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La droite française est-elle maudite ? : les causes historiques de la malédiction de la droite
©JEFF PACHOUD / AFP

Bonnes feuilles

Guillaume Tabard publie "La malédiction de la droite" (éditions Perrin). Guillaume Tabard raconte comment la droite, majoritaire et longtemps dominante, s'est échinée à perdre le pouvoir depuis la fondation de la Ve République. Il s'interroge sur l'ampleur du séisme macronien et les conditions d'un possible sursaut pour la droite. Extrait 1/2.

Guillaume Tabard

Guillaume Tabard

Guillaume Tabard est rédacteur en chef et éditorialiste au Figaro. 

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Maudite la droite ? Le score de la liste des républicains aux dernières élections européennes – 8,48 % – a pour elle des allures de châtiment. Comme si, deux ans après son élimination dès le premier tour de l’élection présidentielle, les électeurs, « ses » électeurs, avaient voulu lui signifier son congé. Décréter son inutilité. Dresser son acte de décès. Lui dire qu’entre l’affirmation du macronisme et l’enracinement du lepénisme, la vie politique s’écrivait désormais sans elle. 

Maudite la droite ? Depuis la naissance de la Ve République, elle a pourtant tenu dans sa main les cartes du pouvoir bien plus longtemps que la gauche. Depuis 1959, elle a donné à la France cinq de ses huit présidents de la République : Charles de Gaulle, Georges Pompidou, Valéry Giscard  d’Estaing, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy. Trente-neuf ans à  l’Élysée, contre dix-neuf pour la gauche et ses deux présidents, François Mitterrand et François Hollande. Deux tiers du temps pour la droite, un tiers pour la gauche. Un équilibre que l’on retrouve, identique, à Matignon, où, de Michel Debré à François Fillon, treize occupants sont issus de ses rangs contre neuf Premiers ministres ayant appartenu au PS. Des élections de novembre 1958, après le retour au pouvoir de De Gaulle, à celles de juin 2007, consécutives à la victoire de Nicolas Sarkozy, la droite a remporté dix scrutins législatifs ; la gauche, quatre seulement, et les macronistes, un à ce jour. 

Cette suprématie d’apparence est cependant menacée par une sorte de dérèglement chronologique. Jusqu’à l’alternance de 1981, la majorité gaullo-giscardienne a régné vingt-trois années d’affilée. Depuis 1986, les expériences gouvernementales de la droite ont été entrecoupées par la réélection de François Mitterrand en 1988, puis la dissolution de 1997. Et quand elle a réussi à garder le pouvoir, ce fut au prix d’une guerre fratricide (l’affrontement Chirac-Balladur de 1995) ou d’une « rupture » crânement revendiquée (élection de Nicolas Sarkozy en 2007). Ce passage de la domination sereine à la discontinuité fébrile fut une première alarme, le pressentiment d’une fatalité. 

Et depuis 2012, le parcours électoral de la droite s’apparente à une descente aux enfers. Il y eut d’abord la défaite de Nicolas Sarkozy à l’élection présidentielle. Une défaite à la fois prévisible –  depuis 1978, l’alternance est presque toujours la règle au terme d’un mandat présidentiel ou d’une législature – et serrée – 3,28 points d’écart seulement. Il y eut ensuite l’éviction de François Fillon en 2017. Son absence au second tour a constitué un choc d’autant plus rude que trois mois plus tôt encore, personne ne doutait que la présidence de la République, après le déroutant quinquennat de François Hollande, ne revienne naturellement au candidat LR. Il y eut enfin l’humiliation de François-Xavier Bellamy en mai 2019. En dépit du rajeunissement des personnalités et du renouvellement du discours, la tête de liste choisie n’a pas pu remonter un courant contraire qui a conduit le parti héritier de tant de formations (l’UNR, le RPR, l’UMP) à la déroute ; une déroute dont l’ampleur oblige à s’interroger non seulement sur la capacité de LR à se redresser, mais aussi sur son existence même. 
La première défaite fut une sanction programmée, la deuxième un accident imprévu, la troisième une catastrophe traumatisante. Il est certes hasardeux d’établir un diagnostic sur la seule base d’élections européennes qui ont si souvent donné des résultats hors normes et sans lendemain. Mais il n’est pas exagéré de dire que la droite est, pour la première fois de son histoire, en danger de mort. Menacée d’être emportée par l’accumulation de démons qui la malmènent depuis des décennies et dont ce livre entend retracer l’histoire.

