La crise va-t-elle nous obliger à réécrire nos manuels d'économie ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Allons-nous devoir réécrire certains chapitres des manuels d'économie ?
Allons-nous devoir réécrire certains chapitres des manuels d'économie ?
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Relecture

Les universitaires enseignant les politiques monétaires sont de plus en plus désemparés par les nouveaux outils créés par les banques centrales pour faire face à la crise. Un phénomène qui pourrait amener à la réécriture de plusieurs chapitres de nos manuels d'économie...

André Fourçans

André Fourçans

André Fourçans est professeur d'économie à l'Essec. Il a aussi enseigné dans deux universités américaines ainsi qu’à l’Institut d’études politiques de Paris.

Il est l'auteur de plusieurs ouvrages de vulgarisation économique dont Les secrets de la prospérité - l’économie expliquée à ma fille 2, Seuil, 2011.

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Atlantico : Les nouveaux outils sophistiqués qu'ont inventé les banques centrales (BCE, Banque du Japon) pour faire face à la crise compliquent l'enseignement des politiques monétaires dans les universités. Doit-on aujourd'hui réécrire nos manuels d'économie pour les actualiser ?

André Fourçans : Cela fait pas mal d’années que j’enseigne et écris sur la théorie et la politique monétaires. Ce n’est pas toujours une matière facile à appréhender. Elle intègre des concepts et des mécanismes parfois complexes et le domaine peut vite devenir très technique. Néanmoins, la polémique continuelle sur l’inanité de la science économique pour expliquer la crise est loin d’être justifiée.

En dépit de ce que l’on entend trop souvent dans les débats, nos modèles ont beaucoup à apporter pour mieux comprendre la crise. Par exemple, on sait que les banques centrales ont baissé leur taux d’intérêt à quasiment à zéro et ont injecté un montant historiquement considérable de liquidités dans le système bancaire. Et pourtant, le crédit et de la monnaie restent atone, et l’économie dans son ensemble en fait de même. Pourquoi ? Comme toujours en analyse économique il faut examiner l’offre et la demande. Du côté de l’offre les banques hésitent à prêter aux entreprises et aux ménages car elles craignent le risque de ne pas être remboursées étant donné la situation économique générale. Elles préfèrent donc garder la majeure partie des liquidités fournies par le banquier central dans leurs coffres (en fait sous la forme de dépôts à la banque centrale), même si elles n’en retirent qu’une rémunération minime, voire nulle, mais au moins elles ne perdent rien. Du côté de la demande de crédit, les agents eux-mêmes sont réticents à emprunter. Les entreprises ne veulent pas investir étant donné l’incertitude générale de leurs marchés, la hausse, ou au moins la crainte d’une hausse, de la fiscalité étant donné les déficits budgétaire et l’endettement public. Il en va de même pour les ménages qui ont peur d’avoir des difficultés à rembourser et craignent d’avoir à payer trop d’impôts. Résultat des courses, le système monétaire ne stimule pas vraiment l’économie comme il le ferait en période « normale », l’emploi et la croissance stagnent.

En résumé, le principe de fonctionnement de fond des mécanismes monétaires n’est pas en cause, ce sont les conditions particulières du moment qui font que la politique monétaire n’a que peu d’effet. Dans cette optique, pas vraiment besoin de réécrire les modèles monétaires, il s’agit de bien les expliquer et d’en adapter la pertinence empirique à la situation économique que nous traversons.

Cela sous-entend il que notre connaissance des phénomènes monétaires peut encore être perfectionnée ? Comment ?

Bon, dire que les modèles monétaires existant ne doivent pas être rejetés (enfin, les bons, ils ne le sont pas tous…) ne signifie pas que tout soit pour le mieux dans le meilleur des mondes. Il faut évidemment continuer nos recherchent pour mieux comprendre l’évaluation et  l’impact du risque sur les comportements bancaires, et plus généralement sur les marchés financiers. Et le rôle de ce risque lorsqu’il devient « systémique » (qu’il affecte tout le système économique et pas seulement une ou quelques banques), et à partir de quel moment il s’avère dangereux pour l’économie dans son ensemble. Il convient aussi de mieux comprendre le rôle des anticipations des agents économiques, notamment en matière de prix et des bulles qui peuvent leur être associées. Et à partir de là, en tirer des leçons pour la conduite de la politique monétaire par les banques centrales. Notamment en situation de risque accru et/ou de bulles financières. Tout cela n’est pas rien, mais ne remet pas en cause de fond en comble la théorie économique.

En France, d'aucuns ont déjà dénoncé vertement le caractère "idéologique" de plusieurs manuels, en particulier dans l'enseignement secondaire. Faut-il envisager une cure d'objectivité dans le domaine ?

Pour en venir à l’enseignement de l’économie en France il y aurait bien sûr beaucoup à dire. « Idéologique » ? Peut être, en tout cas pas mal biaisé en faveur d’une vision keynésienne un peu simpliste. En deux mots, il existe une fâcheuse tendance à considérer que les marchés sont « méchants » et l’Etat est « bon ». Que l’interventionnisme public est nécessaire un peu plus que de raison pour résoudre nos problèmes économiques. Qu’il faut essentiellement stimuler la demande globale de biens et services pour assurer la croissance et l’emploi, les questions d’offre étant sinon négligeables, du moins secondaires. Alors « envisager une cure d’objectivité », je ne sais pas très bien ce que cela veut dire, mais il faudrait en tout cas davantage considérer l’économie et son enseignement comme une science, certes une science humaine, mais néanmoins une matière suivant les préceptes d’une science expérimentale. On en est loin en France. Vaste programme dans un pays comme le notre où l’on préfère un « discours sur » l’économie plutôt qu’une analyse structurée et « objective ». Et comme (presque) tout un chacun se prétend économiste, l’opinion l’emporte trop souvent sur l’analyse.

Peut-on dire, de manière générale, que nous n'avons pas encore tiré toute les leçons économiques de la crise ?

Toutes les leçons, ce serait exagéré, le fait-on jamais ? Mais les économistes-chercheurs, à travers le monde, ne dorment pas dans leur rassurante tour d’ivoire en attendant que la situation s’améliore. De nombreuses recherches sont en cours pour améliorer nos connaissances des mécanismes et des comportements, notamment dans les domaines dont j’ai dit quelques mots un peu plus haut. Et ceci tant sur le plan théorique qu’empirique. Un peu de patience  et vous verrez que quelques pépites en sortiront !

Propos recueillis par Théophile Sourdille

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