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La France maso : pourquoi les succès chinois sont finalement beaucoup moins impressionnants qu’on s’en persuade à longueur d’année
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Complexe français

Mi-décembre, la Chine faisait l'objet de nombreux commentaires admiratifs après avoir fait alunir une sonde. Quelques jours plus tard, le pessimisme français trouvait une nouvelle source avec l'échec des ventes du Rafale au Brésil. Mais la Chine n'est pas technologiquement en avance sur nous. Au contraire...

Atlantico : D'un point de vue technologique et économique, la France est aussi peu influente que certains veulent le croire par rapport à la Chine ?

Antoine Brunet : Non. Notre pays conserve de grandes capacités technologiques, dans l’aéronautique, dans les hélicoptères, dans le lancement de navettes spatiales, dans le TGV, dans le nucléaire, dans le domaine de la santé (nous sommes en pointe dans beaucoup d’opérations chirurgicales).

Ce qui est frustrant et qui finit par créer un climat de défaitisme à l’égard de la Chine, c’est la capacité que celle-ci a eu à s’emparer successivement de toutes sortes de créneaux technologiques : le textile et la confection, l’ameublement, l’électroménager, les aciers, les aciers spéciaux, l’électronique, les ordinateurs, les panneaux solaires et les éoliennes (naïvement Bruxelles avait eu l’illusion de relancer l’Union européenne par le développement durable), les grands chantiers de génie civil (Bouygues et Vinci, dans les années 1990, avant l’irruption de la Chine, avaient réussi à développer l’exportation de génie civil) et plus récemment les équipements téléphoniques (Huawei et ZTE se sont emparés en quelques années de 25% du marché intérieur européen). Et on sent bien que la Chine n’entend pas en rester là et a le projet de s’emparer prochainement du segment automobile (Geely et Dongfeng), du segment TGV, du segment aéronautique….

N’oublions pas dans le panorama, ce domaine technologique très particulier qu’est l’espionnage informationnel où la Chine fait en quelque sorte jeu égal avec la trop fameuse NSA américaine.

Emmanuel Lincot :Le décrochage français remonte aux années Mitterrand, lorsque la France a opté pour un assistanat généralisé de sa population. La marginalisation de notre pays s’est aggravée avec les délocalisations industrielles suivie d’une financiarisation de notre système économique sur le modèle anglo-saxon. Bref, notre Etat a démissionné de sa mission essentielle : la protection du bien commun. Cette vision de l’Etat est colbertiste et de grands penseurs du courant libéral à partir du XIX° siècle, tel Guizot, en ont hérité. Loin de vouloir encourager un laisser-faire, un laisser-aller, le libéralisme dans la tradition française met l’Etat au cœur de notre société. L’histoire française l’exige. Et en cela, c’est un truisme de le dire, mais nous ne sommes ni des Anglais, ni des Américains. Une France sans Etat ne peut qu’être livrée aux féodalités de toutes sortes. C’est-à-dire à l’appétit vorace d’un capitalisme d’épicier, aux intérêts particuliers, à un poujadisme sans âme et nihiliste. Bref, à un provincialisme dégradant se cherchant des ennemis quand le pire ennemi est, en définitive, à rechercher en nous-même. Cet ennemi, c’est la médiocrité, c’est la démission de la puissance, de la fierté de nos savoir-faire tant dans les domaines de l’industrie que ceux de l’éducation.

