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Le parti "Les Républicains" a fait le choix d'une "opposition constructive".
Le parti "Les Républicains" a fait le choix d'une "opposition constructive".
©LIONEL BONAVENTURE / AFP

Des réformes pour plaire à LR ?

Emmanuel Macron a mis en œuvre une partie des réformes que la « droite de gouvernement » envisageait sans oser vraiment les faire.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Le gouvernement veut mettre fin au remboursement des arrêts de travail délivrés en téléconsultation lorsque ceux-ci ne sont pas délivrés par le médecin traitant, a annoncé le ministre de l'Action et des Comptes publics, Gabriel Attal, au Journal du Dimanche. Dans quelle mesure est-ce le dernier signal en date envoyé à la droite LR pour leur donner des gages ?

Christophe Boutin : Cette mesure est loin d’être un signal envoyé à la seule droite des Républicains, car ce signal vise clairement toute une tranche de la population, âgée et urbaine, peu encline à certaines considérations sociales, et vite persuadée que notre système de protection sociale part à la dérive à cause des méchants fraudeurs du bas peuple. Il semble pourtant permis de se poser trois questions. D’abord, celle de savoir qui sont ces fraudeurs, statistiques à l’appui. Ensuite, celle de l’impact sur l’équilibre budgétaire de notre système de protection sociale de ponctions opérés par des personnes dont ni elles ni leurs familles n’ont jamais cotisé. Enfin, la question du non-paiement de leur part par certaines entreprises ou l’État. Une fois les réponses à ces questions apportées, et chaque chose ayant été appréciée à sa juste valeur, il sera temps alors de s’indigner sur telle ou telle fraude. En attendant, jouer sur le réflexe de classe d’un électorat qui est déjà au moins aussi macronien que LR n’est jamais qu’une manœuvre politique assez basse.

Cette déclaration est par ailleurs totalement déconnectée des réalités de terrain. Si, peut-être, un système de téléconsultations peut favoriser les crises, il n’existe que parce que l’effondrement du système de santé a conduit des entreprises à but très - mais vraiment très - lucratifs, à proposer aux Français de quoi combler les vides – qui n’ont peut-être jamais été créés, dirons les mauvaises langues, que pour permettre à ces entreprises de prospérer. De la même manière que le système rationnellement aberrant du numerus clausus allait conduire mécaniquement à accepter d’intégrer des médecins ayant des diplômes étrangers, dans un moins-disant qualitatif seul à même de  permettre à certains services de rester ouvert, de même, l’impossibilité dans laquelle sont nombre de Français de la France périphérique d’avoir un médecin traitant, les généralistes nos provinces, surchargés, refusant les nouveaux patients, rend nécessaire la mise en place de ces téléconsultations qui se moquent des distances, mais qui ne seront jamais que des pis-aller par rapport à une consultation physique.

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Emmanuel Macron n’est bien sûr pas responsable de l’ensemble de cette dégradation, commencée bien avant lui, et menée par des gouvernements de droite comme de gauche, mais la politique de ses gouvernements n’aura guère amélioré la situation. Quant au malheureux Gabriel Attal, personnage caricaturalement hors-sol, totalement déconnecté des réalités de la France périphérique, il se contente ici de flatter démagogiquement dans le sens du poil un électorat macroniste – mais peut-être aussi LR, ou Modem, ou PS, un électorat en tout cas âgé, urbain et sans grands soucis financiers –, en expliquant agir ainsi pour « protéger les Français ». Tous ceux qui, aujourd’hui, ne peuvent plus se soigner normalement, dans une France où le système de santé s’effondre sur lui-même, apprécieront.

Que ce soit sur les retraites ou sur le budget (PLF ou PFLSS) à quel point Emmanuel Macron cherche-t-il à tendre un piège à LR ? Les mettre en situation de devoir se plier (puisqu’ils voulaient les mêmes réformes) ou apparaître comme politicienne si elle s’oppose frontalement à ce qu’elle vend à son propre électorat ?

Peut-on parler de « piège tendu aux Républicains », alors que les convergences entre la politique menée par Emmanuel Macron dans certains domaines - et notamment ceux que vous relevez, de la stabilité budgétaire à la question de la réforme des retraites -, sont évidentes ? Admettre qu’Emmanuel Macron a mis en œuvre une partie au moins de ces réformes que la « droite de gouvernement » envisageait sans oser vraiment les faire, mais qui faisaient bel et bien partie du programme de certains de ses candidats, ne peut que conduire à apporter un soutien à cette partie des politiques menées. C’est d’ailleurs le choix des Républicains, celui d’une « opposition constructive », qui, au cas par cas, choisit de soutenir telle proposition de texte émanant du gouvernement qui semble aller « dans le bon sens ». 

