La France garde son AA et voilà pourquoi ça ne signifie pas grand chose de plus ou de moins que si Standard and Poor's lui avait fait perdre sa note <!-- --> | Atlantico.fr
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Standard and Poor’s a maintenu la note de la France à AA.
Standard and Poor’s a maintenu la note de la France à AA.
©DON EMMERT / AFP

Dette publique

L'agence de notation Standard & Poor's a maintenu, vendredi soir, la note de la France à « AA », signifiant que le pays a une forte capacité à rembourser sa dette. Une vision optimiste qui prend le contre-pied de la décision prise par Fitch fin avril qui avait abaissé cette note d'un cran, de «AA» à «AA-».

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

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Atlantico : Standard and Poor’s a maintenu la note de la France à AA. Est-ce surprenant ? A quel point cela change ou pas quelque chose ?

Don Diego De La Vega : Standard and Poor’s a choisi d’être clément, car il y avait largement moyen de dégrader. Quel est l’impact ? il y a deux niveaux. Tout d'abord, il y a le niveau des taux d'intérêt, une approche économique, de marché. Ensuite, il y a le niveau politique. En ce qui concerne l'impact économique, c'est différent, c'est mesurable. Et là, c'est nul. Nous avons des précédents. Nous avons eu la perte du triple A du Japon, la perte du triple A des États-Unis, la perte du triple A de la France. À chaque fois, cela a entraîné une baisse des taux d'intérêt, pas une hausse, car les agences de notation sont en général procycliques, c'est-à-dire qu'elles ont tendance à dégrader les notes au moment où tout va mal. Par exemple, la Grèce était très bien notée avant la crise. C'est lors des crises que les agences de notation se réveillent généralement assez tardivement et commencent à critiquer sous prétexte que les finances publiques se dégradent. Les agences de notation ne prévoient rien, elles se joignent à la meute et crient avec les loups. Par conséquent, lorsque les agences de notation dégradent un pays, on peut être presque certain que c'est au creux de la vague, au moment où les choses vont mal. Le problème est que lorsque les marchés financiers ne vont pas bien, tout le monde se réfugie dans des valeurs sûres. C'est-à-dire que tout le monde achète des obligations. Personne ne veut acheter du Bitcoin, des actions ou des investissements privés. On peut voir le mécanisme : le moment de la dégradation d'une note s'accompagne souvent d'un afflux d'argent vers les obligations, ce qui fait baisser les taux d'intérêt. C'est un peu contre-intuitif, mais c'est ainsi que ça fonctionne pour les pays développés. C’est différent pour les pays émergents.

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C'est différent parce que lorsque la note est dégradée, cela ne fait pas baisser votre taux d'intérêt, cela le fait plutôt monter. Cependant, ces pays en développement sont ceux qui ont des situations vraiment épouvantables. Parfois, ils ne sont pas endettés dans leur propre monnaie. Très souvent, dans ces cas-là, il y a un problème de crédibilité. En général, ils ont une très mauvaise notation. Donc, les agences de notation sont vraiment importantes dans ce cas. Sils il sont dans une situation juste au-dessus de la limite d'investissabilité et qu’ils sont rétrogradés d'une ou deux notations, ils deviennent non investissables. C'est la zone de la mort, car ils dépendent fortement des agences de notation. Dans cette situation, il serait préférable d'être en faillite car on devient dépendant du FMI, de la Banque mondiale ou des Chinois. Mais, lorsque vous êtes dans la zone intermédiaire, où vous avez une notation moyenne, et qu'une ou deux agences vous rétrogradent, ce n'est pas bon. C'est à ce moment-là que les notations des agences peuvent être importantes. Si vous perdez votre caractère investissable, soudainement, la plupart des investisseurs institutionnels ne veulent plus acheter votre dette. Et si votre note est dégradée, cela fait effectivement monter les taux d'intérêt, toutes choses égales par ailleurs. Cependant, dans le cas de la France, ce n'est pas parce qu'on teste une nouvelle notation que les taux d'intérêt seront plus élevés.

Cependant, évidemment, sur le plan politique, étant donné que les banques centrales, sont indépendantes, ce qui compte est la variation de la notation d'une agence, car cela a des implications pour le pouvoir en place. Le pouvoir de Macron, basé sur l'idée que le grand chef est un Mozart de la finance, est en train d'être remis en question progressivement. En réalité, il n'est pas du tout un Mozart de la finance, et cela n’est pas bon pour son image. C’est perpendiculaire au récit dominant de la Macronie, qui affirme que son chef n'est pas parfait mais qu'il est compétent. Une dégradation de la note aurait pu être douloureuse pour ceux qui se soucient du « qu’en dira-t-on ».

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Je pense en avoir déjà parlé dans une intervention précédente en évoquant cette hypothèse des rats qui commencent à quitter le navire. Il y a un ensemble de signaux faibles qui indiquent un début c’inquiétude. Un certain nombre de personnes, qui appartiennent aux élites traditionnelles, aux macronistes ou à ceux qui s'en approchent, commencent à prendre leurs distances. C'est un classique. Il y a eu ceux qui ont commencé à prendre leurs distances de Mitterrand à partir de 92-93. De Chirac ses trois dernières années, et ainsi de suite. Quand certaines personnes émettront des doutes sur Macron on saura que c'est vraiment fini pour Macron. Mais avec une note stable, rien ne va changer, et quand bien même cela aurait été dégradé, il n’y a pas d’élections avant 2024. Macron peut, de toute façon, compter sur son socle.

