La France compte 3 des 6 meilleures écoles au monde pour former les grands patrons… sans qu’il y ait de quoi s’en réjouir<!-- --> | Atlantico.fr
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"Ce qui manque, en France, ce n'est pas seulement un brassage des idées mais c'est aussi un brassage social".
"Ce qui manque, en France, ce n'est pas seulement un brassage des idées mais c'est aussi un brassage social".
©Flickr/Victor1558

Triangle d'or

Le Times Higher Education, référence de la presse universitaire, vient de publier le classement des écoles les plus à même de former les grands patrons. L'ENA, HEC et Polytechnique se classent parmi les six premières au monde. Un fait qui pourrait bien en dire plus qu'il n'y parait sur le système d'éducation dans l'Hexagone.

François Dupuy

François Dupuy

François Dupuy est Directeur Académique du Centre Européen d'Education Permanente (CEDEP) et consultant indépendant.

Il est l'auteur de La fatigue des élites : Le capitalisme et ses cadres (Seuil, avril 2005)  Lost in management : La vie quotidienne des entreprises au XXIe siècle (Seuil, février 2011) et Sociologie du changement - Pourquoi et comment changer les organisations (Dunod, janvier 2004).

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Atlantico : Le magazine britannique Times Higher Education a publié sa liste des meilleurs écoles au monde pour former les élites (voir ici). Ainsi, trois écoles françaises - Polytechnique, HEC et l'ENA - occupent les places 4, 5 et 6. Cependant, si l'on retrouve, chez nous, systématiquement les mêmes écoles dans les profils des grands patrons, est-ce aussi parce qu'il n'y a que très peu de grandes écoles ?

François Dupuy : Il est vrai que ce que les Français considèrent traditionnellement comme des "grandes écoles" sont en apparence peu nombreuses et qui plus est, les mêmes "élites" en font au moins deux dans la foulée (c'est le cas de François Hollande avec HEC et l'ENA). Cela dit, en y regardant de près, la liste des écoles qui forment les dirigeants d'entreprises à tendance à s'élargir. On est frappé par la présence exceptionnelle de la France dans le palmarès européen de Business Schools et par la montée en puissance de ces mêmes écoles. L'INSEAD (que personne ne cite jamais car elle se définit comme européenne plus que comme française) soutient depuis longtemps la comparaison avec ses homologues anglo-saxonnes. L'EM Lyon pour ne citer qu'elle, a fait une entrée remarquée dans le cercle des plus performantes de ces institutions. Mais bien sur, cela n'a rien à voir en densité avec les quelques 600 Business Schools - de qualités très diverses il est vrai - que comptent les Etats-Unis. Il est compréhensible que la palette de ces écoles s'élargisse en France : les besoins sont en effet de plus en plus nombreux alors que celles qui sont supposées tenir le haut du pavée (ENA et Polytechnique en particulier) cultivent une rareté qui est censée leur donner leur valeur. Vision à courte vue dans laquelle on confond rareté et qualité.

Ces grandes écoles forment-elles correctement les élites françaises aux besoins économiques et sociaux réels ou ces dernières deviennent-elles déconnectées des réalités comme le suggèrent certains?

On peut en effet s'interroger sur le contenu des enseignements dispensées par ces écoles (avec toutes les nuances nécessaires) et sur leur adaptation aux fonctions de direction ou simplement d'encadrement. La primauté est en effet généralement donnée à la "technique", qu'elle soit celle de l'ingénieur ou celle de l'administrateur. Le droit, la norme, la spécialisation y tiennent une place qui occulte plus ou poins la compréhension des comportements et du fonctionnement des organisations humaines, ce qui est en premier lieu ce que les dirigeants auront à gérer. Il est d'ailleurs frappant de constater que dans l'entreprise, on appelle aux responsabilités en premier lieu ceux qui réussissent techniquement. Or, management et technique sont deux activités bien différentes et le succès dans la deuxième ne préjuge rien des résultats dans la première. D'où le comportement "impérial" de quelques grands patrons qui n'ont d'autres solutions que l'injonction autoritaire pour faire appliquer leurs décisions. 

De même, dans les écoles qui se veulent  très orientées vers le "management" on a tendance à enseigner des modèles d'action et/ou de compréhension qui ont peu à voir avec la réalité telle qu'elle est. Il en résulte parfois un vrai désarroi de patrons, impuissants à appréhender une réalité qui échappe aux modèles qu'ils ont appris. C'est l'origine de quelques drames sociaux...

Quelles sont les conséquences d'avoir des "grands patrons" et des élites tous issus des mêmes écoles, presque sans diversité dans les profils ?

Les conséquences du recrutement des patrons par les mêmes filières sont connues depuis longtemps. La plus frappante bien sûr est celle du conformisme, de l'uniformité de pensée qui rendent difficile ce que les anglo-saxons appellent le "think out of the box". En France, pour filer cette métaphore, on a d'autant plus de chance de succès dans sa carrière que l'on a accepté de rester dans cette "boite". Si l'on ajoute à cela tout ce que l'on sait sur le recrutement de ces "grandes écoles", ce qui manque ce n'est pas seulement un brassage des idées mais c'est aussi un brassage social. On touche là à l'extrême difficulté à repérer et utiliser des talents dont le pays aurait grand besoin dans une compétition internationale qui est avant tout marquée par l'ouverture. C'est à n'en pas douter un handicap Français.

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