Pour autant, nous conservons de très sérieux atouts. Nous formons d’excellents ingénieurs, de très bons penseurs mais ce qui ne nous aide en rien c’est l’absence de coordination entre nos différentes compétences. Nous agissons en ordre dispersé. Il n’existe pas d’équipe France. Nous sommes encore très arrogants et suffisants. On nous le reproche à juste titre car nous nous marginalisons jusqu’y compris dans le domaine du savoir. Demandez - premier exemple - à la plupart de nos universitaires français ce que représente la Chine à leurs yeux. C’est une abstraction et peu comprennent l’urgence à former des étudiants aux affaires chinoises. Beaucoup d’expatriés - second exemple - se destinant à la Chine l’admettent : ils ne bénéficient d’aucune formation sur la culture chinoise, même dans ses aspects les plus élémentaires, alors qu’ils seront totalement immergés en milieu chinois. Qu’est-ce-dire ? Nous agissons dans la précipitation sans penser à long terme. Nous nous fermons à des réalités ; attitude qui nous est chaque jour de plus en plus dommageable. La Chine, par contraste, est à tout point de vue aux antipodes de ce que nous sommes. Sinistrose et défaitisme d’un côté, solide confiance en la vie et travail de l’autre. Les ressources sont en nous mais nous devons être optimistes et nous mettre à l’ouvrage, être fermes dans nos décisions et nous réinventer.

Est-ce que la France, qui construit des centrales nucléaires, des TGV et des Airbus, est à la traîne par rapport à la Chine en matière de technologie ? Notamment en matière de santé, de recherche scientifique, la France domine la Chine…

Emmanuel Lincot : Difficile de répondre sans tomber dans la caricature car parler de la Chine ou de la France, c’est d’emblée se heurter à une question d’échelle. Ce que nous montre la Chine sur la durée c’est sa résilience. Sortie d’un chaos indescriptible, elle est devenue en trente ans la deuxième puissance économique mondiale. Et si l’on devait jouer au petit jeu des inventaires, je vous rétorquerai que la Chine produit ses propres TGV, ses propres avions, qu’elle est bien devant les Etats-Unis en matière de R&D et qu’elle prend très au sérieux le problème de la pollution et de la santé publique. Les trajectoires historiques sont différentes, la nature des régimes politiques l’est aussi mais ce qui manque à la France c’est un vrai capitaine. Un homme de la trempe d’un De Gaulle qui mette la France au travail et redonne des raisons d’espérer en la France.  

Antoine Brunet : Il est souvent rappelé que la Chine brille par son absence de prix Nobel scientifiques, ce qui montre qu’au moins au niveau de la recherche pure, la Chine n’est pas en avance sur les Etats-Unis, l’Europe ou le Japon. Mais la Chine s’est donné les moyens au niveau de la recherche appliquée et de la technologie de combler rapidement son retard initial. La Chine se donne les moyens d’une puissante politique industrielle.

Elle commence par l’appropriation à bon compte des découvertes scientifiques et des savoir-faire technologiques de ses concurrents occidentaux : espionnage industriel, non-respect de la propriété intellectuelle, obligation faite aux entreprises occidentales qui s’implantent en Chine de le faire au sein d’une joint-venture avec une société chinoise et avec l’obligation d’abandonner une partie de son savoir-faire au partenaire chinois.

Elle se poursuit avec la capacité qu’ont les entreprises sino-chinoises de prendre appui sur un marché intérieur qui est à la fois immense et dynamique.

Elle se poursuit encore avec un appui considérable de l’Etat chinois aux entreprises à dimension technologique, tant en termes de subventions qu’en termes de financement bon marché.

Elle se poursuit enfin et surtout par le fait que l’Etat chinois maintient un coût salarial horaire chez les ouvriers chinois 30 fois moins cher qu’en zone euro et 25 fois moins cher qu’aux Etats-Unis. Dès le moment où une grande entreprise chinoise, munie d’une telle surcompétitivité, se lance dans un secteur nouveau comme Huawei et ZTE dans les dernières années, elle est en quelque sorte assurée de son succès commercial ultime.

Cela nous donne par ailleurs la clé d’une formidable énigme : les multinationales occidentales depuis 2011 n’ont jamais bénéficié de profits aussi élevés et pourtant l’investissement industriel ne redémarre toujours pas, ni aux Etats-Unis, ni au Japon, ni en Allemagne, ni en France ni au Royaume-Uni. On voit leurs managers utiliser leurs profits non pas à investir mais à accroître encore les dividendes versés ou à racheter leurs propres actions (buybacks). La réponse à cette énigme, elle est là : les multinationales occidentales sentent que sur tous les dossiers industriels d’avenir, les multinationales chinoises partent gagnantes d’avance grâce à la surcompétitivité que leur maintient l’Etat chinois et grâce à tous les coups de pouce que celui-ci leur distribuera en cas de coups durs.