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Si, autre hypothèse, ces mêmes Républicains choisissaient au contraire de s’opposer de manière systématique à ces réformes, d’une part, ils devraient renier leurs choix antérieurs, ce qui est toujours délicat, mais aussi, d’autre part, ils se trouveraient, comme vous le signalez, en désaccord avec une partie au moins de leur électorat. Celle-ci pourrait alors choisir de rallier, non pas directement Renaissance, mais plus vraisemblablement un parti comme Horizons d’Édouard Philippe, composé d’anciens membres des Républicains. 

Reste donc à se livrer à un exercice relativement difficile. Définir d’abord jusqu’où l’on peut aller dans le « suivisme » à la politique menée par Emmanuel Macron. Tenter ensuite, par un jeu d’amendements déposés sur les textes, de se présenter comme ayant négocié avec la majorité une sorte de participation à des réformes qui ne seraient plus alors celles d’Emmanuel Macron mais celles du « camp de la Raison », ce qui permettrait aux Républicains de sortir la tête haute, ou moins basse, de cette confrontation.

 Si la droite LR s’enferme dans ce débat en restant sur la thématique de « réforme » ou des « réformes » ne risque-t-elle pas d’être obligée en cela de suivre Emmanuel Macron qui tient le même discours ?

Non, tout simplement parce que « la réforme » ou « les réformes » sont des formules bien générales, et que l’on peut être réformiste de bien des manières, souple ou brutale, partielle ou totale. Avec des éléments aussi complexes que, par exemple, la réforme des retraites, il y a bien des manières de procéder. De la même manière, lorsqu’il s’agit de savoir comment protéger le pouvoir d’achat des Français, entre la baisse des taxes ou l’augmentation des salaires d’une part, et les chèques destinés à faire taire telle ou telle catégorie sociale d’autre part, il y a bien des voies intermédiaires ou complémentaires. 

La question est ici plus de savoir quelles sont les images que donnent ces réformes, et celles qu'il est essentiel d’obtenir ou plus encore de refuser pour conserver ou améliorer son statut ou son identité politique. Il est vraisemblable ici que les Républicains, s’ils vont céder sur un certain nombre de réformes économiques qu’encore une fois ils avaient déjà validé dans leur propre programme, devraient au contraire, pour conserver leur statut d’opposants, montrer un front résolu sur le plan des réformes culturelles, face aux propositions d’un progressisme déconstructionniste. 

Pour autant, le parti a très longtemps - et peut-être trop longtemps – accepté de passer sous les fourches caudines d’un pouvoir culturel totalement acquis à ces thèses, et ses représentants auront sans doute des difficultés à sauter un pas qui ne pourrait que les rapprocher des thèses défendues par la droite du Rassemblement national, mais aussi, et surtout, de celles de cette droite conservatrice qui s’est rassemblé derrière la candidature d’Éric Zemmour à la présidentielle. Il n’est donc pas évident que certains membres des Républicains - et on le voit bien autour des débats internes sur le choix de leur futur président -, mais aussi certains alliés centristes des Républicains, acceptent cette tactique d’un accord sur certaines questions économiques masqué par un désaccord sur les questions sociétales.

La sortie de l’ornière ne serait-elle pas, pour LR, de proposer une véritable refondation du système plutôt que de se montrer simplement « réformateurs » ou « gestionnaires » afin de pouvoir proposer une autre voie qu'Emmanuel Macron sans nécessairement se dédire ?

 Le problème est qu’une véritable refondation du système, quel que soit le domaine ou presque, passe nécessairement de nos jours par la question de la place de l’Union européenne et du rapport subordonné des réglementations françaises aux textes européens. Qu’il s’agisse de l’Énergie, de la Santé, de la Sécurité sociale, du droit du travail, autant d’éléments sur lesquels on pourrait effectivement fort légitimement penser refonder quelque chose, sans se contenter de gérer l’existant ou de faire des réformettes. Mais ce sont aussi autant de points sur lesquels une telle refondation risquerait d’entrer immédiatement en conflit avec les diktats de la Commission européenne. 

Il paraît donc très difficile de renverser la table, de proposer quelque chose de radicalement nouveau, sans poser cette question de la place de l’Union européenne. Or, chez les Républicains, il n’est pas question de remettre en cause cette suprématie du droit européen, si ce n’est de manière très infime, à la marge, et chez certains d’entre eux seulement - contrairement par exemple à ce qui peut être le cas, là encore, aussi bien au Rassemblement national qu’à Reconquête. Cet européisme partagé entre Emmanuel Macron et LR, même s’il peut prendre des formes différentes, plus ou moins mystiques, obère en fait toute possibilité d’un trop grand écart entre les propositions des uns et des autres sur bon nombre de réformes.

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