La génétique rend-elle toute égalité illusoire ? Partie 2 : les champions, ces mutants<!-- --> | Atlantico.fr
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Les anomalies génétiques permettent à certains humains de surclasser les autres.
Les anomalies génétiques permettent à certains humains de surclasser les autres.
©Reuters

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Deuxième épisode de notre série sur les liens entre l'égalité sociale et la génétique. La recherche en génomique de la performance a mis en évidence 200 anomalies permettant à certains humains de surclasser les autres dans des disciplines sportives, tel ce skieur de fond finlandais qui produisait 30% de globules rouges de plus que la normale.

Atlantico : On connaît la théorie des 10 000 heures, selon laquelle on ne peut atteindre l’excellence sportive que grâce à un entraînement intense et prolongé. Pourtant l’exemple de personnes présentant des particularités génétiques vient battre en brèche cette théorie, tel Eero Mäntyranta, champion de ski finlandais né en 1937, qui devait sa supériorité sportive à un taux anormalement élevé de globules rouges. En quoi cette particularité lui permettait-elle d’être plus fort que les autres?

>>>>>>> A lire sur le même sujet : La génétique rend-elle toute égalité sociale illusoire ? Partie 1 : les défis pour l'éducation

Gérard Dine : On ne peut pas être champion sans entraînement, mais on ne peut pas non plus être champion si on ne bénéficie pas des prédispositions minimales de la performance. Certaines de ces prédispositions minimales sont génétiques, et l’un des exemples les plus fracassants est Eero Mäntyranta, que l’on appelait le "Finlandais volant". Il présentait une anomalie de production des globules rouges au niveau de son récepteur à l’EPO dans la moelle osseuse : à niveau d’EPO normal, il produisait sans inconvénient 30 % de globules rouges en plus.  Sa supériorité était indiscutable, puisqu’il se trouvait dans la même situation qu’une personne dopée à l’EPO. Sauf qu’en 1964 on ne savait pas produire de l’EPO, et on ignorait également les raisons de cette anomalie dans la production de globules rouges. Il a fallu 30 ans pour découvrir son anomalie génétique, et on s’est même aperçu qu’il comportait une dizaine d’anomalies à peu près comparables, donnant un avantage sélectif aux personnes pratiquant un sport d’endurance. Ces gens sont donc des "mutants" qui  bénéficient d’un avantage indéniable sur les autres sportifs.

Maxime Bilodeau : Les globules rouges sont les transporteurs d’oxygène de l’organisme. Lorsqu’elle fait son entrée dans les poumons, l’oxygène se fixe aux globules rouges, et plus particulièrement sur l’hémoglobine, une protéine contenant du fer qui donne sa couleur et sa texture caractéristiques au sang. Ensuite, les globules rouges acheminent le précieux gaz à l’ensemble des tissus et organes du corps, dont les muscles, qui en ont crucialement besoin pour se contracter. En fait, c’est grâce à la présence d’oxygène dans le milieu musculaire que la production d’énergie par voie dite aérobie y est possible. Dans les sports d’endurance, où le métabolisme aérobie est prédominant, les performances sont donc intimement corrélées à cette capacité qu’a l’organisme d’apporter aux muscles actifs tout l’oxygène requis. On comprend donc mieux l’avantage pour un athlète comme Mäntyranta de posséder naturellement un taux anormalement élevé de globules rouges – on dit qu’il avoisinerait les 65 % supérieur alors qu’il est d’environ 40 à 45 % chez le commun des mortels. On comprend mieux également pourquoi certains athlètes moins favorisés à la loterie génétique n’hésitent pas à gonfler artificiellement ce taux en s’injectant de l’EPO ou encore de leur propre sang.

Un "superbébé" est né du temps de la RDA, à Berlin : fils d’une sprinteuse accomplie, il a hérité d’une mutation génétique très rare inhibant la myostatine, une protéine censée limiter la croissance musculaire. A 4 ans, il avait deux fois plus de muscles que les autres enfants de son âge. Cela veut-il dire qu’il existe des lignées de sportifs, qui ont moins à s’entraîner que d’autres?