Ces démons sont légion : la division d’abord, d’autant plus meurtrière qu’elle frappe des personnes plus qu’elle ne confronte des idées ; l’incapacité à définir un corpus idéologique stable et cohérent ; la difficulté à mettre en place un mode d’organisation qui ferait de sa diversité un atout et non un handicap ; la malchance, ses passages au pouvoir ayant parfois coïncidé avec des retournements de conjoncture économique ; la peur, la pusillanimité ou la lâcheté aussi, la droite aux responsabilités s’évertuant souvent à renoncer à mettre en œuvre ce qu’elle promettait dans l’opposition. 

Aucune famille politique n’échappe à ces démons. Mais six décennies de la Ve  République incitent à se demander si la droite ne s’y complaît pas. Défiée par des concurrents ou des adversaires qu’elle n’a pas vu venir – hier le Front national, aujourd’hui La République en marche (LREM) –, elle se précipite avec une stupéfiante gourmandise vers des déconvenues qu’elle pourrait éviter. 

Désormais intermittente du pouvoir, la droite a pourtant donné à la France ce qu’elle a de plus stable : ses institutions. La Constitution du 4 octobre 1958 a résisté à tous les imprévus et à toutes les torsions ; jusqu’à l’« expérimentation hasardeuse » de la dissolution version Chirac. Ces institutions que François Mitterrand jugeait « dangereuses » avant lui, en pariant qu’elles le redeviendraient après lui, sont devenues un patrimoine quasi commun, du PS au Rassemblement national. Là où la gauche redoutait un excès d’autorité, menaçant pour la démocratie, la Constitution de la Ve a apporté stabilité et équilibre. C’est à la droite qu’on le doit. Paradoxalement, le fait que cet héritage soit partagé l’empêche de le revendiquer. Là où la gauche s’enorgueillit des « conquêtes sociales » qu’elle a apportées, la droite ne songe plus à brandir ce legs institutionnel pourtant précieux. 

D’où vient ce sentiment d’une famille politique ne parvenant pas à savourer ses succès et réussissant trop bien à donner ses faiblesses en spectacle ? Comment expliquer que, majoritaire plus souvent qu’elle ne le croit, elle ait si souvent gâché ses victoires et si constamment amplifié ses défaites ? Sous toutes les explications politiques perce un drame psychologique : la droite se meurt parce qu’elle ne s’aime pas.

Elle est d’abord frappée d’une malédiction historique qui l’a convaincue elle-même d’appartenir au camp des perdants, si ce n’est à celui du mal. La gauche s’est approprié le parrainage de la « glorieuse » Révolution française. La révolte contre les « tyrans », l’émancipation du citoyen, la transcription politique des Lumières, par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, c’est elle. Prenant la Révolution « comme un bloc », en occultant ses faces sombres, et, symétriquement, caricaturant la monarchie d’Ancien Régime en parangon de l’absolutisme, la gauche a préempté d’emblée le camp du bien, enfermant la droite dans celui du mal. À la première, la conscience éclairée des vainqueurs et la foi dans le progrès, à la seconde la « réaction » et la mauvaise conscience des vaincus de l’histoire. Or, l’identité se construit sur une histoire que l’on peut assumer. Difficile de le faire quand, avec le sociologue et historien André Siegfried, le clivage entre la droite et la gauche est réduit à « l’opposition entre le pouvoir absolu et le pouvoir populaire ». 

Vichy est l’autre tache hantant l’inconscient de la droite. La Révolution nationale voulue par le maréchal Pétain a jeté sur elle un « discrédit prolongé » selon l’expression de René Rémond. Peu importe que la Collaboration ait été menée par bien des hommes venus de la gauche (Laval, Doriot, Déat…) et que nombre de figures issues de la droite et même du royalisme aient été parmi les premières à rejoindre la Résistance (de Gaulle lui-même évidemment, mais aussi d’Estienne d’Orves, Leclerc, Thierry d’Argenlieu…), l’idéologie contre-révolutionnaire de l’État français l’a classée de ce côté-là de l’échiquier politique. Rendant impossible l’usage même du mot « droite » devenu, et pour longtemps, tabou. La droite est ainsi maudite parce que son nom lui est interdit. 