Jean-François Di Meglio : Le savoir commun ou l'opinion rependue au sein des observateurs de la Chine est que le pays dépose actuellement un très grand nombre de brevets. Mais on parle de nombre, pas de qualité. Le pays est en fait dans une phase de rattrapage technologique. Si on regarde les exemples de la téléphonie mobile ou des trains à grande vitesse, on voit que la Chine est en train de rattraper son retard technologique. C'est un fait. 

Mais si la question est de savoir si la Chine est en avance sur la France ou d'autres puissances occidentales, on ne constate pas de domaine où c'est réellement le cas. Par exemple, en matière de défense, la Chine possède un porte-avion, des chasseurs, des bombardiers, etc. Mais, à la vitesse de rattrapage actuelle, on estime qu'ils ont 15 à 10 ans de retard pour avoir un porte-avion comme le Charles de Gaulle ou un avion comme le Rafale. Mais cette vitesse peut encore s'accélérer.

D'où vient ce complexe d'infériorité des dirigeants et médias français vis-à-vis de la Chine ?

Jean-François Di Meglio :C'est essentiellement de la méconnaissance et c'est surtout beaucoup de projection de nos propres problèmes. Aujourd'hui, nous avons un problème de modèle. Quand on parlait du péril jaune au 19e siècle, nous étions certains d'avoir le bon modèle et ce qui nous inquiétait vis-à-vis des Chinois, c'était surtout leur nombre. Aujourd'hui, nous ne sommes plus sûrs d'avoir le bon modèle puisque la Chine semble mieux réussir alors qu'ils n'ont pas la démocratie par exemple…  Nous avons perdu nos repères, nous avons fini de croire en notre modèle.

Antoine Brunet : Encore une fois, il y a un sentiment d’impuissance face au rouleau compresseur de la Chine qui, si on la laisse faire, se propose d’accaparer toute la production industrielle du monde (elle en accapare déjà 20% en 2012 contre seulement 4% en 2000.)

Emmanuel Lincot : Elle vient de l'ignorance. La plupart des hommes politiques français ou des médias parlent ou critiquent la Chine sans jamais y a voir mis les pieds ! Jusqu’à récemment les grands quotidiens nationaux envoyaient des correspondants en Chine qui ne maîtrisaient pas un mot de chinois. La presse française reste indigente en matière d’informations sur la Chine. Les problèmes traités sont ceux des droits de l’homme, de l’infériorité française par rapport aux performances de l’Allemagne dans ce pays… Mais avons-nous lu des articles intelligents sur le Consensus de Pékin, sur les intellectuels chinois autres que des dissidents, sur les modes et les grands courants culturels les plus actuels qui prévalent en Chine ? Peu de choses substantielles en vérité. Au reste, de tous les médias qui existent en France sur la Chine, je n’en connais que deux de qualité : Chine Hebdo sur Bfm radio et Monde Chinois Nouvelle Asie que je dirige avec Barthélémy Courmont. Et pourtant, la demande d’information, croyez-moi, est forte !...

Ext-ce que ce complexe est valable pour le reste de l'Occident ?

