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Une manifestation anti-française organisée à Paris le 15 janvier 2022.
Une manifestation anti-française organisée à Paris le 15 janvier 2022.
©Thomas COEX / AFP

Changement d'époque

La France, restée la puissance tutélaire dans ses anciennes colonies, et militairement impliquée au Sahel depuis près de dix ans, apparaît désormais en Afrique comme une puissance illégitime, débordée par la concurrence d'autres influences exogènes.

Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani est avocat et essayiste, spécialiste du Moyen-Orient. Il tient par ailleurs un blog www.amir-aslani.com, et alimente régulièrement son compte Twitter: @a_amir_aslani.

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Depuis deux ans, le Sahel et l'Afrique de l'Ouest subissent une multiplication de coups d'Etat, menés par les forces armées locales mais aussi par des groupes rebelles. Tentative avortée en Centrafrique le 13 janvier 2021, putsch réussi contre Alpha Condé en Guinée en septembre de la même année, double coup d'Etat des forces armées au Mali en août 2020 et mai 2021, coup d'Etat enfin au Burkina Faso fin janvier 2022... A chaque occurrence, la France, restée pourtant la puissance tutélaire dans ses anciennes colonies, et militairement impliquée au Sahel depuis près de dix ans en réponse à l'appel de Bamako, s'est montrée incapable d'anticiper ces bouleversements, quand elle n'a pas appris les faits par voie de presse. Critiquée et accusée d'ingérence et d'incompétence pour faire reculer la menace terroriste par les populations locales et leurs gouvernements, ravis d'instrumentaliser le sentiment anti-français, la France apparaît désormais en Afrique comme une puissance illégitime, débordée par la concurrence d'autres influences exogènes, à commencer par la Russie via le groupe paramilitaire Wagner, déjà très impliqué en Centrafrique et en passe de le devenir au Mali. L'éviction de l'ambassadeur de France à Bamako, présentée par Paris comme un « rappel », souligne le décalage béant entre la perception de sa propre puissance par la France, et la réalité sur le terrain. 

Le fait est que la puissance française en Afrique, et plus largement dans le monde, n'est malheureusement plus ce qu'elle était. Le retour des juntes militaires en Afrique centrale et de l'Ouest confirme ce recul (déjà manifeste avec la perte du contrat d'armement avec l'Australie) et la disparition, de fait, de la Françafrique. Emmanuel Macron, à peine élu en 2017, affirmait que ce concept appartenait d'ores et déjà au passé, ce que la réalité sur le terrain durant ses cinq années de mandat a néanmoins démenti. Tel est en revanche le cas aujourd'hui face à une situation plus chaotique que jamais dans l'ancien pré carré français... Mais cet état de fait ne résulte en rien d'une volonté particulière de la France de rompre avec ses vieux réflexes coloniaux. Il témoigne à la fois de son manque de réalisme, ainsi que d'une tendance de fond que l'on observe depuis quelques années dans l'ensemble du continent africain. 

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Mais pourquoi autant de coups d’Etat en Afrique ?

Les vingt dernières années ont longtemps laissé croire que l'Afrique s'était enfin engagée sur la voie démocratique, ce que plusieurs élections libres réussies et des pays relativement stables qui servaient ainsi de références pouvaient attester. Mais face à la montée du terrorisme djihadiste et de l'instabilité, face à l'absence d'institutions démocratiques transparentes et solides, et au maintien d'une corruption au sein des élites gouvernantes, de nombreux pays africains, notamment dans le Sahel, ont finalement renoué avec l'époque des coups d'Etat militaires et des dictateurs qui prévalait au lendemain des indépendances dans les années 1950-1960. Peut-on d'ailleurs véritablement parler d'indépendance, lorsque la France, certes critiquée, se trouve simplement remplacée par d'autres puissances extérieures comme la Chine et la Russie, et à la demande de ces nouveaux régimes ? En troquant une ingérence étrangère contre une autre, l'Afrique ne sort pas, elle non plus, de la logique coloniale, une situation qui profite surtout aux juntes et à leurs nouveaux alliés. 

On ne peut cependant nier la responsabilité de la France dans sa propre balkanisation. Le cas du Mali est particulièrement emblématique. Sollicitée en 2013 face à la menace terroriste par le gouvernement central, la France a voulu faire le pari de former à la fois les forces armées locales et d'encourager le retour de l'Etat de droit afin de stabiliser la région. Dix ans après le début de son implication militaire, son bilan et sa légitimité sont très maigres. 

« Forte » d'une présence militaire réduite comme peau de chagrin depuis la fin de l'opération Barkhane (trois bases ont été fermées dans le nord du Mali, tandis que les effectifs ont été divisés par deux, à près de 2500 soldats dont 800 dans le cadre de l'opération Takuba), la France s'est de fait montrée incapable de limiter l'avancée des groupes djihadistes dans le pays. Les relations avec la junte militaire au pouvoir, où se mêlent critiques acerbes envers les Européens (qui ont culminé avec le renvoi de l'ambassadeur Joël Meyer en janvier dernier) et avancée des Russes via la compagnie Wagner, n'ont fait que se dégrader, ouvrant la possibilité d'un retrait total des forces européennes du Mali. La nature ayant horreur du vide, une telle situation ferait non seulement les affaires de Moscou et possiblement de Pékin, mais aussi des groupes terroristes dont l'influence n'aura jamais été aussi forte qu'aujourd'hui. Les Européens s'accordent donc deux à trois semaines pour décider de maintenir ou non leur présence au Sahel, ou de déplacer les diverses opérations militaires vers l'Afrique de l'Ouest pour les mener avec davantage de discrétion, par exemple au Burkina Faso. 

A quelques mois d'une élection présidentielle morose et entachée d'échecs notamment diplomatiques, Emmanuel Macron ne pourra guère vanter la réussite de sa politique africaine pour rehausser son bilan. Que ce soit dans le cas de l'accord sur le nucléaire iranien, de la crise ukrainienne, des relations avec la Turquie, la France semblait avoir déjà perdu sa capacité à inspirer la crainte. Quitter l'Afrique, et perdre ainsi le socle de sa puissance à l'international, acterait son déclassement au rang de puissance moyenne. Quand bien même Paris souhaiterait éviter un tel cas de figure, la situation au Sahel et en Afrique de l'Ouest semble indiquer qu'elle en prend déjà le chemin.

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