1) Comme discuté dans mon précédent billet, réduire les théories adverses à une réaction irrationnelle motivée par la peur est une façon efficace et psychologiquement satisfaisante de les discréditer.

Il s’agit, en outre , d’une théorie psychologique sur les effets de la peur du COVID. Bien qu’on puisse être tenté d’y voir de la psychologie de comptoir plutôt qu’une véritable construction scientifique, il est tout de même possible d’en tirer des prédictions :

À Lire Aussi

Et la méta analyse des confinements à travers la planète montre qu’ils… n’ont quasiment pas réduit la mortalité Covid
  1. La peur du COVID pousse les gens à adhérer à la version officielle proposée par le gouvernement et les diverses institutions scientifiques officielles.
  2. Il est plus effrayant de s’informer sur la COVID via des médias traditionnels que via des sources alternatives.

Ces deux prédictions sont-elles vérifiées ?

A contre-pied de la première prédiction, on pourrait faire l’hypothèse que la peur du coronavirus conduit justement les individus à s’écarter de la version officielle pour adopter des alternatives, par exemple les fameuses “théories du complot”. Pour plusieurs psychologues spécialisés dans l’étude des théories du complot, certaines personnes adhèrent aux théories du complot précisément parce qu’elles ont peur. En fournissant une explication simple et “clé en main” des événements anxiogènes qui font l’actualité, les théories du complot, de ce point de vue, constituent un moyen de se rassurer en se persuadant de savoir et de comprendre ce qui se passe. A l’appui de cette hypothèse, on peut citer des recherches dont les résultats suggèrent que les périodes de crises favorisent l’apparition et la diffusion de théories du complot ou que l’adhésion aux théories du complot est plus marquée chez les personnes anxieuses.

Pour trancher entre ces deux possibilités, nous pouvons convoquer les résultats d’enquêtes réalisées au cours de la pandémie par des chercheurs en sciences humaines et sociales, en particulier en psychologie.(2)

L’équipe de Jakub Šrol a mené une étude dans laquelle ils ont demandé à des participants slovaques de rapporter (i) leur degré d’adhésion à différentes théories du complot concernant la COVID-19, (ii) leur niveau de confiance aux institutions politiques et (iii) leur sentiment d’anxiété et d’impuissance au sujet de la pandémie. Leurs résultats indiquent que l’anxiété et le sentiment d’impuissance prédisaient positivement l’adhésion aux théories du complot et négativement la confiance dans les institutions. Autrement dit : la peur et le sentiment d’impuissance devant la COVID sont liées à une adhésion accrue à un point de vue qui s’eloigne de la version officielle.(3)

À Lire Aussi

Traitements anti-Covid : derniers ratés de la gestion de la pandémie

Et en France ? Dans une étude datant d’Avril 2020 que j’ai menée en ligne avec Joffrey Fuhrer et dans laquelle la plupart des participants étaient français, nous avons étudié les facteurs qui prédisaient la confiance en Didier Raoult et en l’hydroxychloroquine. Nous avons, en parallèle, mesuré d’autres variables telles que la croyance en des théories du complot concernant la pandémie, ainsi que la peur de la COVID. Nous avons ainsi observé une corrélation faible, mais positive entre la peur rapportée par les participants et leur tendance à accepter des théories du complot concernant la COVID-19. De plus, nous avons aussi pu observer une faible corrélation entre peur de la COVID et confiance en Didier Raoult.(4)

Ces résultats semblent indiquer qu’une plus grande anxiété face à la COVID est liée à une moins grande adhésion à la version officielle. Mais s’agit-il vraiment là d’un lien de cause à effet ? Peut-on dire que la peur de la COVID entraîne une plus grande adhésion aux théories du complot concernant la pandémie ?

Dans une étude parue récemment, les psychologues Luisa Liekefett, Oliver Christ et Julia Becker ont suivi plus de 1000 participants allemands sur une durée de quatre mois (entre Septembre 2020 et Mai 2021). Pour chaque participant, ils ont mesuré à intervalles réguliers leur adhésion aux théories du complot, leur anxiété, leur sentiment d’être en danger et leur aversion à l’incertitude. En plus de confirmer la tendance, chez les personnes plus anxieuses, à adhérer aux théories du complot, cette étude montre que le fait de croire à ces théories du complot ne réduisait pas leur anxiété… et ne faisait donc rien pour les rassurer.(5)

Pris ensemble, ces résultats suggèrent que la version officielle portée par les hommes politiques et les médias traditionnels tend à être moins anxiogène que des discours “alternatifs”.