En revenant au pouvoir, de Gaulle lui a rendu son honneur, mais ne lui a pas rendu son nom. Parce qu’il a vu splendeurs et misères des deux côtés, l’homme du 18 Juin a toujours refusé de s’inscrire dans un camp, détestant peut-être plus encore celui où s’étaient forgées son histoire personnelle et sa formation intellectuelle. Fustigeant le clivage gauche/droite, il n’a juré que par le « rassemblement ». Une fois la Ve République instaurée, jamais les formations gaullistes n’ont voulu se définir comme étant de droite. Invoquant une préoccupation sociale plus affichée et une assise sociologique plus populaire. Que le gaullisme ne se résume pas à la droite est une évidence. Pourtant, la gauche quasi unanime a dénoncé le retour au pouvoir de l’homme du 18 Juin et s’est opposée à lui durant toute sa présidence. Ce qui, mécaniquement, a renvoyé celui-ci dans l’autre camp. Plus encore, l’élection du président de la République au suffrage universel, intuition gaullienne s’il en est, a été le facteur le plus décisif de la bipolarisation de la vie politique ; obligeant d’ailleurs la gauche à s’unir et le centre à intégrer, en plusieurs étapes, le périmètre de la majorité d’alors. Avec ce tournant décisif, il a bien fallu choisir son camp. Les quinze ans de gaullisme « pur » (les présidences de De Gaulle et de Pompidou) appartiennent donc bel et bien à l’univers de la droite ; mais sur le plan sémantique, l’étiquette a toujours été niée et refusée. Ce refus s’est prolongé avec l’élection de Valéry Giscard d’Estaing. Jamais la France ne fut à ce point coupée en deux – le troisième chef de l’État de la Ve l’emporta avec 50,81 % des voix, la marge la plus faible pour une présidentielle. Pourtant, l’élu a cherché à entretenir l’illusion d’un exécutif ne se limitant pas à un seul camp. D’où ses efforts pour « décrisper » la vie politique –  on ne parlait pas encore d’« ouverture » – et son rêve de rassembler « deux Français sur trois ». Giscard a toujours pris soin de mentionner conjointement « la droite et le centre », comme si la modération prêtée à la seconde étiquette devait corriger la dureté à laquelle la première était associée. En reprenant à la hussarde la vieille boutique gaulliste, Jacques Chirac, à son tour, a voulu s’inscrire dans la mystique du « rassemblement », baptisant son parti Rassemblement pour la République (RPR). Même lorsqu’il fut caricaturé en « facho Chirac », le futur maire de Paris a toujours refusé de se placer sous ce « label », jugé réducteur et pénalisant. Durant près de deux décennies, entre gaullo-chiraquiens et giscardiens, ce fut à qui renverrait aux autres ce mistigri infamant. Tandis que l’étendard de la gauche a toujours été brandi avec fierté par les siens, celui de la droite a toujours été caché et renié par ceux-là mêmes qui devaient le tenir.

Ce déni n’est pas qu’une affaire sémantique. Il traduit un refus d’identité qui a conduit la droite à jalouser la gauche, parfois à la singer, faisant par rapport à elle un complexe d’infériorité. 

En ne se nommant pas, la droite a montré qu’elle ne s’aimait pas. Dans le miroir de la réalité politique, elle s’est trouvée laide. Elle se désignait alternativement comme « majorité » ou « opposition ». C’est la gauche qui faisait claquer le mot « droite », comme on montre du doigt un pestiféré. Cela faisait pourtant belle lurette que les électeurs, de leur côté, se définissaient ainsi, ne comprenant pas pourquoi leurs leaders avaient honte d’eux. Ce n’est qu’au début des années 1990, sous le double effet du fiasco économique du premier mitterrandisme et de l’effondrement du bloc soviétique, que l’étiquette a cessé d’être infamante. Et que la droite, sous l’impulsion notamment d’Édouard Balladur et de Nicolas Sarkozy, a finalement accepté de s’appeler ainsi. Résilience tardive.