Cela veut dire qu’il ne faut pas se soucier du phénomène ?

Le vrai problème il n’est pas sur les agences de notation Il y a un autre phénomène qui est que depuis 15 mois, les banquiers centraux ont décidé de monter les taux d'intérêt de manière significative. Toute l'influence qu'une agence de notation peut avoir est complètement annulée et ne représente strictement rien face à un tel mouvement. L'impact d'une agence de notation peut être observé dans des situations historiques normales. Mais ce que l'on observe depuis un an n'est pas du tout normal, avec des augmentations de taux de 500 points de base aux États-Unis et de 325 points de base dans la zone euro. Ce sont des mouvements que l'on ne voit normalement pas en une décennie, et pourtant nous les avons connus en moins de 12 mois. Dans ce contexte, ce que peut dire une agence de notation perd de son importance. Voici donc le paradoxe : tout le monde se concentre sur les agences, alors que je préférerais que l'attention soit portée sur chaque réunion de la BCE où elle sabote l'économie européenne pour tenter de maîtriser une prétendue inflation qui n'est pas réellement de l'inflation. De plus, ces tentatives visent à lutter contre des facteurs tels que les fluctuations de l'offre, les prix des hydrocarbures et les mouvements du commerce international, sur lesquels la BCE n'a aucun contrôle, que les taux soient à -2 ou à +12. C'est ce qu'il faudrait observer, plutôt que de se concentrer sur les agences de notation. A la limite, si on veut s’attarder sur quelque chose venant des agences de notation, ce n’est pas leurs notations, mais leurs prévisions

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Est-il compréhensible que la note de la France ait été maintenue ?

 Il se trouve que le gouvernement français n'est pas sincère et mérite d'être dégradé, car il présente systématiquement des prévisions de croissance trop optimistes afin d'obtenir des prévisions de recettes fiscales avantageuses. C'est une pratique classique qui remonte à l'époque de Giscard et de Mitterrand, donc ce n'est pas nouveau. Cependant, depuis l'arrivée de Macron, cela est devenu un sport de haut niveau. Il a toujours fait des prévisions de recettes fiscales basées sur des hypothèses de croissance les plus élevées, en ignorant totalement la possibilité de récession à court et moyen terme. Tout cela dans le but de faire croire à Bruxelles que ces objectifs ont été atteints, ce qui est loin d'être le cas. De plus, il essaie de faire croire aux Français qu'il a une logique de rigueur budgétaire, ce qui est totalement faux. Ces prévisions truquées devraient nous alarmer et nous inciter non pas à une simple dégradation de notation, mais à une dégradation de 2 ou 3 crans. Lorsque vous voyez la Banque de France et Bercy communiquer sur une croissance de 1,7% en 2024 et 2025, et affirmer même que nous aurons une croissance trimestrielle de 0,4% pendant 8 trimestres consécutifs, cela devient tout simplement ridicule. En résumé, ils semblent croire qu'il n'y aura aucune conséquence à une hausse de 350 points de base des taux d'intérêt. Et  alors que nous vivons dans un monde rempli d'incertitudes, ils croient qu’il n’y aura aucun problème de dépendance énergétique, etc.. Ils semblent penser que nous ne rencontrerons aucun choc, qu'il soit interne ou externe. Tout cela est vraiment exagéré. Mais cela leur permettre de gloser sur le retour à 3% de deficit. Cela devrait être sanctionné pour insincérité.

Oui, il est évident pour moi que l'économie française se dégrade, et il n’y a pas besoin de S&P. Je dirais simplement qu'il y a suffisamment d'arguments solides pour dégrader la situation économique française. Cela n'aura pas beaucoup d'impact car nous ne sommes pas dans la zone où nous deviendrons non investissables si nous perdions un ou deux rangs. L'impact serait principalement symbolique et politique. À mon avis, il serait préférable de le faire juste avant les élections européennes ou avant une échéance politique importante. Si cela se fait juste avant l'été, cela n'aura pas beaucoup d'effet.

Nous rencontrons de nombreux problèmes, alors même que nous sommes encore en période de rebond post-pandémique. Le taux de chômage est relativement faible, mais nous sommes encore loin du plein emploi. L'argent revient un peu dans les caisses de l'État grâce à ce rebond, tant que nous faisons semblant et ne demandons pas le remboursement des PGE (Prêts Garantis par l'État). Tant que les choses se maintiennent à peu près, cela peut aller. Nous avons quelques arguments supplémentaires pour temporiser. Cependant, le problème est que nous avons devant nous une montagne de hausses des taux d'intérêt, ce qui entraînera une dégradation du marché du crédit et du marché immobilier. Ces corrections prendront du temps à se réaliser. L'immobilier est déjà touché et cela aura un impact sur les finances locales, nationales, la confiance et la richesse des consommateurs. Cela affecte la France de 15 façons différentes et il sera très difficile de s'en remettre. Les prévisions gouvernementales ne sont pas du tout en ligne avec ce que je viens d'expliquer.

Pour que les choses se passent bien, il est important que les hivers restent doux et que nous continuions à importer massivement du GNL en espérant que les Chinois ne l'accaparent pas sur les marchés, que l'Ukraine ne devienne pas un terrain trop instable. En résumé, tout doit bien se passer. Aucun nouveau choc géopolitique ni énergétique, et que la BCE se calme après l’été. La masse monétaire s'effondre comme jamais depuis les années 30. L’euro est cher. Et quand je regarde tout cela, je me dis que la notation de S&P est le cadet de nos soucis.

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