La contre-révolution woke pourrait bien émerger de la révolte californienne contre les procureurs d’extrême-gauche du Golden State<!-- --> | Atlantico.fr
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Le procureur du district de San Francisco, Chesa Boudin, prend la parole lors d'une conférence de presse le 10 mai 2022 à San Francisco.
Le procureur du district de San Francisco, Chesa Boudin, prend la parole lors d'une conférence de presse le 10 mai 2022 à San Francisco.
©JUSTIN SULLIVAN / GETTY IMAGES AMÉRIQUE DU NORD / GETTY IMAGES VIA AFP

Retour de bâton

Comme l’a montré l’éviction de Chesa Boudin à San Francisco, les démocrates modérés semblent vouloir siffler la fin de la récréation woke…

Gérald Olivier

Gérald Olivier

Gérald Olivier est journaliste et  partage sa vie entre la France et les États-Unis. Titulaire d’un Master of Arts en Histoire américaine de l’Université de Californie, il a été le correspondant du groupe Valmonde sur la côte ouest dans les années 1990, avant de rentrer en France pour occuper le poste de rédacteur en chef au mensuel Le Spectacle du Monde. Il est aujourd'hui consultant en communications et médias et se consacre à son blog « France-Amérique »

Il est aussi chercheur associé à  l'IPSE, Institut Prospective et Sécurité en Europe.

Il est l'auteur de "Mitt Romney ou le renouveau du mythe américain", paru chez Picollec on Octobre 2012 et "Cover Up, l'Amérique, le Clan Biden et l'Etat profond" aux éditions Konfident.

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Atlantico : Chesa Boudin, le procureur de San Francisco a été destitué, qui était-il ? Que s’est-il passé ?

Gérald Olivier : Son profil est intéressant, il a été élu en 2019. Il avait travaillé pour diverses administrations du côté de San Francisco, mais aussi, plus jeune, au Venezuela, comme traducteur au service d’Hugo Chavez. Il est aussi le fils de deux militants d’un mouvement terroriste radical des années 1960, le Weather Underground. Un mouvement d’extrême gauche dont les membres ont commis des attentats à l’époque. Ses parents ont d’ailleurs été emprisonnés après un braquage de fourgon blindé où un agent avait été tué. Chesa Boudin a été élevé par une personne au nom de Bill Ayers, qui était le leader de ce mouvement. Au passage Bill Ayers a bénéficié d’un pardon présidentiel pour ses crimes de la part du président Obama… Boudin vient donc de l’extrême gauche radicale et a toujours prôné la destruction du système judiciaire et social américain. Il considère que la justice américaine est intrinsèquement raciste et qu’il n’y a d’autres moyens de la changer que de faire table rase. Pour lui, le criminel est une victime de la société. C’est cette doctrine qu’il a appliquée comme procureur, en cessant de poursuivre certains délits (« quality-of-life crimes »). Avec des résultats catastrophiques pour la sécurité quotidienne des habitants de San Francisco, ce qui a suscité cette procédure de rappel ou de renvoi (recall).

Il a finalement été rappelé (recall) par les électeurs, que s’est-il passé ?

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Les électeurs de San Francisco en ont eu marre du chaos, tout simplement, et ils ont voté massivement (plus de 60%) pour que Boudin soit destitué de son poste. C’est une procédure qui existe dans beaucoup d’Etats américains et qui se déroule en deux étapes. D’abord il faut réunir un certain nombre de signatures (51 000 à San Francisco) pour que le « recall » soit soumis au vote des électeurs. Ensuite il faut qu’il soit approuvé par au moins 50,1% des votants.  Il y a eu deux tentatives de rappel. La première, menée par un Républicain qui avait lui-même été candidat à la mairie de San Francisco, avait échoué. La seconde, n’a pas été orchestrée par des républicains mais par des démocrates modérés qui estimaient nuisible l’action du procureur pour la ville de San Francisco et pour l’image du parti démocrate. En effet, depuis deux San Francisco a fait la Une des médias américains pour l’explosion de sa criminalité, petite et grande.

Les Démocrates modérés sont-ils en train de se retourner contre la frange radicale ?