Antoine Brunet : Les Etats-Unis qui auraient dû être le protecteur des économies occidentales ont laissé entrer le loup chinois dans la bergerie libre-échangiste en laissant entrer en 2001 la Chine dans l’OMC avec un formidable privilège commercial et une formidable sur-compétitivité absolue : un coût salarial ouvrier horaire qui était, entre 2001 et 2005, 80 fois inférieur à celui des Etats-Unis et de l’Europe. Le résultat, c’est que le loup s’empare un à un de tous les moutons et les asphyxie par étranglement. Nokia qui fut longtemps la success story de la Finlande et son pourvoyeur d’emplois industriels meurt de la concurrence de Apple et de Samsung qui pratiquent à fond le made in China. Le défaitisme s’empare des dirigeants occidentaux et ce défaitisme s’alimente à leur impuissance collective à contrer le privilège commercial de la Chine qui est à la source de sa monopolisation de l’industrie mondiale. Il devient urgent que les Etats-Unis reprennent le rôle de chef d’orchestre qu’ils avaient si bien joué face à l’URSS de Brejnev et d’Andropov en se concentrant, cette fois face à la Chine, non pas sur la question militaire mais bien plutôt sur la question commerciale qui est à la base de tout.

Emmanuel Lincot : Qui dit complexe dit crainte. Ce que l’on craint en l’occurrence ici c’est le mythe du péril jaune ! Vieux serpent de mer comme l’a montré le grand médiéviste et spécialiste des peurs en Occident, Jean Delumeau. Ce qui irait dans le sens d’une meilleure compréhension de la Chine serait la fédération d’une véritable sinologie européenne. Nous en sommes en réalité très loin, sur le plan universitaire. Cette situation est symptomatique d’une tendance plus générale : l’Europe est encore une fiction. Nous ne sommes donc pas mentalement prêts à nous mesurer à la Chine pas plus qu’à aucun autre pays émergent car les cadres institutionnels qui nous y prépareraient sont quasi inexistants.

Jean-François Di Meglio :C'est un complexe très français. Ça n'existe pas en Allemagne. Les Allemands commercent d'égal à égal avec les Chinois. Quant aux Anglais, ils n'ont de complexe vis-à-vis de personne.

Les Chinois parviennent à faire alunir une sonde, plus de 40 ans après les premiers pas de Neil Armstrong sur le satellite naturel de la Terre. Qu'est-ce que cet "exploit", comme certains l'ont présenté, raconte de la technologie chinoise ? Est-ce que la Chine n'est pas encore, en matière technologique, une nation mineure mais qui tend évidemment à se développer ?

Emmanuel Lincot : Pour une nation comme la Chine, c’est un exploit. Comme sa maîtrise du feu nucléaire, il y a cinquante ans. A l’époque, cette maîtrise lui a permis de sanctuariser son territoire et de traiter d’égal à égal avec les grands de ce monde. Gagner l’espace, c’est prendre rendez-vous avec l’Histoire et occuper un domaine que tendent à délaisser dangereusement les Occidentaux. Et puis, faire de l’aventure spatiale une grande aventure nationale, c’est aussi cela le « rêve chinois » qu’exaltent les autorités de Pékin ! A nous d’y répondre. C’est par l’émulation que nous saurons recouvrer l’esprit d’aventure comme nous l’avons fait plus d’une fois en inventant Le Concorde ou bien encore Ariane. 

Jean-François Di Meglio :En faisant rouler une sonde sur la Lune, la Chine est exactement dans la même position que l'Amérique des années 1960. Il a fallu un peu moins de 10 ans entre le moment où Kennedy a annoncé vouloir aller sur la Lune et la mission Apollo 11. Il en faudra peut-être 5 à la Chine.

Un autre élément que la sonde lunaire a toutefois marqué les esprits : la destruction par la Chine d'un missile en orbite par un autre missile. Cela demande une technique très poussée. Seuls les États-Unis et la Russie y étaient parvenus avant elle. Une fois encore, ça montre que le rattrapage s'accélère.

Il y a des domaines où la Chine sait qu'elle sera en retard. C'est le cas défense terrestre. Si la Chine rachète des usines automobiles européennes, comme Volvo par exemple, c'est parce qu'elle sait qu'elle est en retard. En revanche, il semble qu'elle ait décidé d'aller très loin dans tout ce qui n'est pas encore totalement légiféré comme l'espace ou l'exploration des pôles. Elle demande par exemple des droits d'exploration sur l'Antarctique. 

Propos recueillis par Sylvain Chazot

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