Gérard Dine : L’existence de ce bébé a été révélée en 2004 par des scientifiques allemands qui travaillent sur le muscle. La connaissance en la matière a largement bénéficié des découvertes effectuées dans le cadre de la recherche sur la myopathie. Les myopathes présentent des anomalies génétiques qui empêchent les muscles de fonctionner, et les détruisent donc. D’autres anomalies ont l’effet inverse, à savoir de rendre les muscles plus performants. On se sert d’ailleurs de ces anomalies pour essayer de diminuer le déficit des enfants atteints de myopathie. Les essais sont encore en cours.

Ce garçon, pour revenir, à son cas, est issu d’un centre d’Allemagne de l’Est où les sportifs étaient rassemblés pour qu’ils se reproduisent entre eux. A l’époque on ne maîtrisait pas la génétique, on regroupait les gens sur des critères de performance musculaire et, tels des chevaux, on essayait de les faire se reproduire pour donner naissance à des lignées de champions. Ces deux exemples spectaculaires ont permis de créer la génomique de la performance, qui connaît actuellement de belles avancées, grâce notamment aux travaux de chercheurs australiens.

Maxime Bilodeau : La HERITAGE Family Study, une vaste étude en partie menée ici-même à l’Université Laval de Québec, a démontré qu’il existe bel et bien une variante interindividuelle en ce qui a trait à l’entraînabilité, c’est-à-dire à la réponse à un stimulus d’entraînement donné. Autrement dit, lorsque soumis à un même programme d’entraînement, deux individus ne connaîtront pas les mêmes améliorations de leurs qualités physiques, ce qui laisse penser qu’en effet, il existerait certains "chanceux" qui ont moins à s’entraîner que d’autres. Par contre, il convient de nuancer le portrait et de dire que la nature du sport pratiqué joue pour beaucoup dans cette question. Je m’explique : moins un sport exige la mise en place de stratégies cognitives complexes, plus le fait de posséder un bagage génétique favorable à une discipline donnée compense la nécessité de s’entraîner, et vice-versa. Un sauteur en hauteur doté d’un centre de masse élevé et d’un tendon d’Achilles particulièrement long – deux caractéristiques "physiques" très avantageuses en saut en hauteur – nécessite moins d’entraînement pour réussir facilement dans son sport que, disons, un escrimeur qui doit accumuler d’innombrables heures d’entraînement pour assimiler l’ensemble des schèmes cognitifs nécessaires à l’atteinte d’une certaine expertise en escrime.

Aujourd’hui les niveaux d’entraînement sont extrêmes, et l’accompagnement des sportifs de haut niveau, particulièrement poussé. Au point qu’on se demande s’il est possible d’aller plus loin dans ce domaine. Par conséquent, est-ce le facteur génétique qui permet aux meilleurs sportifs d’être au-dessus du lot? Finalement les Bolt, Nadal, Jordan, Lomu et autres Pelé ne sont-ils que des anomalies génétiques ?

Maxime Bilodeau : Chaque cas d’athlète en est un unique, ce qui rend la généralisation particulièrement périlleuse, pour ne pas dire impossible. En fait, pour être plus juste, il faudrait dire que c’est une part infiniment variable d’inné, mais également d’acquis, qui permet aux meilleurs d’être les meilleurs. Autrement dit, un cheval, même s’il est, disons, de pur-sang, ne sera jamais le plus rapide ni le plus endurant s’il ne profite pas d’un environnement un tant soit peu adéquat pour le stimuler. De la même manière, un mulet restera toujours un mulet, et ce même s’il dispose d’un environnement optimal à tous les points de vue. Pour répondre à votre question donc : oui, les meilleurs athlètes possèdent fort probablement un bagage génétique qui contribue à leur excellence sportive, mais c’est ignorer la réalité que de ne considérer que ce dernier dans l’équation. 