A San Francisco, c’est une évidence. C’est une ville très progressive, très tolérante. On trouve trois types de population à San Francisco : une bourgeoisie sociale libérale gagnant beaucoup d’argent,  un prolétariat et sous-prolétariat urbain, à la fois Noir et Hispanique, en plus d’une importante minorité chinoise, plutôt discrète sur le plan politique.  Le centre ville  commercial et administratif de la ville jouxte un quartier délabré appelé le « tenderloin » où s’entassent les sans-abris. Ce quartier est devenu invivable. Et les commerces en ont souffert. Les vols à l’étalage n’étant plus poursuivis les grands magasins étaient régulièrement pris d’assaut par des bandes de pillards qui savaient agir en toute impunité. C’était devenu infernal. Même les bourgeois ne pouvaient plus venir en centre-ville faire leurs achats, c’était trop dangereux. Donc ils ont fini par dire « stop ».

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San Francisco n’est pas un cas isolé. Il y a d’autres villes aux Etats-Unis avec des procureurs aussi radicaux ou révolutionnaires que Chesa Boudin, comme George Gascón à Los Angeles, c’est aussi le cas à Philadelphie, à Baltimore, à Chicago. Ils ne croient pas à l’incarcération des criminels, et pensent que certains délits sont justifiés par les inégalités sociales. Ils ont donc mis leurs idées en pratique avec des résultats si catastrophiques que mêmes les électeurs bien pensants ont cessé de les soutenir. D’autres rappels pourraient suivre ailleurs.  Une pétition pour le rappel de George Gascon a été lancée  à Los Angeles. 

Cela pourrait-il être le début d’une contestation plus large du wokisme, d’une forme de « contre-révolution » ?

Les excès et les aberrations du « wokisme » ont fini par soulever une forte vague d’opposition. A San Francisco, il y avait déjà eu des procédures de rappel contre trois membres de la commission scolaire qui avaient notamment voté pour changer les noms des écoles publiques nommés pour des personnages historiques désormais contestés, dont George Washington lui même. Les électeurs ont jugé qu’il y avait des limites à l’absurdité et à la bêtise, même quand elle de gauche et eux aussi. Ils ont donc renvoyé ces commissaires.

La culture « woke » progresse aux Etats-Unis depuis plusieurs décennies, allant toujours plus loin dans son culte de l’identité et de la subversion, mais depuis l’arrivée de Joe Biden à la présidence, elle semble s’être affranchie de toute limite, ce qui a fini par faire peur aux Démocrates eux -mêmes. D’autant que Biden avait fait campagne, rappelons-le, sur le fait d’être un vieux sage centriste qui allait rassembler les Américains. Or c’est l’inverse que l’on observe depuis qu’il est entré à la Maison Blanche. Il agit et parle comme un partisan, un diviseur, obsédé par l’idée de se débarrasser de toute forme d’opposition,  en dénonçant tout désaccord avec sa politique comme une forme de «  terrorisme intérieur ».

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Il est plus que probable qu’aux élections intermédiaires de novembre les électeurs se détournent massivement des candidats démocrates, surtout les plus radicaux, et que le Congrès et d’autres institutions retombent entre les mains des Républicains, qui n’attendent qu’une chose, la chance de mener la contre-révolution.

A quel point les Démocrates modérés vont-ils participer à ce retour de bâton ?

Cela est difficile à quantifier précisément mais même au sein des électeurs démocrates Biden suscite plus d’opinions défavorables que favorables. Lorsque les grands médias comme CNN ou le Washington Post se retournent contre la politique de l’administration Biden, comme ils le font depuis quelques semaines, et se mettent à dénoncer la hause vertigineuse du prix de l’essence, les pénuries de lait pour bébés, l’explosion de la criminalité, ou d’autres problèmes dus aux décisions de Joe Biden,  on devine qu’ils le font pour sauver les meubles. Biden est une cause perdue et les Démocrates qui veulent sauver leur peau en novembre se désolidarisent de sa politique en faisant appel à l’électorat de gauche plus modéré.

Maintenant le bipartisme et le découpage électoral limitent l’ampleur des bouleversements électoraux à venir.  Dans de nombreuses villes et contés, ce ne sont pas les élections générales qui comptent, mais les primaires. A San Francisco, le candidat démocrate gagne quoi qu’il arrive. Les Républicains font de la figuration et il est peu probable que les Démocrates déçus par Biden se mettent à voter Républicain… Tout  est possible mais c’est peu probable. Donc la carte électorale continuera d’’être dessinée par les Démocrates pour servir le parti Démocrate. Bien que la « bipartisme » existe en Californie, l’Etat vit depuis plus de vingt ans sous un parti unique, le parti Démocrate qui gouverne comme un parti unique, un « one party rule ». Plus que l’élection générale c’est la primaire qui détermine le candidat élu. Or on constate ce printemps un net recul des candidats les plus « woke » au profit de Démocrates plus modérés. La « contre-révolution » est bien en marche, on verra son ampleur début novembre.

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