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La maladie française de la privatisation pour de mauvaises raisons saisit le gouvernement
©ERIC PIERMONT / AFP

Mauvaise rechute

FDJ, ADP, Engie…Le gouvernement prépare un certain nombre de privatisations.

Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

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FDJ, ADP, Engie… Les privatisations que prépare le gouvernement sont-elles envisagées selon vous pour de bonnes raisons (en rapport avec l'activité de l'entreprise et l'adaptation à son environnement) ou de mauvaises raisons (uniquement pour faire rentrer de l'argent dans les caisses de l'Etat afin de financer notamment le Fonds pour l'innovation)?

La vague de nationalisations de 1982 voulue par le président Mitterrand a produit des effets plus que contrastés voire clairement contestables. Avec un souvenir aussi prégnant, les citoyens et les analystes économiques sont a priori favorables à l'idée d'une campagne de privatisations projetée par le Gouvernement d'Edouard Philippe. Mais nul n'est dupe, si l'Etat présentait un solde budgétaire positif, plutôt qu'un déficit affiché à près de 80 milliards, il n'y aurait pas de privatisations et Martin Vial, dynamique responsable de l'APE ( Agence des Participations de l'Etat ) se contenterait de devoir gérer les conflits potentiels autour de l'actionnariat de Renault ou ceux relatifs à l'évolution globale d'Orange.
Dans le cas que l'actualité nous soumet, il est établi que la disette budgétaire guide les pas de l'Etat au prix de la formulation d'une erreur de droit. En effet, compte-tenu de la règle de non-affectation des ressources budgétaires, le produit des privatisations ira d'abord abonder le budget général de l'Etat avant d'irriguer, éventuellement, le nouveau Fonds pour l'innovation structurelle. En ce domaine, on ferait mieux d'épauler les Instituts Cournot et autres clusters plutôt que de mettre sur pied un " machin " supplémentaire.
C'est terrible ce besoin qu'ont les gouvernements de donner naissance à des Fonds ou à des Agences : j'avais cru comprendre que le FSI ( instauré en 2008 et intégré en 2013 à BpiFrance ) couvrirait bien le domaine qui risque d'être alloué au nouveau Fonds. La décision publique bégaye plus qu'elle ne pose les fondations d'un fonds souverain à la norvégienne. Donc, nous allons assister à des privatisations de circonstances pilotées par le volet Finances plutôt qu'Economie du Minefi. Il y aura les faits par-delà l'habillage cher à Bruno Le Maire et à ses plans com'.

N'est-ce pas là renoncer à des actifs stratégiques ? Le trafic des aéroports de Paris devrait doubler son trafic en dix ans et est déjà le deuxième aéroport d'Europe. N'est-ce pas là se priver de "bijoux de famille" très rentables ? 

Selon les informations disponibles, FDJ serait concernée. La Française des Jeux présente un bilan et un compte de résultat très enviables. Autant dire que l'ouverture de son capital sera un succès. 
Il faut en effet se méfier d'un faux-ami : il y a une profonde distinction entre ouverture du capital et privatisation. Privatiser cela signifie changer le bloc majoritaire de contrôle et quitter une emprise publique au sein du conseil d'Administration.
Ouvrir ou faire " respirer " ( sic ) le capital, c'est céder une fraction des titres détenus par l'Etat et engranger le produit de la cession sans pour autant bouleverser la gouvernance de l'entreprise.
Voir le tableau des participations au 9 Mars 2018 :  https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/agence-participations-etat/Documents/Cotees_du_jour/09_03_18.pdf 
Dans le cas de FDJ, privatisation pure et dure ou ouverture ponctuelle du capital sont envisageables : l'Etat gardant sa mission souveraine de régulateur du secteur des jeux de hasard et de loterie.
Pour ce qui concerne Engie, on sait que le président Macron a validé personnellement le choix de Jean-Pierre Clamadieu comme successeur du président Gérard Mestrallet probablement au grand dam de la directrice générale Isabelle Kocher.
 Il est donc probable que ce parfum de regards convergents – d'aucuns diraient d'entre-soi - ait permis d'arrêter le montant de la future cession. Rappelons que l'Etat détient 24,10% du capital et peut donc céder 20% s'il souhaite retenir une option maximaliste. Concernant Aéroports de Paris, l'Etat détient 50,63% du capital qui est actuellement ainsi réparti :
État : 50,6 %  Schiphol Group : 8,0 %  Vinci Airport : 8% Prédica : 4,8%  Investisseurs institutionnels : 21,4 %  Actionnaires individuels : 5,6 %  Salariés : 1,6 %.
Dans ce cas, le terme de privatisation s'appliquera pleinement et sera consécutive au désengagement partiel de l'Etat intervenu dès 2006. 
Compte-tenu du caractère stratégique de la structure qui est gestionnaire de Roissy et d'Orly, aéroports desservant la capitale et hub vers la province et l'Europe, je ne suis pas convaincu par cette perspective de privatisation. Il serait déraisonnable et naïf de gommer les complications ( le mot est un euphémisme ) de l'exécution du pacte d'actionnaires de l'aéroport de Toulouse et sur le renoncement de l'Etat à la privatisation du fait de divergences stratégiques avec l'actionnaire chinois détenteur de 49,9% du capital et des droits de vote.
Idem pour l'A 380 : il faut se remémorer l'énergie déployée par ADP pour assurer que l'Airbus A 380 puisse être compatible avec les installations de Roissy Charles de Gaulle. Et si un opérateur privé avait dit " niet ", quid du projet Airbus. Quand un pays a la chance de détenir une portion d'une réussite mondiale comme Airbus, on ne bricole pas pour quelques centaines de millions d'euros au détriment possible de l'indépendance nationale. Une structure aéroportuaire n'est pas qu'un empilement d'actifs, c'est aussi un nœud de pouvoirs dans le contexte connu de l'essor impressionnant du transport aérien.
Feu le remarquable universitaire Pierre Bauchet ( Paris 1 ) en a fait la démonstration tant pour les aérogares que pour les ports.

Quels sont les risques pour que les actifs de l'Etat soient mal vendus comme ça a aussi pu être le cas avec les privatisations des autoroutes en 2000 ?

Un certain Dominique de Villepin nous a abreuvé de paroles ( pour ne pas dire plus ) concernant sa soi-disant bonne idée de privatiser les autoroutes. Ceci a été fait à vil prix et est une erreur sans nom comme l'ont montré diverses études économiques et un rapport parlementaire Pancher & Chanteguet de 2014. Formons le vœu que tel ne soit pas le destin d'ADP par ailleurs efficacement présidé par Augustin Beaune de Romanet.
ADP fait partie des externalités positives de notre pays, de ses " major utilities " et devrait être mis en mesure de le rester. L'Etat n'est finalement guère reconnaissant avec ses pépites et sait mieux se mutiler que gérer en bon père de famille. Il faut dire que " la reconnaissance est une maladie du chien non transmissible à l'espèce humaine " comme aimait à le rappeler un vrai banquier d'affaires : Antoine Bernheim ( Lazard Frères ).

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