Gérard Dine : On ne peut pas affirmer à 100 % que ces sportifs sont des anomalies génétiques, mais on ne peut pas non plus le nier. La réussite dans une discipline résulte du mariage entre  les prédispositions et l’adaptation par l’entraînement. Il faut que ces prédispositions soient repérées précocement et développées harmonieusement, car paradoxalement ces personnes peuvent être plus fragiles, et nécessitent par conséquent des entraînements non pas quantitatifs mais qualitatifs. Cela, on le voit bien dans les disciplines chronométriques, qui sont individuelles. Dès qu’on rentre dans la technique et le collectif, les choses sont plus délicates à analyser, mais quelque part ces prédispositions jouent un rôle entre l’inné et l’acquis. Et sur les exemples cités dans la question, on ne peut pas nier que c’est la part génétique qui fait la différence. Le contre-exemple du dopage va  dans ce sens en cherchant à reproduire chimiquement ce qui était l’avantage de Mäntyranta.

Outre les personnalités qui sortent du lot, on constate des tendances : les Éthiopiens et les Kényans dominent le marathon, les Jamaïcains, le sprint. D’où vient cette supériorité dans ces disciplines sportives? D’autres populations, auxquelles on ne penserait pas forcément, présentent-elles également des facilités pour certaines disciplines?

Maxime Bilodeau : Ce sont là d’excellents exemples de populations qui, à cause d’un environnement et d’une culture donnée, développent un taux anormalement élevé de champions. Par exemple, les Kényans, et plus particulièrement ceux originaires de la tribu des Kalenjins, doivent leur supériorité en partie au fait qu’ils habitent et s’entraînent sur de hauts plateaux quasi désertiques situés à environ 2000 mètres d’altitude. Jumelez cela au fait que la course de fond représente, pour de nombreux Kényans et leur famille, une porte de sortie de la pauvreté relative dans laquelle la majorité de la population de ce pays est plongée, et vous obtenez un vaste bassin d’athlètes non seulement taillés pour soutenir des efforts de longues durées, mais également, et surtout, extrêmement motivés pour courir. Une analyse similaire, mais, j’insiste, non identique, s’applique aux Jamaïcains pour qui le sprint est un sport national, ou encore aux Canadiens pour qui le hockey sur glace fait aussi partie intégrante de la culture nationale.

Quant à savoir s’il existe des populations "cachées sous le tapis" en ce qui a trait à la domination dans certaines disciplines, je ne pense pas que ce soit actuellement le cas, à tout le moins, pas dans le sens d’une domination d’ordre génétique. Par contre, qui sait si, un jour, la métamorphose de l’environnement immédiat d’une population ne l’influencera pas au point de la voir développer de nombreux athlètes de pointe dans une discipline donnée? Seul le temps nous le dira.

Gérard Dine : dans le jargon des spécialistes, on parle de "pression de sélection". Les populations humaines, qui sont une, se sont développées dans des environnements différents. Par exemple, les athlètes sprinteurs issus des régions nord du Cameroun et du Nigéria, étaient des hommes des forêts, qui dans ce milieu devaient déployer une importante puissance musculaire. Les africains de l’est ont été séparés par le grand rift et se sont retrouvés à vivre dans la savane sur de hauts plateaux au-dessus de 2 000 mètres d’altitude. Les potentiels de survie se sont adaptés et, dans le cadre sportif, amènent à faire la différence. Grâce à la biologie et la génétique on arrive à analyser la différence entre les populations africaines de l’ouest et de l’est, qui ne réussissent pas dans les mêmes disciplines. On est dans un cas flagrant d’adaptation à l’environnement.

Selon les chercheurs australiens, les gènes pouvant présenter un intérêt sportif sont au nombre de 200. Il faut ramener cela à chaque discipline : en football par exemple, la performance est conditionnée par des facteurs beaucoup plus imbriqués, et donc plus compliqués à analyser. Il faut savoir également que des prédispositions permettent d’être apte à la préparation à la performance, et aussi à la récupération, notamment au niveau des tendons, des muscles et des cartilages. Il faut donc avoir les gènes pour fournir l’effort, mais aussi les gènes pour tolérer la performance.

Pour éviter toute polémique éthique, les officiels sportifs britanniques ont choisi comme axe non pas de rechercher les gènes qui permettent d’améliorer la performance, mais de soigner mieux les sportifs de haut niveau. C’est parce que les enjeux sont importants et que les financements sont importants dans le sport de haut niveau que l’on cherche à optimiser ainsi la performance sans pour autant recourir à la dérive du dopage.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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