Une autre façon de tester le lien de causalité entre peur de la COVID et adhésion aux théories du complot est tout simplement… de susciter la peur de la COVID. C’est ce qu’on fait Chiara Jutzi et ses collègues dans une étude menée en 2020. Certains participants devaient lire un texte de l’OMS “inquiétant”, qui indique l’absence de traitement efficace contre la COVID-19. Les autres participants, constituant le groupe contrôle, devaient lire un texte qui n’avait aucun rapport avec la pandémie. Les expérimentateurs ont rapporté que le groupe “test” (qui avait lu le texte de l’OMS) était plus réceptif aux arguments complotistes que le groupe contrôle et que cet effet était dû à un sentiment de menace plus élevé.

Mis ensemble, ces résultats battent en brèche l’idée que la peur de la COVID pousse à se conformer docilement à la version officielle.

Que dire maintenant de la deuxième prédiction : l’idée selon laquelle les médias traditionnels travailleraient de concert avec le gouvernement pour mieux instiller la peur dans la population ?

De Coninck et ses collègues ont mené une étude dans laquelle ils ont interrogé entre Mai et Juin 2020 plus de 8000 adultes issus de huit pays différents (Angleterre, Belgique, Canada, Etats-Unis, Hong Kong, Nouvelle-Zélande, Philippines et Suisse). Ils ont demandé aux participants de rapporter (i) leur degré de croyance en certaines théories du complot et fausses informations concernant la COVID-19, (ii) leur niveau d’anxiété et de dépression et (iii) les sources d’information auxquels ils s’exposaient et faisaient le plus confiance au sujet de la pandémie. Leurs résultats n’ont révélé aucune association robuste entre anxiété et croyances aux théories du complot et aux fausses informations, ce qui contraste avec les résultats des études rapportées ci-dessus.(6) Ils ont, par contre, observé que l’adhésion aux théories du complot et aux fausses informations était positivement corrélée avec le sentiment de dépression.

Plus important encore, leurs résultats indiquent que le fait de s’informer via des médias numériques et des proches, plutôt que des médias traditionnels et des experts en santé, était associé (a) à une adhésion accrue aux théories du complot et aux fausses informations concernant la COVID-19 et (b) à de plus forts sentiments d’anxiété et de dépression. Ces résultats suggèrent que les médias numériques et alternatifs seraient plus anxiogènes que les médias traditionnels. Cette étude souligne aussi que le discours exprimé par des hommes politiques était généralement plus rassurant que celui exprimé par des experts de santé.(7) En fait, d’un point de vue statistique, les sentiments d’anxiété et de dépression rapportés par les participants agiraient comme un médiateur entre l’exposition aux sources d’informations alternatives et l’adhésion aux théories du complot. Les émotions négatives suscitées par ces médias conduiraient ainsi à s’éloigner de la version officielle. Pris ensemble, ces résultats suggèrent que la version officielle portée par les hommes politiques et les médias traditionnels tend à être moins anxiogène que des discours “alternatifs”.

Jusqu’ici je me suis concentré sur les théories du complot, principalement parce qu’il s’agit des visions “alternatives” pour lesquelles il existe le plus de recherches. Mais, intéressons-nous plutôt à l’opposition au vaccin, dont nous étions partis. Une étude récente sur plus de 1700 allemands s’est penchée sur le lien entre anxiété et vaccination. Cette étude conclut que la peur ne caractérise pas plus ceux qui acceptent de se vacciner que ceux qui s’y refusent. Il faut en fait distinguer entre différents types de peur : si la peur des conséquences de la COVID pour la santé prédit effectivement une plus grande tendance à se vacciner, la peur des conséquences économiques et sociales de la COVID prédit, en revanche, le refus de se faire vacciner. Quant au niveau d’anxiété général, il n’était lié à aucun de ces deux comportements en particulier.

Que pouvons-nous conclure de ces études ? Tout d’abord que l’idée selon laquelle les gouvernements instilleraient volontairement la peur de la COVID pour asservir mentalement leur population et leur “laver le cerveau” ne semble pas correspondre à la réalité. En fait, les données peuvent suggérer un scénario inverse, dans lequel les théories du complot constituent un refuge pour les personnes que la COVID terrifie. Après tout, nombre de ces théories suggèrent que la COVID n’est pas aussi dangereux qu’on veut le faire croire : soit il n’existe pas, soit il n’est pas dangereux, soit il existe des traitements efficaces (que le gouvernement nous cache, bien entendu).(8) L’idée selon laquelle la peur de la COVID nuirait à l’esprit critique et pousserait par conformisme à adhérer à la version officielle ne résiste pas à l’examen. Autrement dit : cette hypothèse n’est donc pas scientifiquement valide. On ne peut donc que déplorer que des universitaires aient signé une tribune colportant des propos relevant de la pseudo-science.