Cette malédiction sémantique n’explique pas tout. Ses défaites, ses échecs, ses ratés, ses rendez-vous manqués sont imputables en premier lieu à la pire des malédictions, celle de la division. Écrire l’histoire de la droite, c’est avant tout tenir la chronique de ces haines, jalousies ou incompatibilités d’humeur qui se sont données en spectacle et ont rythmé la vie politique à la manière d’un métronome. Il n’a pas fallu attendre le départ de De Gaulle pour voir ses héritiers s’abîmer en vaines querelles. Le Connétable lui-même s’est laissé dominer par son exaspération contre Antoine Pinay, avant d’être gagné par son ressentiment contre Georges Pompidou. Dès 1960, l’éviction du premier empêche la réconciliation entre la droite forgée par la Résistance et celle qui ne l’avait pas rejointe. Puis, jaloux de l’émancipation progressive de son Premier ministre, de Gaulle n’a pas hésité à écarter Georges Pompidou, et même à le maudire. Lequel Pompidou s’est à son tour prêté à la guerre avec son Premier ministre, Jacques Chaban-Delmas, dont le tempérament plus encore que sa « nouvelle société », trop libérale à ses yeux, l’agaçait au plus haut point. Acteur de l’ombre de cette bataille-là, Jacques Chirac fut ensuite le protagoniste principal de tant de conflits qui ont scandé la vie de la droite. Avec Valéry Giscard d’Estaing, dont il divorça spectaculairement en 1976 en quittant Matignon et qu’il contribua à faire battre par François Mitterrand en 1981. Avec Raymond Barre, qui lui contesta le leadership de la droite face au même Mitterrand sept ans plus tard. Avec Édouard Balladur, cet « ami de trente ans » qu’il envoya à Matignon en 1993 et qui manqua de lui souffler le poste dont il rêvait depuis si longtemps. Avec Nicolas Sarkozy enfin, dont il ne pardonna jamais la « trahison ». 

À ce terrible cortège d’ego de présidentiables qui s’entrechoquent, il faut ajouter la tentative de François Léotard de supplanter Valéry Giscard d’Estaing au sein de la famille libérale, la jalousie maladive des deux fils chiraquiens, Alain Juppé le fidèle et Philippe Séguin le rebelle, la stérile émancipation des « rénovateurs » contre leurs aînés, la détestation entre Nicolas Sarkozy et Dominique de Villepin… Plus récemment, en dépit de cinq ans en couple exécutif, ou précisément à cause de cette collaboration quotidienne au sommet, Nicolas Sarkozy et François Fillon ont étalé au grand jour leur mépris mutuel. Mis entre parenthèses par la démission de Laurent Wauquiez de la présidence des Républicains, le choc entre le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes et son homologue d’Île-de-France, Valérie Pécresse, était bien parti pour fournir un épisode haut en couleur de la sempiternelle guerre des chefs dont les récits – aussi comiques dans leur narration que tragiques dans leurs conséquences  – forment une part essentielle de cet ouvrage. 

Les rivalités personnelles ne sont pourtant pas l’apanage de la droite. Y eut-il jamais mépris plus haineux qu’entre François Mitterrand et Michel Rocard ? La détestation jalouse entre Lionel Jospin et Laurent Fabius, qui culmina au mémorable congrès de Rennes (1990), ne fut-elle pas plus violente que la rivalité boudeuse Séguin-Juppé ? Les inimitiés ont toutefois pris un tour plus passionnel dans cette famille-ci. Une question de culture politique. La gauche croit plus aux idées, au risque d’être prisonnière de l’idéologie. La droite pense avec Jean Bodin qu’« il n’est de richesse que d’hommes », au risque de s’empoisonner au venin de l’individualisme. C’est sa force – le pragmatisme et l’incarnation sont en politique l’antidote au sectarisme et au dogmatisme –, mais c’est aussi sa faiblesse, car elle se retrouve ainsi plus dépendante des passions humaines à l’état brut. Brutale, constante et sans concession, la haine Mitterrand-Rocard fut aussi l’illustration de l’incompatibilité entre deux gauches, entre le socialisme héritier du marxisme et la social-démocratie ; l’une défendant le primat du pouvoir politique, l’autre valorisant la société et les corps intermédiaires. La guerre Balladur-Chirac, à l’inverse, ne doit qu’à la rivalité entre deux hommes qui firent longtemps profession d’être en accord sur tout. La fameuse campagne de 1995 sur la « fracture sociale » fut moins l’expression d’une conviction profonde qu’une habileté tactique visant à doubler Édouard Balladur par la gauche. 

