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Emmanuel Macron rencontre Recep Tayyip Erdogan au siège des Nations Unies à New York le 19 septembre 2017, lors de la 72e Assemblée générale des Nations Unies.
Emmanuel Macron rencontre Recep Tayyip Erdogan au siège des Nations Unies à New York le 19 septembre 2017, lors de la 72e Assemblée générale des Nations Unies.
©LUDOVIC MARIN / AFP

SOS alliés fiables

Emmanuel Macron s’est entretenu avec Recep Tayyip Erdogan, ce lundi, à l’occasion du sommet de l’OTAN à Bruxelles. La France est dans une situation paradoxale. La France, qui fait partie d'alliances fortes comme l'OTAN, se retrouve isolée sur la scène internationale auprès de ses alliés sur de nombreux sujets clés alors qu’à titre de comparaison la Turquie arrive à entretenir une certaine continuité avec la Russie, l’Iran et la Chine.

Florent Parmentier

Florent Parmentier

Florent Parmentier est enseignant à Sciences Po et chercheur associé au Centre de géopolitique de HEC. Il a récemment publié La Moldavie à la croisée des mondes (avec Josette Durrieu) ainsi que Les chemins de l’Etat de droit, la voie étroite des pays entre Europe et Russie. Il est le créateur avec Cyrille Bret du blog Eurasia Prospective

Pour le suivre sur Twitter : @FlorentParmenti

 

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Atlantico : Comment expliquer le paradoxe de la situation de la France, faisant partie d’alliances fortes comme l’OTAN, qui se retrouve isolée sur la scène internationale auprès de ses alliés sur de nombreux sujets clés alors qu’à titre de comparaison la Turquie arrive à entretenir une certaine continuité avec la Russie, l’Iran, la Chine ? Par quel biais ce paradoxe s’est-il créé ?

Florent Parmentier : Il y a un premier paradoxe à cette question, qui est que la France et la Turquie font en l'occurrence partie de la même alliance : l’OTAN. Ladite « Alliance atlantique » s’est constituée en 1949 pour établir des relations étroites entre l’Europe de l’Ouest et les Etats-Unis pour faire barrage contre l’Union soviétique. La Turquie en a d’ailleurs fait partie de cette alliance depuis près de 70 ans, ce qui créé un certain nombre d’habitudes et de pratiques.

Il est vrai que la Turquie a poursuivi depuis quelques années une politique plus « multivectorielle », en s’appuyant sur son positionnement géostratégique, en se rapprochant notamment de la Russie, de la Chine et de l’Iran. Encore faut-il raison garder : un rapprochement stratégique a eu lieu avec la Russie, notamment après le coup d’Etat manqué du 15 juillet 2016 à Ankara, mais des différends existent : le Libye, la Syrie, le Caucase sont autant de conflits où Russie et Turquie ont dû apprendre à travailler ensemble. La prise de position de la Turquie en faveur d’une plus forte coopération avec l’Ukraine a été perçue très négativement à Moscou. L’Iran est un voisin avec lequel la Turquie entretient des relations compliquées historiquement, même si c’est aujourd’hui la frontière la plus ancienne et la plus stable du Moyen-Orient. Quant à la Chine, elle fait éclater le « double standard » de la politique turque : en effet, comment accuser les Etats de droit européens « d’islamophobie » quand on ne dit rien sur le sort des Ouïghours en Chine ? Cela montre le caractère éminemment politique d’un concept qui est utilisé par des régimes autoritaires dans les pays musulmans à des fins intérieures. La remise en cause de l’Etat de droit en Europe repose donc sur un profond contresens.

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Il faut donc faire la part des choses entre une ambition multivectorielle, structurée, et la part d’opportunisme et d’aventurisme qui peut exister dans la conduite effective de la politique étrangère. Et la Turquie perd des points avec le départ de Donald Trump : Anthony Blinken, le Secrétaire d’Etat, a déclaré récemment devant la Commission des affaires étrangères du Sénat que la Turquie ne se comportait pas comme un allié. Les coups de menton en Méditerranée orientale laissent donc aujourd’hui la place à une approche moins agressive vis-à-vis des Européens, ce qui ne doit pas nous tromper sur la volonté de la diplomatie turque de trouver de nouveaux partenariats selon les sujets et les moments.

Ces alliances et ces coalitions ont-elles montré leurs limites face à la diplomatie et à la stratégie russe, turque, iranienne ou chinoise ? Des sommets comme l’OTAN permettent-ils encore d’obtenir de réelles avancées ? Une autre voie diplomatique est-elle possible et souhaitable ?    

L’Alliance atlantique est un cadre qui a dû se réinventer avec la fin de la Guerre froide. Elle a reposé pendant longtemps sur un moindre investissement des Européens pour leur défense, et sur l’achat de matériel de défense américain. Le mandat de Donald Trump a laissé des traces sur l’OTAN, en remettant en cause la clause de solidarité (article 5) : cette incertitude a orienté les Européens vers davantage d’autonomie stratégique.

Le souhait de multivectorialité des Turcs est donc compréhensible, dans la mesure où elle accroit la position de négociation du pays, à côté d’autres leviers comme les flux migratoires. Toutefois, l’achat des missiles russes S-400 en 2017 montre une percée de l’influence russe, posant la question de la position turque dans l’Alliance. La Turquie a également été exclue formellement du programme de production de F-35 par le département américain de la Défense (Pentagone).

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L’activisme comporte cependant des risques : il y a par exemple des tensions entre la Turquie et les pays du Golfe, comme en témoigne l'annulation du contrat pour la construction de l'aéroport d'Abou Dhabi. 

Quelles stratégies devraient adopter les puissances comme la France face à la Russie, l’Iran, la Chine ? Quels enseignements pouvons-nous tirer des échanges et des coopérations entre Xi Jinping, Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan ?  

Une stratégie consiste à élaborer une série d’actions coordonnées dans un but précis. Face à des Etats qui disposent de vraies capacités d’influence (de nature militaire, informationnelle, économique, culturelle, etc.), il convient de s’inscrire dans un rapport de force et de garder des canaux ouverts de coopération. Cette ligne de conduite s’accompagne aussi de la nécessité d’agir de manière coordonnée, notamment au sein de l’Union européenne, en matière économique ou de sécurisation de l’espace cyber. 

Le dilemme essentiel est le suivant : faut-il se ranger derrière une « communauté des démocraties » avec les droits de l’Homme comme étendard, ou faut-il assumer plus clairement que les démocraties ont des intérêts ? Qui devons-nous inclure dans cette communauté des démocraties ? Ce devrait être l’un des enjeux sur lesquels les Européens doivent se pencher sans attendre. Xi Jinping, Vladimir Poutine et Erdogan coopèrent, en dépit de différends sous-jacents ou exprimés plus ouvertement. Il faut savoir exploiter leurs différences comme ils tentent de le faire avec les Européens. 

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