La version originale de cet article a été publiée sur le blog du projet EPANCOPI. Le projet EPANCOPI est un projet de recherche visant à étudier les problèmes éthiques soulevés par la pandémie de COVID-19 tout en informant le débat public sur ces questions.

Notes

(1) L’idée selon laquelle il existerait, au sujet de la COVID-19, une “version officielle” sur laquelle s’accorderait le gouvernement et le consensus scientifique pourra sembler étrange à tous ceux qui se désolent du décalage entre les mesures gouvernementales et les recommandations des scientifiques. Je suis d’accord avec eux. Néanmoins, je fais comme si une telle version existait afin de discuter plus simplement la théorie sur laquelle porte ce billet.

(2) Du fait que la quasi-totalité de ces études portent sur les théories du complot, c’est sur ce sujet que me concentrerai, même si toutes les alternatives à la supposée “version officielle” ne relèvent pas nécessairement des théories du complot.

(3) Il faut noter que le lien entre anxiété et croyance aux théories du complot devenait non-significatif une fois le sentiment d’impuissance pris en compte, ce qui n’est pas étonnant étant donné qu’anxiété et sentiment d’impuissance étaient fortement corrélés.

(4) Sans surprise, le fait de faire confiance à Didier Raoult était positivement associée au fait d’adhérer aux théories du complot concernant la COVID-19.

(5) Dans une autre étude portant sur une durée de deux semaines, les mêmes auteurs ont même observé qu’adhérer aux théories du complot contribuait à augmenter les sentiments de crainte et de menaces des participants. Cependant, comme ces résultats n’ont pas été retrouvés dans l’étude portant sur une durée de quatre mois, je ne les prend pas en compte dans mon argument.

(6) L’absence de lien observé entre anxiété et théories du complot (qui contraste avec les résultats cités plus haut) peut être expliqué de différentes façons : la population étudiée n’était pas la même, les théories du complot utilisées étaient différentes, ou il s’agit tout simplement d’un hasard d’échantillonnage. La période temporelle peut aussi jouer un rôle important.

(7) Le fait que, dans cette étude, le discours des hommes politiques ait été rassurant alors que celui des experts en santé était plutôt anxiogène montre bien le décalage entre les deux milieux et à quel point l’idée d’une “version officielle” qui rassemblerait politiques et scientifiques peut être une illusion.

(8) Mais, si ces théories conduisent à croire que la COVID n’est pas aussi dangereux qu’il en a l’air, pourquoi adhérer à ces théories ne semble pas contribuer à diminuer l’anxiété ? Une réponse possible est que ces théories fournissent de nouveaux sujets d’anxiété, sous la formes de gouvernements et d’élites malveillantes.

Références

De Coninck, D., Frissen, T., Matthijs, K., d’Haenens, L., Lits, G., Champagne-Poirier, O., … & Généreux, M. (2021). Beliefs in conspiracy theories and misinformation about COVID-19: Comparative perspectives on the role of anxiety, depression and exposure to and trust in information sources. Frontiers in Psychology12.

Douglas, K. M., Sutton, R. M., & Cichocka, A. (2017). The psychology of conspiracy theories. Current Directions in Psychological Science26, 538–542.

Fuhrer, J., & Cova, F. (2020). “Quick and dirty”: Intuitive cognitive style predicts trust in Didier Raoult and his hydroxychloroquine-based treatment against COVID-19. Judgment & Decision Making15(6), 889-908.

Jutzi, C. A., Willardt, R., Schmid, P. C., & Jonas, E. (2020). Between conspiracy beliefs, ingroup bias, and system justification: How people use defense strategies to cope with the threat of COVID-19. Frontiers in Psychology11.

Liekefett, L., Christ, O., & Becker, J. C. (à paraître). Can Conspiracy Beliefs Be Beneficial? Longitudinal Linkages Between Conspiracy Beliefs, Anxiety, Uncertainty Aversion, and Existential Threat. Personality and Social Psychology Bulletin.

Šrol, J., Ballová Mikušková, E., & Čavojová, V. (2021). When we are worried, what are we thinking? Anxiety, lack of control, and conspiracy beliefs amidst the COVID‐19 pandemic. Applied Cognitive Psychology35(3), 720-729.

PS : le projet ANR Epancopi organise son congrès le 16 et 17 février 2022, à Clermont-Ferrand et simultanément en distanciel, sur Zoom. Vous trouverez toutes les informations à ce sujet ici

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !