La génétique rend-elle toute égalité illusoire ? Partie 4 : la criminalité, entre déterminisme et responsabilité individuelle <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Science
La génétique rend-elle toute égalité illusoire ? Partie 4 : la criminalité, entre déterminisme et responsabilité individuelle
©

L'ADN, c'est plus fort que toi

Des gènes pourraient expliquer le comportement de personnalités violentes, mais les ressorts de la violence sont complexes et se partagent entre mécanismes neurobiologiques et environnementaux. Quatrième épisode de notre série sur les liens entre l'égalité et la génétique.

Alexandre Baratta

Alexandre Baratta

Psychiatre, praticien hospitalier, Alexandre Baratta est expert auprès de la Cour d'appel de Metz, et expert associé à l'Institut pour la Justice. Il est également correspondant national de la Société médico-psychologique

 

Voir la bio »

Atlantico : En 2009, la Cour d'assises de Trieste a réduit d'un an la peine d'un meurtrier de confession musulmane qui s'était soumis à un test ADN ayant révélé "une série de gènes qui le prédisposeraient à faire preuve d’agressivité s’il venait à être provoqué ou à être exclu socialement". A cela, selon la Cour, s'ajouterait une prédisposition sociale à l'agressivité se rattachant à la foi de l'assassin. Certains d'entre nous ont-ils vraiment des prédisposition(s) sociale et/ou génétique à la violence, voire au crime ? Quel est l'équilibre entre les deux ?

Alexandre Baratta : L’exemple cité et la question d’hypothétiques déterminismes à la violence renvoient au concept de neurodroit. Ce néologisme désigne l’utilisation des neurosciences dans le cadre des expertises judiciaires lors d’un procès pénal. Tout comportement humain est sous-tendu par le fonctionnement de plusieurs régions cérébrales. Il en va de même lors de réactions de colère, d’hostilité et de violence. Ce fonctionnement cérébral dépend de nombreux facteurs : génétiques (sous-types de récepteurs aux neurotransmetteurs), hormonaux, toxiques (prise d’alcool par exemple) et environnementaux (rôle du cadre familial et éducatif). Il a depuis longtemps été démontré qu’il n’existe pas de chromosome ou de gêne du crime. Certains gènes codant pour des sous-types de récepteurs à la sérotonine et un excès d’agressivité, notamment des variantes des récepteurs 5-HT1B, 5-HT2A et 5-HT7, ont été associées aux comportements impulsifs et agressifs lors d’une étude publiée en 2006. Toutefois les facteurs environnementaux durant l’enfance conservent un rôle fondamental dans le développement d’une personnalité psychopathique : toxicomanie chez les parents, trouble de la personnalité et dépression post partum chez la mère, séparation parentale précoce, exposition à la violence familiale, cadre éducatif défaillant, échec scolaire précoce sont autant de facteurs de risque. Mais là encore la présence d’un seul facteur (qu’il soit génétique, neurochimique ou environnemental) n’est pas suffisant pour prédisposer à une trajectoire de délinquant. 

>>> A lire sur le même sujet: Les défis de la génétique pour l'éducation, Les champions, ces mutants et aussiLa génétique face à la maladie et à la mort

Plutôt que de parler de prédisposition à la violence, on parle de facteurs de risques à des comportements violents. Ces facteurs de risques sont identifiés. Un seul facteur ne suffit pas à conduire à des comportements violents impulsifs. Seule une accumulation de facteurs de risques est nécessaire, sans que cela ne conduise nécessairement à commettre un crime ou un délit violent. Quant à un lien quelconque entre une orientation religieuse et la violence, il n’y a pas d’étude de corrélation publiée sur le sujet à ce jour.

En conclusion, les ressorts de la violence sont complexes et surtout polymorphes se partageant entre mécanismes neurobiologiques et environnementaux.

Affirmer qu'il existe des prédispositions sociale et génétique, n'est-ce pas la porte ouverte à des dérives ?

Comme pour toute classification, quel que soit le domaine, le risque de dérive existe : mesure du Quotient Intellectuel (QI) et orientation  scolaire précoce, dépistage d’anomalies génétiques sans maladie déclarée et tarifs d’une assurance maladie privée revue à la hausse par exemple. Toute découverte amène à des utilisations bénéfiques ou néfastes en fonction de l’usage que l’on en fait. Le meilleur exemple est la voiture : fabuleux moyen de déplacement pour travailler ou engin de mort si conduit par un individu impulsif et alcoolisé. Il serait dommageable et dangereux de refuser le progrès au motif en fonction d’hypothétiques risques liés à leur utilisation.

Dans le cas du procès de Trieste, la génétique n'a pas été prise à charge mais à décharge, c'est-à-dire que le tribunal a trouvé une irresponsabilité partielle au coupable : la peine n'a pas été annulée mais réduite. Ce qui est dangereux, c'est que ni les magistrats ni les avocats ne sont formés à la génétique.