Et c’est encore à droite que l’on n’hésite pas à utiliser les « affaires » pour déstabiliser un concurrent. Jusqu’à sa mort, Georges Pompidou en a voulu au garde des Sceaux René Capitant et au ministre de l’Information Joël Le Theule, deux gaullistes de gauche, d’avoir laissé prospérer l’affaire Markovic, odieux montage visant à salir la réputation de l’épouse de l’ancien Premier ministre. Discrédité par la révélation de sa feuille d’impôts, attestant que le dispositif de l’avoir fiscal l’avait rendu non imposable, Jacques Chaban-Delmas savait que l’administration fiscale était contrôlée rue de Rivoli par Valéry Giscard d’Estaing, secondé par Jacques Chirac, deux rivaux. Si Nicolas Sarkozy a un temps promis Dominique de Villepin au « croc d’un boucher », c’est que le Premier ministre de 2005 jubilait à l’idée que l’affaire Clearstream puisse faire sortir du jeu son ministre de l’Intérieur et lui laisser ainsi la voie libre pour décrocher le Graal présidentiel. Quant à François Fillon, il reste convaincu que la proximité de Robert Bourgi avec Nicolas Sarkozy n’est pas étrangère au « piège » que lui a tendu l’homme d’affaires en lui offrant ces costumes qui ont définitivement plombé sa campagne. 

Cette haine de l’autre va parfois jusqu’à préférer la victoire d’un adversaire à celle d’un rival. Modèle inégalé à ce jour de cette logique de l’absurde : l’art avec lequel Jacques Chirac s’employa à faire battre Valéry Giscard d’Estaing au profit de François Mitterrand, en dépit des 110 propositions socialistes si éloignées de l’ADN gaulliste. Le même Chirac qui, trente ans plus tard, prit un malin plaisir à faire savoir qu’il voterait François Hollande contre Nicolas Sarkozy, successeur détesté mais appartenant malgré tout à sa famille politique. Que d’ingéniosité fallut-il aussi à la droite parisienne pour offrir en 2001 à Bertrand Delanoë un Hôtel de Ville où elle régnait en maître depuis des décennies !

Il serait cependant réducteur de ne mesurer les malheurs de la droite qu’à l’aune de ces batailles fratricides. Sa malédiction tient tout autant à l’impossible cohabitation de ses différentes composantes idéologiques. Ce n’est pas nouveau. La distinction opérée par René Rémond dans son ouvrage « fondateur », La Droite en France, est devenue la matrice de toute analyse sur ce courant politique. L’historien a distingué trois droites s’étant succédé au pouvoir entre 1815 et 1870 : la droite « légitimiste » ou « ultraciste » de la Restauration, la droite « orléaniste » de la monarchie de Juillet et la droite « bonapartiste » du Second Empire. La première est conservatrice, la deuxième libérale et la troisième autoritaire. L’une s’ancre dans la tradition, l’autre réserve le pouvoir aux élites, la dernière s’appuie sur le peuple et exalte l’idée de nation. Depuis soixante-cinq ans, cette grille de lecture fonctionne. Avec bien des nuances, certes, mais avec une constance qui s’est à nouveau vérifiée lors de la primaire de novembre 2016 chargée de désigner le candidat à l’élection présidentielle. Plus conservateur sur les questions familiales et sociétales, massivement soutenu par l’électorat catholique, provincial d’ancrage et de style, François Fillon aura été le dernier héraut de la droite légitimiste. Libéral, girondin depuis qu’il est maire de Bordeaux, d’une tempérance conforme au « juste milieu » cher à Louis-Philippe, Alain Juppé figure le parfait représentant de la droite orléaniste. Martial et volontariste dans son discours, suscitant un engouement marqué de la part de militants attachés au culte du chef, touchant un électorat sensiblement plus populaire que ses concurrents, Nicolas Sarkozy, enfin, incarne sans conteste la droite bonapartiste. Cette typologie sommaire confirme qu’au-delà du cours de l’histoire et de l’évolution de la société, trois grandes sensibilités continuent de traverser la droite française. Ce qui aurait pu être une richesse s’est transformé en faiblesse. Car ces traditions se sont plus opposées qu’elles n’ont su, ou voulu, se conjuguer.

Extrait du livre de Guillaume Tabard, "La malédiction de la droite", publié aux éditions Perrin

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