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La Chine sera-t-elle la première puissance du monde en 2049 ?
©LUDOVIC MARIN / AFP

Disraeli Scanner

Lettre de Londres mise en forme par Edouard Husson. Nous recevons régulièrement des textes rédigés par un certain Benjamin Disraeli, homonyme du grand homme politique britannique du XIXe siècle.

Disraeli Scanner

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Benjamin Disraeli (1804-1881), fondateur du parti conservateur britannique moderne, a été Premier Ministre de Sa Majesté en 1868 puis entre 1874 et 1880.  Aussi avons-nous été quelque peu surpris de recevoir, depuis quelques semaines, des "lettres de Londres" signées par un homonyme du grand homme d'Etat.  L'intérêt des informations et des analyses a néanmoins convaincus  l'historien Edouard Husson de publier les textes reçus au moment où se dessine, en France et dans le monde, un nouveau clivage politique, entre "conservateurs" et "libéraux". Peut être suivi aussi sur @Disraeli1874

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Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Wengen, 
Le 30 décembre 2019 


Mon cher ami, 

Me voici pour quelques jours dans un des très beaux villages suisses de montagne, où l’accès automobile est interdit. On n’y monte que par le train. C’est ici qu’un de mes amis, un romancier dont je tairai le nom par discrétion, a un chalet. Je l’y retrouve souvent à cette période de l’année. Nous allons nous promener en randonnée jusqu’au Staubbachbänkli où Goethe fait commencer le Second Faust. Le paysage de cette vallée encaissée, d’un côté, et du Jungfraujoch, de l’autre, est propice aux grandes perspectives. Et il nous manque aujourd’hui cruellement l’oeil acéré d’un Goethe pour anticiper sur les grandes perspectives de la génération qui vient. 

Hier soir, assis face à un grand feu de bois dans la cheminée de mon ami, nous avons parlé de l’intrigue de son dernier roman. C’est l’histoire d’un espion britannique, Ian Smythson, qui a connu la guerre froide dans les années 1980, l’effondrement de l’URSS, qui s’est retiré du service au début des années 2000, lorsque Tony Blair a obligé les services à mentir sur le présence d’armes de destruction massive en Irak et a poussé au suicide David Kelly, fonctionnaire du Ministère de la Défense, qui avait informé les médias des falsifications gouvernementales. Ian est invité par le nouveau patron du MI6 à reprendre une mission, en Chine. Les services britanniques sont frappés en effet par le retour du régime à des pratiques de l’époque communiste dure. Et ils pensent que rien ne vaudrait un homme d’expérience dans ce domaine. 

Mon ami est un maître de l’analyse psychologique et du roman d’esprionnage en demi-teinte. Le basculement de la Chine dans le néo-totalitarisme de Xi Jiping est un sujet idéal pour lui. D’abord parce que l’Occident est tellement compromis avec la Chine, depuis Tian An Men qu’il sera très difficile à nos pays de se sortir facilement des millions de liens tissés avec l’Empire du Milieu. Ensuite, parce que les Chinois des classes moyennes ont goûté à la liberté que donne une fortune personnelle, le goût des voyages, les études à l’étranger et l’échange d’idées. Un romancier pourra imaginer plus d’un personnage déchiré et ses agents développeront des loyautés non plus simplement doubles mais multiples. 

J’aurais aimé que vous soyez là pour participer à notre conversation. Je sais que vous réfléchissez depuis longtemps à la faute commise par l’Occident, en 1989, qui n’a pas profité de l’effondrement du bloc soviétique et de la transformation de la Russie pour mettre la Chine sur la défensive. En acceptant de fermer les yeux sur les 400 Tian An Men qui ont eu lieu à travers toute la Chine, au printemps et à l’été 1989, nous avons signé un pacte méphistophélique. La Chine, en absorbant notre fabrication monétaire illimitée et en devenant, en échange, l’usine de la planète, a acquis une puissance inouïe. Elle est en mesure aujourd’hui, d’investir des centaines de milliards dans ses nouvelles « routes de la Soie ». Elle cherche à s’enfoncer dans toutes les vulnérabilités européennes créées par l’absurde politique monétaire franco-allemande. Le pays a largement pillé notre propriété industrielle. 

Aujourd’hui, la Chine maîtrise les techniques informatiques, l’intelligence artificielle, le traitement des données, les biotechnologies à un point tel qu’elle pense être en mesure de contenir la montée en puissance des classes moyennes et leur désir d’émancipation. Le numérique peut être un outil d’oppression autant que d’émancipation: la surveillance des citoyens est totale sur internet. Le pays est coupé des grands moteurs de recherche occidentaux. Le goût des Chinois est pour les smartphones, leurs applications et les réseaux sociaux, est encouragé de manière à accumulé les données sur chaque citoyen. Tous les habitants de l’Empire du Milieu, soit qu’ils se meuvent sur les réseaux sociaux, soit qu’ils soient enregistrés dans les banques de reconnaissance faciale individuelle, sont désormais dotés d’un « compte social ». Selon leur comportement et leur degré d’allégeance au régime, ils sont autorisés à voyager dans un rayon plus ou moins limité. La pensée de Xi Jiping a désormais été placée à côté de celle du Président Mao dans les piliers du régime. L’autre jour, une jeune entrepreneuse chinoise avec qui je traitais m’a offert, en remerciement du contrat que nous avons signé, les deux volumes du livre Gouvernance du président. Je ne lui ai pas menti en lui disant que j’allais les lire. Je vais évidemment les étudier attentivement. Sur le moment, j’ai été frappé de ce geste démonstratif et qui était comme une garantie qu’elle prenait auprès de moi: non seulement je ne chercherais jamais à l’entraîner dans des critiques du régime; mais je pourrais témoigner de sa loyauté si jamais quelqu’un la surveillant me faisait parler. C’est la même qui, lors d’un entretien précédent, m’avait arrêté que je commençais à parler du patrimoine religieux anglais et britannique: « Ce ne sont pas des sujets qui intéressent en Chine », m’avait-elle expliqué. 

La question que je me pose, mon cher ami, c’est celle de l’inévitable affaiblissement de la puissance chinoise. Je crois qu’en devenant néo-totalitaire, la Chine va manquer son objectif d’être la première puissance du monde en 2049. Contrairement à ce que croient les progressistes, le capitalisme est inséparable de la liberté politique. En se refermant sur elle-même, la Chine se condamne à perdre en innovation, en capacité d’initiative. Je vois bien la force des régimes totalitaires. L’Union Soviétique a longtemps fait peur au monde. La Chine représente à elle seule 15% de l’humanité. Sa puissance financière lui permettra d’acheter longtemps des complicités et des points d’appui un peu partout. Elle pourra non seulement développer un appareil de répression interne mais aussi de désinformation externe. Nous avons vu ces derniers mois à Hong Kong comment l’appareil de répression chinois peut se durcir et intimider. J’imagine la Chine aussi se lançant dans les pire manipulations génétiques pour fabriquer des surhommes, qu’elle puisse mettre en face des armées occidentales. Fantasme ou réalité, l’avenir le dira. Nous n’avons pas d’autre solution que de retrouver la foi de David contre Goliath, celle de Soljenitsyne contre le totalitarisme soviétique. 

Car c’est bien ce qui va se jouer, dans la génération qui vient. Nous allons assister d’un côté au développement d’une menace néo-totalitaire, celle-ci s’affirmant d’autant plus que le pays se videra de sa substance par manque de liberté. De l’autre, nous avons un Occident bien mal parti à première vue; en crise morale profonde; laquelle débouche sur une crise politique, sociale, économique profonde. La victoire de Donald Trump ou de Boris Johnson, la fermeté de Viktor Orban, le combat courageux de Matteo Salvini ne sont que le début du redressement. Une partie des élites occidentales joue contre nos intérêts - et c’est bien normal qu’elles soient alliées de la Chine. Il nous va falloir construire patiemment un dispositif de défense de l’Occident et du monde face au néo-totalitarisme chinois. J’y vois un avantage: même si c’est une réalité bien archaïque, le fait d’avoir un ennemi identifié nous aidera à construire notre appareil de défense, à retrouver plus vite le sens de nos intérêts. 

Mais il faut s’y mettre rapidement. 2020 est le début d’une nouvelle ère. Si l’Occident retrouve sa force morale, il sera invincible. Le rêve de toute-puissance chinoise se brisera sur la réalité de nations libres, coalisées pour défendre leur liberté. Nous aurons l’invincibilité des Spartiates, des Athéniens et des Thébains face aux Perses. Nous retrouverons l’esprit de liberté qui a permis de gagner la guerre froide ! Il faut commencer maintenant. 

Bien fidèlement à vous 

Benjamin Disraëli 

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