Existe-t-il des thérapies pour "encadrer", prendre en charge les personnes prédisposées ou vulnérables à la violence ?

Des protocoles de thérapies existent et sont particulièrement développés dans les pays anglo-saxons. En France, les soins (psychiatriques et psychologiques) dispensés aux auteurs de violences le sont dans un contexte d’obligation de soins. Le cadre théorique de tels soins est de façon très majoritaire psychanalytique. Or, de telles thérapies n’ont jamais démontré le moindre impact en termes de réduction du risque de récidive de violences tant physiques que sexuelles. Les thérapies ayant démontré une efficacité partielle sont situées dans un cadre théorique cognitivo- comportemental (très rares en France).

Sur le plan judiciaire, qu'en est-il en France ? La jurisprudence au pénal prend-elle en compte la donnée "génétique", comme cela a été le cas en Italie ? 

Comme je l'ai expliqué précédemment, le neurodroit est quasi inexistant en France. Aux Etats-Unis par exemple, l’imagerie cérébrale a été utilisée dans de nombreux procès. Imagerie structurale d’abord –  des anomalies dans la morphologie de structures impliquées dans la gestion des comportements violents (cortex préfrontal, temporal antérieur, amygdales cérébrales…) – a été utilisée avec succès pour diminuer la responsabilité de criminels. Imagerie cérébrale fonctionnelle ensuite : l’IRM fonctionnelle permet d’étudier le fonctionnement des différentes aires cérébrales. Une telle technologie a été utilisée comme détecteur de mensonge dans certains procès ayant conduit à une condamnation à mort en Inde. Le 12 juin 2008, le juge du tribunal de Bombay a accepté comme preuve à charge l’enregistrement d’un IRM fonctionnel d’une accusée de 24 ans. Enregistrement qui aurait révélé qu’elle mentait en prétendant ne pas avoir empoisonné son fiancé. Exemple flagrant de dérive dans le cas présent.

En France, il est théoriquement possible d’avoir recours à l’imagerie cérébrale dans le cadre des procès. L’article 45 de la loi de bioéthique révisée en 2011 réserve l’usage de l’imagerie cérébrale à des finalités médicales, scientifiques ou dans le cadre d’expertises judiciaires. Dans la pratique cela n’a jamais été fait. Quant à l’analyse de marqueurs génétiques liés à la violence, nous en sommes à mille lieues. Tant mieux ou tant pis en fonction des avis. L’expertise psychiatrique à la française est en effet restée bloquée aux années 1940 avec les théories freudiennes. En médecine somatique, cela reviendrait à diagnostiquer une tumeur cérébrale en analysant les ombres grossières d’une radio du crâne, faute de scanner cérébral ou d’IRM. 

Peut-on faire un parallèle entre la physiognomonie apparue au XVIIIe siècle, selon laquelle on peut déterminer le caractère d'une personne aux traits de son visage, et la question du gène de la violence ? Quel est leur niveau de pertinence ? 

L’origine de la physiognomonie est bien plus ancienne puisque datant de la Grèce antique : les premiers écrits ont été publiés par Aristote (350 avant J.-C). La physiognomonie a connu un regain d’intérêt (limité) dans les années 1930, plus connue sous le nom de la morphopsychologie. Il s'agit de la déduction du caractère d’un individu (en général non criminel) en fonction des traits de son visage. Rien à voir avec la criminologie donc. Par ailleurs la phrénologie a été développée par l’Allemand Joseph Gall en 1810. Ce dernier pensait que des bosses du crâne reflétaient le caractère d’un sujet ou des prédilections pour certains domaines (la bosse des maths par exemple). Là encore nous sommes loin de la criminologie. En revanche, le criminologue italien Cesare Lombroso a tenté d’adapter ce concept aux criminels en recherchant des stigmates cérébraux (concept de "criminel né"). Ces théories ont bien entendu été abandonnées. Mais elles ont été à la base d’un héritage scientifique considérable : celui de découvertes d’aires cérébrales fonctionnelles, toujours utilisées de nos jours en neurologie interventionnelle et en neurochirurgie (les aires de Broca).Physiognomonie et phrénologie ne sont donc  pas justes bonnes pour la poubelle, c’est leur interprétation de base, leurs buts affichés et la méthodologie qui étaient mauvaises. Les données actuelles de la science (au niveau international) démontrent des liens entre violence et anomalies neurologiques. Mais cela reste du domaine de la recherche fondamentale et il serait hasardeux d’utiliser de telles données sur la place publique lors d’un procès particulier. Et ne pas oublier le principe premier de la science : un modèle pertinent aujourd’hui ne le sera probablement plus demain.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !